Bolivie: Le pouvoir Bible au poing

Alors que le pays compte déjà plus de 20 morts, les opposants à Evo Morales poursuivent leur prise de pouvoir opiniâtre, Bible en étendard, catholique ou néopentecôtiste. Programme électoral ou arme de persuasion massive? Enjeux.

Au commencement était une promesse: «La Bible reviendra au palais du gouvernement!» Ce slogan, relayé par la présidente autoproclamée, Jeanine Áñez, Luis Fernando Camacho l’a articulé à l’envi au cours des dernières semaines. Ce riche entrepreneur ultracatholique est l’un des leaders de l’hostilité à Evo Morales. Il préside le Comité civique de Santa Cruz, historiquement opposé à Evo Morales. Comme le résume Matthias Preiswerk, directeur de l’Institut supérieur œcuménique andin de théologie (ISEAT), à La Paz, l’entrepreneur défend l’élite sociale et économique de Santa Cruz.

Pour le sociologue bolivien Julio Cordova, la dimension religieuse du discours camachiste remplit plusieurs fonctions. «Il donne une certitude de victoire puisque ‘Dieu est de notre côté’» – ce qui permet aussi d’asseoir une autorité jamais légitimée par les urnes. Les policiers mutinés agenouillés en prière dans la rue, murmurant «Nous ne sommes pas seuls», ne disent pas autre chose. Fernando Camacho caractérise ensuite l’ennemi: «Evo n’est pas seulement un ‘dictateur’, mais également un ‘idolâtre’ qui a mis la Pachamama [Terre-mère] au palais.» Enfin, il réaffirme le leadership de Santa Cruz: un pays, une même culture (métis créole), une foi (catholique).

Perte de pouvoir

Le premier président indigène de Bolivie n’a pas ménagé ses critiques envers l’Eglise, rappelle Christine Delfour, professeure des Universités à Lille 3. Certains «secteurs de l’Eglise catholique, la hiérarchie catholique sont les ennemis des transformations politiques»; «une autre foi, une autre religion [hors Eglise catholique] et également une autre Eglise, tout ceci est positif, mes frères et sœurs»: ces citations d’Evo Morales illustrent les tensions existantes entre le gouvernement et l’Eglise catholique.

En 2009, lorsque celui-ci fonde l’État plurinational de Bolivie, il crée une double rupture avec l’Eglise catholique: «La nouvelle Constitution affirme l’indépendance de l’Etat en matière religieuse et garantit la liberté de religion et des croyances spirituelles en accord avec les cosmovisions» – la Constitution de 1967 soutenait la seule Eglise catholique. Pire: «En évoquant des éléments clés de la cosmogonie andine comme le buen vivir, la Pachamama, etc., Evo Morales redéfinit la notion même de religion», note le sociologue des religions mexicain Hugo José Suarez.

Alerte à la cosmovision

Dans le même temps – au cours des trois dernières décennies en réalité –, le mouvement néopentecôtiste a beaucoup grandi en Amérique latine. Même si c’est un peu moins qu’ailleurs, «son influence est visible dans toutes les institutions boliviennes», note Matthias Preiswerk. Pour le théologien, «ce succès vient d’une capacité à réinterpréter des fonctionnements locaux, et surtout, à répondre à une certaine misère.» Le néopentecôtisme pénètre également la culture andine.

Si ces deux confessions se concurrencent, elles ont néanmoins des ennemis communs. Deux partis politiques (UCS et PDC) les ont brandis au cours de la campagne présidentielle pour rallier le vote conservateur: «Contre l’idéologie du genre», «pour la défense de la société», «contre le féminisme radical», etc. Cette vision est aujourd’hui représentée au plus haut de l’Etat, note Julio Cordova, puisque l’actuelle présidente a été panéliste au Congrès ibéro-américain pour la vie et la famille. «Ce congrès réunit la majorité des organisations fondamentalistes du continent pour coordonner leurs actions contre la dépénalisation de l’avortement ou contre une véritable éducation sexuelle.»

L’offensive religieuse actuelle déclare aussi la guerre à la cosmovision andine. «La diabolisation des indigènes est ancrée dans une pensée coloniale qui, sans être dominante en Bolivie, est toujours opérante», déplore Hugo José Suarez. La crise actuelle menace-t-elle de marginaliser cette culture? Il n’y croit pas: «En quatorze ans, Evo Morales a réussi à fonder une nation pluriculturelle, jeune, ouverte aux valeurs indigènes, au nom d’une religiosité moderne.» Matthias Preiswerk le rappelle: lorsque la whipala – emblème de l’Etat plurinational et deuxième drapeau officiel de Bolivie depuis 2009 – a été brûlée au palais présidentiel, les réactions ont été puissantes. «Camacho a compris qu’il devait respecter les indigènes. La culture andine pourrait néanmoins disparaître des parlements et des commissions.»

Dominique Hartmann, Le Courrier

Photo: Le Courrier

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