Les filtres à sable : une réponse durable aux enjeux de l’eau potable en Haïti

 
ACTED a recours aux technologies de filtration bio-mécanique à grande échelle en Haïti, dans le Bas Artibonite.
Malgré d’importantes ressources en eau en Haïti, seuls 55% des foyers haïtiens ont accès à l’eau potable (selon un rapport de l’UNICEF datant de 2008). Une érosion aggravée des sols, de fréquentes inondations, l’absence de systèmes d’assainissement, de latrines et de gestion des déchets sont à l’origine de l’épuisement des nappes phréatiques et de la pollution des eaux de surface (rivières, fleuves, sources, etc). La population qui puise l’eau polluée du fleuve Artibonite et des canaux d’irrigation aux alentours dans la zone du Bas Artibonite fait face à ces problématiques. En réponse à cette situation sanitaire, ACTED a mis en place une intervention auprès des populations des communes de Grande Saline, Desdunes et la 5ème section communale Bocozelles de Saint Marc avec la distribution de filtres à sables à 1 200 familles (depuis mai 2009), dans le cadre d’un projet soutenu par l’Union européenne et l’UNICEF. La distribution de 1 500 filtres à sable supplémentaires est également prévue pour la fin de l’année 2009 dans les zones rurales isolées du Bas Artibonite.
 
L’accès à l’eau potable s’est considérablement dégradé dans le Bas Artibonite. En effet, les puits artésiens sont de moins en moins utilisables en raison de la salinisation des nappes phréatiques dus à l’affaissement progressif des sols. Des stations Hydropur, créées par Oxfam, existent, mais sont inégalement réparties sur la zone, donc peu accessibles aux populations. Les stations Hydropur sont des stations de potabilisation de l’eau utilisant une combinaison de filtration bio-mécanique et de chlorination de l’eau, pouvant approvisionner jusqu’à 1 000 personnes en eau potable par jour. Les premières stations ont été installées en Haïti en 1984. Enfin, les réseaux d’adduction en eau potable sont insuffisants, et du fait de leur vétusté, ne garantissent pas l’accès à une eau potable. La consommation d’eau contaminée est donc un risque sanitaire majeur, notamment pour les femmes enceintes et enfants de moins de cinq ans.
 
A titre d’exemple, selon la dernière enquête sanitaire nationale (EMMUS IV), le département de l’Artibonite présente un indice de diarrhée chez les enfants de moins de cinq ans relativement élevé (36 %) comparé à la moyenne nationale (23%). L’eau de boisson étant l’un des premiers vecteurs de transmission de ces maladies, la sécurisation de l’approvisionnement de cette eau est capitale dans la prévention de ces maladies.
 
Le fleuve comme principale source d’approvisionnement en eau
 
Le fleuve Artibonite est la seule source d’eau accessible et gratuite des communautés riveraines. Les familles du village de Lagrange y ont quotidiennement recours (que ce soit pour cuisiner, pour se laver ou pour faire la lessive). Cette eau saumâtre et salée n’est pas adaptée à la consommation. En conséquence, les habitants de Lagrange souffrent régulièrement de diarrhées, d’infections de la peau et de maux de ventre. Louis Edner, père de huit enfants dans la localité de Lagrange explique : « Ma femme Denise et mes deux petits enfants Fedline [4 ans] et Odlin [13 ans] ont souvent eu la diarrhée ces quatre derniers mois [pendant la saison des pluies] lorsqu’ils buvaient l’eau du fleuve.» Les habitants du village de Modelle consomment l’eau du drain de Boudette-Modelle, obstrué par de nombreux déchets et limon. Le fleuve, les canaux d’irrigations secondaires et les drains sont les uniques sources d’eau dans les zones rurales isolées du Bas Artibonite. Ainsi, elles sont utilisées aussi bien par la population, qui y fait sa lessive et s’y baigne, que par le bétail qui s’y abreuve ; d’où la fréquence des maladies hydriques. « Nous n’avons que l’eau boueuse du fleuve à notre disposition» explique Louis. « Et bien que l’on ait l’habitude de la laisser décanter pour pouvoir la boire, ce n’est manifestement pas suffisant : les enfants souffrent souvent de diarrhées et d’affreuses coliques. »
 
Le processus de filtration
 
Au regard de cette situation sanitaire, la filtration à domicile au moyen de filtres à sable semble être l’outil le plus approprié pour garantir un accès à l’eau potable dans les zones rurales isolées du Bas Artibonite. La filtration à domicile à l’aide de tissus ou de filtres à café étant traditionnellement utilisée par la population, les bénéficiaires se sont rapidement appropriés cette nouvelle technologie. Le processus de traitement de l’eau repose sur un double mécanisme de filtration mécanique et biologique, qui certifie à 99,9% de la potabilité de l’eau (voir encadré ci-dessous).
 
Filtration mécanique :
 
La couche de sable retient les particules entre les grains de sable.
 
Filtration biologique :
 
Lentement filtrée par le sable, l’eau entraîne la création de micro-organismes sur les premiers centimètres de la couche de sable, permettant la consommation des bactéries et autres pathogènes se trouvant dans l’eau.
Simples d’utilisation et requérant peu d’entretien, les filtres à sable ont, en outre, une durée de vie supérieure à 5 ans, garantissant une source d’eau potable durable pour les familles bénéficiaires. Ainsi, comme en atteste Ermane Oxide Chéry, père d’une famille de 10 enfants en situation économique précaire, le filtre présente de nombreux avantages : « Grâce au filtre, on a de l’eau traitée gratuitement. Aussi, on a plus besoin d’aller chercher du bois pour bouillir l’eau. En conséquence, les enfants sont moins malades et on économise de l’argent en achetant moins de chlore ou moins de charbon de bois pour traiter l’eau ».
 
Au-delà de leur simple mise à disposition, ACTED assure une formation à l’utilisation et à l’entretien des filtres, ainsi que le suivi régulier des bénéficiaires. Ces points sont essentiels afin de garantir une utilisation optimale des filtres (voir encadré ci-dessus). Lors de la distribution des filtres, les bénéficiaires font l’apprentissage des huit points clés d’entretien des filtres. Un livret explicatif en créole leur est fourni. Pour Charles Mitila, un des bénéficiaires du programme, cette formation s’est révélée cruciale : « L’utilisation et l’entretien du filtre à sable est facile pour moi parce que j’ai participé à la formation ; dans le cas contraire, il me serai difficile de le faire correctement ».
 
En  raison des graves problèmes liés à l’extraction de l’eau des nappes phréatiques et de la pollution des eaux de surface dans le Bas Artibonite, il semble approprié de développer des solutions alternatives pour l’accès à l’eau potable : filtres à sable au niveau des familles, ou encore association impluviums/filtres à sable pour les infrastructures collectives (écoles, centres de santé). La diffusion de cette technologie s’accompagne de séances de sensiblisation aux principes d’hygiène relatif à l’eau et à la prévention des maladies hydriques, ainsi que d’un programme de latrinisation des communautés riveraines du fleuve Artibonite. ACTED vise ainsi à répondre à court terme aux enjeux liés à l’eau potable et à l’assainissement dans les communes de Grande Saline, Desdunes et de Saint Marc dans la zone du Bas Artibonite.
 
SOUTIEN AUX CAPACITES LOCALES
 
ACTED travaille en étroite collaboration avec le Programme d’appui aux initiatives du développement humain (PAIDEH), ONG haïtienne fonctionnant sur le modèle du micro-entreprenariat, pour la fabrication et la promotion des filtres à sable. Pendant plusieurs années, cette organisation a bénéficié du soutien du Centre pour une eau abordable et les technologies sanitaires (CAWST), garantissant ainsi un processus de production rapide et rigoureux. La collaboration PAIDEH/ACTED lors de précédents projets a permis de créer 86 emplois dans les ateliers indépendants de PAIDEH ; emplois pérennisés pour l’année 2010 compte tenu des nouvelles commandes. De manière parallèle, ACTED travaille au renforcement institutionnel de PAIDEH afin d’améliorer le suivi des bénéficiaires : formation de 10 techniciens d’atelier et réparation des moules défectueux, renforcement du système de suivi des bénéficiaires de PAIDEH, formation de rappel sur l’entretien des filtres basée sur la méthode PHAST et formation par CAWST des équipes techniques d’ACTED.
http://www.cawst.org/
 
ENJEUX DE LA DEFINITION DE L’EAU POTABLE
 
Les  standards SPHERE (Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions lors de catastrophes) indiquent qu’une eau potable doit contenir « 0 Coliforme Fécal pour 100 ml d’eau ».  La qualité de l’eau issue des filtres à sable est garantie par l’usage technique des filtres PAIDEH au moyen de huit points de contrôle définis par CAWST, garantissant une potabilité de l’eau à 99,9%. Cependant, si l’eau introduite dans le filtre est très contaminée et contient par exemple 1000 coliformes, il restera alors entre 1 et 2  coliformes après filtration.
 
Néanmoins, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne, dans un document intitulé « Mode d’emploi pour une eau potable de qualité », les limites de réalisation du standard SPHERE suivant les contextes d’intervention. En Haïti, atteindre 0 coliforme nécessiterait l’arrêt complet de la pollution des eaux par des déchets humains, une éventualité seulement envisageable sur le long terme et par le biais de politiques publiques fortes.
 
Par ailleurs, le standard SPHERE « 0 Coliforme Fécal pour 100 ml »  n’est pas l’unique indicateur de mesure de la potabilité de l’eau. D’autres facteurs pathogènes sont également à considérer. Parmi ceux-ci figurent la quantité d’eau offerte, le prix de l’eau pour les bénéficiaires (une eau moins chère est privilégiée, au dépend de sa propreté), l’accessibilité de l’eau (de même, l’accès à l’eau est jugé prioritaire, au détriment de la propreté) et la fiabilité de l’approvisionnement en eau.

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