Le Pakistan est touché par des inondations massives depuis le 21 juillet dernier, qui ont affecté l’ensemble du pays.
Aujourd’hui encore, certaines communautés isolées dans le nord-ouest demeurent coupées du reste du pays, et des poches d’eau subsistent dans le Sindh (sud-est du Pakistan), alors que les inondations commencent à refluer. On estime à plus de 20 millions le nombre de sinistrés, dont plus de 8 millions sont dans une situation particulièrement critique après avoir tout perdu dans cette catastrophe : leurs maison, biens, moyens de subsistance et bétail. En tout, quelques deux millions d’habitations ont été détruites. Presque trois mois après les premières inondations, des millions de Pakistanais se retrouvent sans revenus et sans moyens de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Cette catastrophe humanitaire est sans précédent, tant par son ampleur géographique que par le nombre de sinistrés touchés.
Les équipes d’ACTED, déjà présentes dans la partie nord-ouest du pays (dans la province du Khyber Pakhtunkhwa, le KPK), sont déployées depuis le mois d’août dans les provinces du Pendjab (nord-est du Pakistan) et du Sindh sur des opérations de première urgence. Depuis près de trois mois, nos équipes sont mobilisées sur le terrain jour après jour afin de fournir une première aide humanitaire aux sinistrés, assurer des distributions alimentaires, l’accès à l’eau potable, améliorer les conditions sanitaires des communautés vulnérables ainsi que leurs conditions de logement. Nous travaillons également dès à présent à mettre en œuvre des réponses à moyen terme afin de permettre aux populations touchées de retrouver de quoi subvenir à leurs besoins élémentaires et affronter l’hiver qui arrive avec des programmes de sécurité alimentaire et d’accès à des abris transitoires. ACTED va assurer une aide humanitaire pour près d’un million de sinistrés dans cette première phase d’urgence.
Jodelle, Attachée à la Direction Générale d’ACTED, revient d’une mission d’urgence au Pakistan où elle a participé aux évaluations et à l’élaboration de différents plans d’action. Elle nous fait part de ses impressions et dresse un état des lieux de la situation humanitaire.
En quoi consistait ta mission sur le terrain ?
« Une des premières tâches d’ACTED a été le lancement rapide d’évaluations d’urgence des besoins pour faire un état des lieux précis des dégâts dans le Swat et l’Upper et Lower Dir, situés dans le nord-ouest du pays, dans la province du Khyber Pakhtunkhwa. En 5 jours, 208 villages ont été évalués par nos équipes dans le Dir. J’étais notamment en charge de gérer cette étape indispensable afin d’assurer la meilleure couverture des besoins et l’accès de tous les sinistrés à une première aide d’urgence. Nous étions déjà présents dans ces vallées et nos équipes ont pu partager des informations utiles avec d’autres ONG en l’espace de quelques jours. J’ai travaillé ensuite sur des enquêtes similaires dans le Sindh et le Pendjab, tout en appuyant l’équipe de coordination à Islamabad. »
Quelle est ampleur de cette catastrophe ?
Il est rare que des millions de personnes soient autant affectées au même moment. Les acteurs humanitaires sur place font face à une crise multisectorielle car les flots ont tout emporté sur leur passage : les biens des ménages, leurs moyens de production, les habitations, les stocks, les cultures, ainsi que les infrastructures communautaires et nombre de voies d’accès. Les populations sinistrées ont tout perdu et doivent donc repartir de zéro.
Comment réagit la population locale plus de deux mois après la catastrophe ?
Nos équipes constatent une certaine impatience de la part des populations touchées qui n’ont pas toutes reçues une aide. L’ampleur des besoins est gigantesque ; ils sont répartis sur des centaines de kilomètres carrés et les communautés les plus sinistrées sont parfois encore difficiles d’accès par voie terrestre. On doit alors faire appel à des hélicoptères qui ne permettent pas d’apporter une aide suffisante, en quantité et en zone de couverture. D’un autre côté, on assiste à une réelle mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés. Dans nos équipes, les employés nationaux s’investissent personnellement, se donnant sans compter depuis des semaines. Même pendant le Ramadan, nombreux étaient ceux qui, malgré la fatigue, la chaleur et le jeune, ont travaillé sur les opérations au côté des internationaux, 7 jours sur 7, parfois jusque tard le soir.
On parle de 20 millions de sinistrés à travers le pays… Comment se répartissent-ils et quelle est la situation aujourd’hui au Pakistan ?
Les inondations n’ont pas eu le même impact sur tout le pays. Le nord-ouest, qui a été touché en premier, fin juillet, est plus largement couvert par de nombreuses ONG qui étaient déjà présentes sur le terrain et qui connaissaient la zone. L’intervention a été rapide et les premières opérations humanitaires se sont organisées dans les jours suivant les inondations. La situation est quelque peu différente dans les provinces du Pendjab (au nord-est) et du Sindh (au sud-est) qui ont été touchées par les inondations au mois d’août. En effet, les ONG humanitaires n’étaient pas présentes dans ces zones avant les inondations et avaient donc une connaissance assez limitée du terrain et des populations locales et donc de l’étendue de leurs besoins. Le déploiement humanitaire a donc été moins rapide. Deux à trois semaines ont été nécessaires afin d’établir un plan d’action, évaluer les besoins et mettre en place les opérations. Résultat, les activités ont commencé fin août.
Le paysage le long de l’Indus, le fleuve qui traverse le pays du Nord au Sud et qui a inondé le Pendjab, est caractérisé par de vastes plaines. Les dégâts sont plus importants dans cette zone de plaine où les eaux sont restées plusieurs semaines. Ici et là on voit encore de larges poches d’eau qui représentent un problème sanitaire conséquent. L’apparition de maladies hydriques ainsi que de la malaria est à craindre parmi les populations déplacées qui vivent dans des conditions d’hygiène précaires. Ces maladies sont également liées à la saison chaude et à la présence de moustiques qui pullulent dans ces zones humides. L’objectif premier est donc d’assainir ces zones, notamment les villages où les populations reviennent, creusant des lignes de drainage, asséchant les mares et en renflouant au besoin les zones boueuses avec des gravats. On doit également éviter les répercussions éventuelles et prévenir des futures inondations en réparant les dégâts des eaux : ACTED s’affaire d’ores et déjà à la réparation et reconstruction de digues dans le Sud du pays avec des opérations de Travail contre Paiement.
Et la situation dans le nord du pays ?
La situation dans le Khyber Pakhtunkhwa (KPK) est différente dans le sens où nous ne sommes pas confrontés aux mêmes problématiques. Les agences humanitaires sont certes présentes, mais de nombreuses zones demeurent inaccessibles, compliquant les activités de relance des activités de subsistance. De plus, les ruisseaux montagneux se sont transformés en véritables torrents qui ont tout ravagé sur leur passage et détruit de nombreuses infrastructures, routes d’accès et ponts ; ce qui freine aujourd’hui l’arrivée de l’aide humanitaire. Les sinistrés qui vivent dans le nord de la vallée Swat doivent parcourir des dizaines de kilomètres afin de s’approvisionner en nourriture et de profiter de l’aide humanitaire, car les routes sont impraticables : les camions passent à gué quand c’est possible. L’urgence est donc de rétablir l’accès à ces vallées isolées afin de pouvoir distribuer les biens de première nécessité et d’assurer des débouchés pour les producteurs et agriculteurs. Sur place, les équipes d’ACTED concentrent leurs efforts sur la réhabilitation de ces routes d’accès cruciales grâce à des activités de Travail contre Paiement. Chaque jour, des habitants touchés par la catastrophe sont employés sur les opérations de déblayage et de réhabilitation. Ces activités contribuent au redressement de l’économie pakistanaise en permettant aux sinistrés de toucher un petit revenu pour leur travail.
Les destructions sont très importantes dans cette zone. A de nombreux endroits, il ne reste plus que les fondations des maisons ou des maisons éventrées où seules quelques pans de murs et structures métalliques sont encore debout. On retrouve des images et des scènes similaires à celles d’Haïti suite au tremblement de terre ! Les inondations très violentes ont laissé de nombreuses séquelles : habitations ravagées et infrastructures communautaires réduites à néant. De nombreux points d’eau on été détruits mais les risques d’épidémies sont moins à craindre que dans le Pendjab.
Comment se sont déroulées les premières interventions humanitaires d’ACTED ?
Pendant la première phase d’urgence, ACTED, en partenariat avec le Programme Alimentaire Mondiale, a déjà distribué des rations alimentaires pour un mois à environ 30 000 personnes dans le KPK. Nous avons également procédé à des distributions d’eau potable avec des citernes et d’autres biens de première nécessité aux sinistrés. Nous avons fait de même depuis dans la province du Pendjab auprès des centaines de milliers de déplacés. En effet, si dans le Khyber Pakhtunkhwa, la plupart des sinistrés a pu se reloger chez des parents et proches, ce type de solidarité communautaire n’a pas pu se mettre en place, ou difficilement, dans les autres zones, étant donné l’ampleur des dégâts. Dans certains villages l’ensemble des maisons ont été détruites ou endommagées. On compte ainsi près de 700 000 déplacés du Sindh dans des sites de rassemblements spontanés dans le Baloutchistan (situé dans le sud-ouest du pays).
Les besoins en termes de logement sont énormes. Dans l’ensemble du pays, les travailleurs humanitaires s’affairent à la distribution d’abris d’urgence. Avec nos partenaires de l’Alliance2015, nous avons ainsi prévu de distribuer 10 000 abris d’urgence. ACTED a déjà distribué 5000 kits d’abris d’urgence composés de bâches en plastique et de cordes dans le KPK, le Swat et le Dir, et 2700 dans le District de Dera Ghazi Khan. Ces kits offrent une réponse temporaire et ne sont pas adaptés aux conditions hivernales. C’est pourquoi ACTED travaille également sur la construction et mise en place de 3300 abris transitoires prévus pour abriter une famille pendant deux à trois ans.
Et pour ce qui est de la phase de réhabilitation à plus long terme ?
Afin de répondre aux besoins des foyers qui ont tout perdu (sources de revenus et biens de production), ACTED, OXFAM, Care, ACF International, IRC et Save the Children (qui composent la « Pakistan Emergency Food Security Alliance » – PEFSA) ont lancé une Analyse Cartographique des Marchés en Situation d’Urgence (Emergency Market Mapping and Analysis – EMMA) dans l’ensemble du pays, avec pour objectif d’établir un programme de recapitalisation des foyers. En effet, afin de pourvoir à leurs besoins les plus urgents, les familles sinistrées tendent à vendre les quelques biens qu’elles ont réussit à sauver : leurs bétail, semences, stocks ou outils par exemple. Si cela leur permet de passer un cap difficile, cela les privent néanmoins d’une source de revenus pour la suite, qui risque d’aggraver leur situation. Ce programme aura donc pour objectif d’arrêter la phase de destruction des capitaux grâce à la distribution de bétail, de matériel et de coupons ou autres sommes d’argent afin de s’assurer que les bénéficiaires ont de quoi assurer une petite activité génératrice de revenus. C’est d’autant plus urgent, que l’on va arriver à la dernière saison des semences et que de nombreux fermiers ont déjà vendu leurs graines. Avec ce programme, nous voulons assurer la sécurité alimentaire de 60 000 personnes.
Depuis 1993, date des premières interventions d’ACTED au Pakistan, l’approche d’ACTED a évolué afin d’offrir une réponse aux principales crises qui ont frappé le pays : soutien aux réfugiés afghans et aux communautés hôtes, réponse au séisme qui a frappé le Khyber-Pakhtunkhwa (KPK) en 2005, aide apportée aux populations déplacées suite aux violences entre Talibans et forces pakistanaises depuis 2008, et aujourd’hui l’intervention en faveur des familles touchées par les inondations dans les provinces du KPK, du Pendjab et du Sindh, depuis fin juillet.