Volontaires suisses en Afrique

 Cela fait 21 ans qu’Interteam travaille en Namibie, dernier État africain à avoir obtenu son indépendance. Cette période d’accumulation d’expériences, de consolidation et de développement doit être aujourd’hui évaluée « pour mieux envisager l’avenir », comme le souligne Markus Burri, coordinateur de l’organisation en Namibie. La lecture de la coopération suisse en Afrique (et dans les pays du Sud en général) que fait ce théologien de 44 ans se fonde sur une longue trajectoire personnelle. Son premier contact avec l’Afrique date de 1995. Il était alors délégué de la Croix-Rouge au Ruanda. Puis il a travaillé en Bosnie et en Herzégovine en tant que représentant de Caritas Suisse. Différentes responsabilités dans cette ONG l’ont ensuite conduit dans le sud-est asiatique, en Égypte, en Algérie et en Palestine. De retour à Lucerne, il a dirigé le programme pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Il vit depuis 2008 avec sa famille dans la capitale namibienne, Windhoek, où il est responsable d’Interteam (IT).
Q: Dans quel contexte politique, social se déroule le travail des volontaires d’Interteam en Namibie ?
 
R : Le pays compte treize groupes ethniques, parmi lesquels les Ovambos, qui sont les plus nombreux puisqu’ils représentent plus de la moitié de la population, soit près de 2 millions d’habitants. Ils soutiennent dans leur majorité le parti au gouvernement, la SWAPO (Organisation populaire du Sud-ouest africain). Celle-ci exerce le pouvoir exécutif depuis l’indépendance (elle a actuellement 18 des 21 ministères) et contrôle le pouvoir législatif et les principales institutions. Des élections se sont déroulées en novembre dernier. Pour la première fois, les partis d’opposition ont formé une coalition qui a dénoncé des irrégularités. Les autorités électorales devront se prononcer en février, et il est possible que de nouvelles élections aient lieu.
Si l’on compare la Namibie à d’autres pays africains ou à l’Amérique latine, on constate que les habitants participent peu à la vie politique et qu’il n’existe pas de société civile active. La population est plutôt apathique. Il n’y a pas de manifestations, ni de remise en question. Cette situation assez particulière n’est pas toujours facile à comprendre et à accepter.
 
L’éducation, une priorité
 
Q : Interteam et les volontaires suisses sont arrivés presque au début de la république.
R : En effet. Nous sommes arrivés il y a 21 ans, peu de temps avant l’indépendance. Au début, nous avons travaillé avec l’Église catholique, qui voyait la présence de professionnels suisses comme une opportunité. La situation était très particulière car l’État existait à peine et sa structure était très fragile. Nous avons eu la possibilité de mener des actions dans le domaine de l’éducation. Les premiers volontaires, pendant quelques années, étaient des instituteurs ou des professeurs de langues, de mathématiques, etc., qui intervenaient surtout dans le nord du pays, où vit la population la plus pauvre et la plus nombreuse. L’Église était un partenaire très important pendant cette phase ; elle a facilité la présence du personnel helvétique, qui travaillait aussi dans les écoles publiques. Ce programme a grandi peu à peu et nous sommes passés à une deuxième étape : l’accent est mis désormais sur le soutien aux enseignants locaux et sur l’accompagnement pédagogique. C’est-à-dire sur la multiplication de la formation.
 
Q : L’éducation est-elle toujours le principal domaine d’intervention ?
R : Oui, ce qui est cohérent avec le programme institutionnel d’IT dont les trois axes sont l’éducation, la santé et l’alimentation.
Nous avons actuellement 12 volontaires en Namibie, dans deux des régions les plus marginalisées du pays où ils interviennent dans l’éducation. Nous travaillons par région, ce qui correspond à l’organisation suisse en cantons, et nous collaborons donc avec les autorités régionales de l’éducation. Nos actions portent sur la construction de concepts, la promotion de l’éducation inclusive, la méthodologie et la didactique, la gestion scolaire et l’élargissement de la vision pédagogique. Un accord-cadre a été signé avec le ministère de l’Éducation mais le travail se déroule à l’échelon des régions et localement, dans les écoles. Nous avons prévu d’entreprendre une étude de l’impact de notre présence.
L’autre secteur d’intervention est la santé. Notre action dans ce domaine a débuté en 1999, mais elle concerne davantage la gestion technique et la gestion des ressources (management). Quatre volontaires se consacrent à cette tâche. Nous allons démarrer dans peu de temps des actions correspondant au troisième axe de notre programme institutionnel, à savoir la nutrition et la création d’emplois par le biais d’un projet dans le secteur tourisme.
 
L’évaluation, un défi
 
Q : En quoi consiste l’étude d’impact que vous avez mentionnée ? Et d’abord, pourquoi la mener maintenant ?
R : La principale motivation est interne. J’estime qu’elle est totalement justifiée : en tant qu’ONG, nous devons faire le point, au terme de 21 ans de présence, sur l’impact que nous avons eu, notre façon de travailler, la perception que peuvent avoir de notre action ceux avec qui nous coopérons.
L’étude sera participative et sept groupes-acteurs différents interviendront. Entre autres, les inspecteurs du ministère de l’Éducation, la direction régionale de ce ministère, les élèves et les professeurs. Nous cherchons à mesurer l’incidence de notre travail, à savoir s’il y a eu des progrès, à déterminer l’apport des volontaires mais aussi à repérer les points faibles. Il est intéressant pour nous de faire le point sur ce que nous avons appris dans ce processus et d’avoir les idées claires pour envisager la suite du programme. Peut-être va-t-il s’avérer nécessaire de faire des ajustements pour mieux avancer.
Le caractère participatif de l’étude me paraît très important. Les volontaires vont la mettre en œuvre dans une région différente de celle où ils travaillent : ils auront ainsi plus de distance, ce qui assurera une plus grande objectivité.
 
La force d’une logique programmatique
 
Q : L’expérience d’IT en Namibie est reconnue dans le monde du volontariat suisse. Quels sont les éléments essentiels, les composantes importantes, qui font la différence en Namibie ?
R : La principale différence, c’est la logique du programme elle-même. Pour ce qui est du volontariat, nous ne satisfaisons pas toutes les demandes que nous recevons. Nous sommes très soigneux et précis dans la sélection des volontaires car chacun fait partie d’un tout cohérent et l’ensemble, à nos yeux, est beaucoup plus que la somme des parties.
De plus, les coopérants s’approprient le programme : tout volontaire qui fait quelque chose quelque part dans le pays pense et planifie pour l’ensemble. Toute demande pour le secteur de l’éducation passe par un processus de pré-évaluation puis nous l’étudions en détails au sein du groupe régional pour déterminer si elle a du sens ou non. Lorsqu’une nouvelle personne est recrutée, une documentation sur ce que fait chaque volontaire est élaborée et nous assurons le transfert de l’expérience d’une personne à l’autre.
 
Q : Pouvez-vous approfondir cette idée d’ensemble, de totalité ?
R : Les volontaires, dans leur travail, ne se situent pas comme des individus isolés, ils pensent en tant qu’éléments d’un tout. Ils sont imprégnés des objectifs du programme. La réussite de chacun est la réussite de tous. Idem pour les faiblesses.
 
Q : Les partenaires participent-ils également à l’élaboration du programme ?
R : Celle du programme actuel (2009-2012) n’a pas été très participative et il est surtout le résultat du travail du coordinateur. Mais nous allons mener une évaluation à mi-parcours, qui sera effectuée avec les volontaires et les partenaires, en vue de le réviser. Nous nous proposons de renforcer la participation: cela fait partie des leçons que nous avons apprises. C’est parfaitement faisable, puisque du fait de la logique du programme nous n’avons que six partenaires, ce qui facilite la tâche.
 
Q : Dans le secteur de l’éducation, les partenaires régionaux sont liés à la structure du pouvoir et du parti qui est au gouvernement. La collaboration ne devient-elle pas difficile si vous avez, en tant que coopérants, une vision différente de la réalité politique ? La collaboration et le travail quotidien ne sont-ils pas alors compliqués ?
R : On ne parle pas beaucoup de politique en Namibie. De plus, la culture porte à éviter le conflit et la confrontation directe, car ils séparent les individus. Derrière tout cela, il y a une histoire compliquée, une phase de 70 ans d’apartheid, qui ne facilite pas le dialogue avec les gens qui ne sont pas noirs.
 
La qualité : le travail à long terme
 
Q : Trouve-t-on dans le pays d’autres organisations non gouvernementales, nationales ou internationales, avec lesquels vous collaborez régulièrement ou travaillez en réseau ?
R : Oui : par exemple, nous coopérons très étroitement au plan local, régional et national avec le VSO (Voluntary Services Overseas) du Royaume-Uni. Nous évitons tout type de concurrence : nous planifions des actions ensemble et nous nous réunissons en permanence. L’échange entre volontaires est très fréquent. Nous organisons des ateliers communs et tous les acteurs du volontariat se réunissent trois fois par an. Notre vision et notre méthodologie sont identiques pour ce qui est l’éducation inclusive.
 
Q: Tout indique que votre programme en Namibie privilégie les volontaires qui s’engagent à moyen et long terme. Or la tendance aujourd’hui est de préférer les missions de quelques mois. Quel est votre avis ?
R: Pour nous, il n’y a aucun doute : nous sommes convaincus que la coopération sur le long terme apporte une meilleure qualité. Il nous paraît vital que le volontaire comprenne l’histoire de notre présence et la logique du programme dans son ensemble. Il vient pour apprendre, pour comprendre, pour connaître. Il faut investir dans la construction de relations humaines, dans l’échange interculturel. Le slogan d’Interteam est « mouvement, échange, développement » : c’est dans cette direction que nous travaillons. Il n’y a pas de développement sans échange ; or l’échange se construit et exige du temps.
Nos volontaires ont un contrat de trois ans. Le premier est surtout consacré à l’adaptation culturelle et sociale. Le deuxième est le plus productif. Le troisième est efficace également, mais en général, comme la fin du contrat est proche, la vie personnelle, avec ses priorités et les soucis liés à la réinsertion en Suisse, commence à peser.
Au vu de nos expériences, je suis très critique vis-à-vis de la coopération à court terme. Mais il y a des exceptions. L’an dernier par exemple, un volontaire est venu pour deux mois apporter un soutien ponctuel à un autre volontaire du projet. L’expérience a été très intéressante, mais c’est une situation différente.
 
Q: Il n’est pas toujours facile d’assurer la qualité de « l’offre » des ONG suisses d’échange de personnes par rapport à la « demande » de ressources humaines venant des partenaires du Sud. Quelle est concrètement votre expérience en Namibie ?
R : Les partenaires soulignent presque toujours la qualité des ressources humaines qui sont venues travailler à leurs côtés. Ils semblent un peu surpris non seulement par la qualité de leur travail et leur niveau professionnel mais aussi par leurs compétences sociales et leur entière ouverture à la culture de l’autre. À mes yeux, cela tient à la sélection et à la préparation des volontaires avant leur départ. Nous avons vraiment peu d’échecs.
 
Q : Le travail d’information en direction de la Suisse et la sensibilisation de la société civile du Nord sont-ils également pour vous une priorité en Namibie ? Comment le vivent les volontaires ?
R : Le rôle des volontaires qui consiste à transmettre dans le Nord la voix des habitants du Sud est très important. Pour IT, le travail en Suisse est prioritaire. Il n’y a pas de véritable développement dans le Sud s’il n’y a pas de développement dans le Nord. C’est pour cela que toute tâche destinée à avoir une incidence politique et sociale est fondamentale. Presque tous les volontaires de retour en Suisse sentent l’importance et assument la responsabilité de la sensibilisation, et cela non seulement après leur retour définitif mais également lors du voyage qu’ils font au milieu de leur contrat, durant lequel ils mènent des activités publiques, dans leur réseau familial, celui de leurs amis, dans leur paroisse, etc. Et j’ajoute à cela le fait que tout volontaire doit envoyer au moins trois lettres circulaires par an.
 
*Sergio Ferrari
Traduction Michèle Faure
Collaboration UNITE, distribué par le service de presse E-CHANGER

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