«La Radio télévision suisse (RTS) célèbre le rôle de la Suisse dans la gouvernance mondiale.» Le ton est donné dans le dossier de presse. En diffusant une série de quarante mini-documentaires, cofinancés par la Confédération et les collectivités genevoises, le service public explore dès aujourd’hui la «coopération internationale» et ses métiers.
Dès lundi, la télévision romande diffusera trois minutes de reportages sur ce thème, chaque jour de la semaine à 18h10, jusqu’au 2 novembre. Des employés commentent leur travail, leur parcours personnel et les missions de l’organisation dans laquelle ils travaillent. L’approche légère et souvent anecdotique de ces petits films, de même que le choix des organisations cibles, peuvent interpeller. Interview de Chantal Bernheim, productrice de l’émission et responsable des relations extérieures de la chaîne.
Qu’est ce qui vous a amené à vous pencher sur la coopération internationale?
Chantel Bernheim: «Nous sommes intéressés par ce sujet depuis très longtemps. Depuis trois ans, nous avions l’idée faire quelque chose autour des organisations internationales. Deux cent cinquante d’entre elles ont un bureau à Genève. Nous nous sommes demandé comment trouver une thématique qui puisse intéresser le public. Notre expérience a montré que la thématique des métiers rencontre un grand intérêt. Cela permet aussi d’intéresser les jeunes pour préparer la relève dans ces professions.
Vous avez reçu des financements publics pour réaliser ce projet…
Oui, de la part du Département des affaires étrangères, du Canton et de la Ville de Genève et de la Fondation pour Genève. Leur contribution représente environ un tiers du coût total du projet. (Le montant du coût de l’opération ne nous a pas été communiqué, ndlr.)
Comment avez-vous sélectionné les organisations internationales à visiter?
Je souhaitais tout d’abord traiter des Nations Unies et de leurs agences car la Suisse fête les dix ans de son entrée à l’ONU. Nous avons ensuite procédé de manière aléatoire, en fonction de critères de proximité et de langue – car nous devions interviewer quelqu’un qui parle le français. Nous devions aussi trouver des personnalités intéressantes au sein des employés car nous voulions éviter de n’interroger que des directeurs. Et il fallait une diversité des professions, des âges et des cultures représentées.
Pourquoi ne pas avoir inclu des organisations non gouvernementales plus petites, qui fourmillent à Genève. Vous n’avez par exemple rendu visite à aucun membre de la Fédération genevoise de coopération. Ce sont pourtant des acteurs majeurs de la coopération internationale…
Oui, il est vrai que ces organisations sont importantes. Et je suis ouverte à ce que l’on s’y penche à l’avenir dans une nouvelle série d’émissions qui se fera peut-être. Au départ, nous sommes partis de l’anniversaire de l’entrée de la Suisse à l’ONU et avons élargi un peu. Si nous avions eu plus de temps, davantage d’épisodes et de financements, nous en aurions fait davantage.
Vous ne vous êtes pas non plus intéressé aux mouvements sociaux, par exemple les fédérations syndicales internationales qui ont presque toutes leur siège à Genève…
Oui, je m’y intéresse. Par rapport au monde du travail, nous avons fait un sujet sur l’Organisation internationale du travail. A l’avenir je me pencherais volontiers sur ces fédérations.
Le format de trois minutes vous contraint à rester assez superficiel. Pourquoi l’avoir choisi?
Parce que l’émission pour laquelle je travaille est formatée à trois minutes. Elle existe depuis sept ans. Effectivement, c’est un peu superficiel, mais le but n’est pas d’être exhaustif. C’est un clin d’œil sur une personne, une profession, un parcours qui s’insèrent dans la coopération. A travers des gens, on relate une histoire, en partant de leur métier.
Avec ce projet, la RTS «célèbre le rôle de la Suisse dans la gouvernance mondiale», peut on lire dans le communiqué de presse. S’agit-il d’une opération de commande pour la Confédération? Le rôle d’une télévision publique est-elle de faire reluire les bottes de la Suisse?
Si je voulais servir les intérêts de la Confédération, je m’y prendrais autrement. Dans cette émission, nous parlons d’individus et de parcours professionnels dans un cadre international et pas d’institutions suisses. Et la Confédération n’a aucun droit de regard sur les sujets. La RTS garde toujours le contrôle éditorial sur ses émissions.
La RTS, en tant que média de service public ne devrait-elle pas prendre le temps de présenter de manière fouillée les enjeux de la coopération internationale, ses succès, mais aussi ses contradictions?
Il ne faut pas donner à cette émission plus d’importance qu’elle n’en a. La RTS explore les enjeux de la coopération à travers l’actualité, Géopolitis ou encore Temps présent.
Par Christophe Koessler, Le Courrier
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COMMENTAIRE
Une déception à l’aune des attentes
Pourquoi ne pas l’avouer: lorsque la RTS a annoncé le lancement de «Coopération internationale: un métier», le soudain intérêt du service public pour ce thème nous avait réjoui. La déception est d’autant plus grande. En focalisant sa caméra sur les mastodontes interétatiques voire commerciaux, la série biaise de façon surprenante la réalité. Est-ce de l’ignorance ou du parti pris? Le richissime terreau associatif romand est ignoré, nulle trace de Terre des hommes, Pain pour le prochain, E-CHANGER ou ATD Quart-monde pour ne citer que quelques ONG.
Plus largement, le développement et les droits humains sont les parents pauvres de cette série. Un domaine pourtant très balisé pour qui aurait voulu l’explorer. Et passionnant, s’il en est, comme l’ont prouvé les auteurs des documentaires «Human.ch», curieusement refusés par la RTS malgré le format attractif et la qualité de leur travail audiovisuel (lire ci-contre).
Le choix retenu par la télévision suisse romande – des épisodes de trois minutes – a aussi de quoi laisser les téléspectateurs sur leur faim. Quelques informations factuelles sur les organisations, un entretien superficiel avec un membre du personnel sur son parcours et sa profession, et un message qui apparaît constamment en filigrane: «C’est super la coopération, j’adore mon métier». Aucune approche critique, aucune perspective.
En trois minutes, bien sûr, impossible d’aborder les enjeux, l’efficacité, les contradictions1 ou les états d’âme du personnel liés aux conditions de leur activité. N’est-ce pas pourtant la mission d’un service public comme celui de la RTS que d’approfondir ce sujet d’intérêt général? A contrario, «célébrer le rôle de la Suisse» dans la coopération fait-il vraiment partie du mandat d’un média public?
Christophe Koessler