Le Forum social mondial termine à Tunis la session la plus difficile de son existence

Cette fois-ci, il s’agissait d’une manifestation de solidarité avec la Palestine, moins nombreuse que celle du début et, de manière significative, moins nombreuse que la manifestation de clôture du Forum social mondial (FSM) 2013.
En effet, il fallut déplorer l’absence quasi-totale de grands acteurs des deux forums tunisiens : l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), l’Union des diplômés chômeurs (UDC) et même l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Ainsi que la présence réduite d’organisations internationales de premier plan comme Via Campesina. La présence active de la Marche mondiale des femmes (MMF) et du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM), avec des militants d’une poignée de syndicats européens fut l’exception.
La situation politique complexe, depuis les évènements survenus le 18 mars au Musée du Bardo (une attaque terroriste perpétrée par un commando jihadiste) explique cette situation. Ce dimanche, des milliers de citoyen-ne-s – y compris l’UGTT – sont descendus dans la rue, à l’appel du gouvernement et des principaux partis politiques tunisiens, rejoints par plusieurs dizaines d’invités internationaux pour renforcer la faible union nationale sous l’emblème de la lutte et de la condamnation du terrorisme.
Convergence dans l’action
Quelques heures avant la manifestation de clôture, le FSM a tenu à l’Université El Manar ce qui est son essence : le débat, l’échange mutuel et le consensus sur un agenda commun pour les principales mobilisations de la société civile internationale.
Depuis le jeudi après-midi, une trentaine d’assemblées de convergence thématiques ont cherché à systématiser des conclusions. L’assemblée du climat, par rapport au sommet de Paris des Nations Unies en décembre 2015, a prévu des actions et des mobilisations qui se tiendront sur les divers continents durant toute l’année : elles se concluront dans la capitale française par une sorte de contre-sommet des peuples, qui inclura des actions pacifiques de désobéissance citoyenne.
L’assemblée de l’eau et de la terre a élaboré une déclaration détaillée, réitérant que « l’eau, la terre et les semences sont des biens publics et non des marchandises », poursuivant un processus de réflexion né lors du FSM de Dakar en 2011.
La proposition de l’assemblée des médias libres insiste sur le renforcement de l’information et de la communication au service des mouvements sociaux.
Pour sa part, le Forum parlementaire mondial – qui s’est réunit le jeudi 26 mars à l’Université El Manar et fonctionne comme un espace de convergence des parlementaires progressistes – a adopté 5 motions sur des thèmes d’actualité : la construction de la paix, la migration, la dette injuste, les multinationales, ainsi que le revenu minimum citoyen.
Le futur du FSM
Ce point est revenu comme un thème transversal durant tout le FSM. Il était à l’ordre du jour du Conseil international, lors de sa réunion d’évaluation qui s’est tenue dimanche et lundi. Le futur du FSM a animé de nombreux espaces de réflexion à Tunis, il fut le thème central de l’une des assemblées de synthèse, samedi matin, réunissant une bonne centaine de participant-e-s.
L’enjeu n’est pas seulement le lieu où se tiendra le prochain Forum social mondial. Mais aussi la date de cette session, la méthodologie de fonctionnement, la présence et la visibilité du FSM sur le plan médiatique international et y compris le rôle de l’actuel Conseil international, qui agit comme « instance facilitatrice ». En résumé, tout le forum s’ouvre au débat.
« Le FSM est une nouvelle invention politique. Il exprime une autre manière de concevoir et de faire de la politique… Il a à peine 15 ans d’existence et les changements prennent du temps », résume le Brésilien Chico Whitaker, l’un des co-fondateurs et personne de référence de cet espace altermondialiste.
Whitaker n’a pas économisé les critiques – qui, vu sa participation à cette instance, prennent le sens d’une autocritique : « Quant aux propositions, le Conseil international est totalement perdu. Il y a déjà quelque temps que nous avons proposé d’euthanasier cet éléphant blanc et de chercher une nouvelle formule. Pour l’instant, nous n’y avons pas réussi. Des adeptes de la vieille manière de faire de la politique se sont intégrés à cette instance, en croyant qu’il y avait là une portion de pouvoir à disputer. Mais ce n’est pas le cas. Le FSM n’a pas de direction. Nous devons recréer des méthodes innovatrices de coordination et de facilitation ».
Le Prix Nobel alternatif 2006 a réitéré deux propositions pour ces prochains mois :revenir à la tenue du FSM parallèlement au Forum économique de Davos (WEF), « pour exister à nouveau internationalement » ;convoquer en 2016 à Porto Alegre (Brésil) un séminaire de réflexion « pour commémorer les 15 ans d’existence du Forum, en montrant que le processus continue et pour réfléchir à fond sur son avenir, en reprenant toutes les nouvelles idées qui circulent ».
Dans la pratique, cette proposition contredit l’initiative lancée par des organisations canadiennes, tendant à tenir la prochaine session mi-2016 à Montréal. « Aujourd’hui, il n’existe plus un Nord et un Sud. Nous devons globaliser les luttes. Le Canada et ses mouvements sociaux ont besoin d’être renforcés », souligne Raphaël Canet, jeune promoteur du Collectif des comités pro-FSM à Montréal en 2016. « Nous devons dépasser le concept traditionnel Nord-Sud. Il y a des mobilisations et des résistances dans les deux hémisphères. Nous avons besoin d’innovation et d’énergie pour dynamiser ce processus. Chercher de nouvelles formes de relier l’art, la créativité et l’engagement politique, en intégrant des méthodologies plus ouvertes pour faire avancer le FSM ».
Le FSM ouvre des portes nouvelles et ferme de vieilles fenêtres conceptuelles. Il n’existe ni formules ni recettes. Mais le questionnement interne apparaît comme synonyme de vitalité. Cette 2e session tunisienne – la plus complexe des dix forums centralisés tenus jusqu’ici durant ces 15 dernières années – se termine. Par des interrogations internes, par les problèmes logistiques des organisateurs locaux – problèmes plus grands qu’il y a deux ans – et par la réalité politique tunisienne. Jamais auparavant, une session du FSM n’avait été aussi menacée que celle-ci.
Sergio Ferrari, en collaboration avec Le Courrier
Traduction de l’espagnol : Hans-Peter Renk.
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L’assemblée des mouvements sociaux
La Charte de Porto Alegre déconseille la publication d’une déclaration finale par le Forum social mondial, bien que n’empêchant pas des acteurs importants de celui-ci d’émettre leurs propres prises de position. Depuis la première session, l’Assemblée des mouvements sociaux élabore sa propre déclaration. Une dynamique qui s’est répétée, une fois de plus, en 2015 à Tunis. Les points centraux expriment la continuité de la lutte contre les transnationales et contre le système financier international, en appelant pour le 18 avril 2015 à une journée d’action internationale contre les traités de libre-échange. L’engagement pour la justice climatique et la souveraineté alimentaire déclare 2015 année de mobilisation pour la justice climatique, qui culminera par une grande mobilisation citoyenne en décembre, à Paris (France), en marge de la COP21. En outre, la Déclaration dénonce la violence contre les femmes et appelle à appuyer la 4e caravane de la Marche mondiale des femmes, qui a commencé le 8 mars au Kurdistan et se terminera en octobre 2015 au Portugal. La Déclaration exprime son engagement pour la paix, contre la guerre, le colonialisme, l’occupation et la militarisation des territoirs, en exigeant réparation aux peuples victimes du colonialisme. Elle se prononce pour la démocratisation des moyens de communication et pour la construction de medias alternatifs. Elle appelle à multiplier la résistance et la solidarité par une semaine d’actions mondiales contre le système dominant du 17 au 25 octobre 2015 (Sergio Ferrarii).

 

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