Diffusée par les services de presse d’Abbott Park et de ceux de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les activistes engagés dans la lutte contre le SIDA ont applaudi la nouvelle : les laboratoires Abbott ont accepté de vendre à un coût inférieur (USD 1000.- par patients par an, soit 55% de baisse) leur médicament Kaletra contre le virus du SIDA à plus de 40 pays en voie de développement. La société pharmaceutique, sous le feu de nombreuses critiques depuis quelques semaines, a déclaré avoir agi ainsi afin de faciliter l’accès aux soins et de relancer le débat sur le prix des médicaments destinés à combattre de virus du SIDA. En augmentant l’accessibilité, Abbott se félicite de préserver le système qui permet la découverte de nouveaux médicaments. Le groupe a ajouté que les discussions seront immédiatement engagées avec tous les pays concernés qui respectent ses brevets.
Cette décision met-elle fin au conflit opposant Abbott au gouvernement thaïlandais qui autorise, depuis janvier 2007, la mise sur le marché de génériques de ce même médicament ? Il y a quelques jours encore, le laboratoire américain refusait toute négociation avec la Thaïlande, sous le couvert de la FDA (Food and Drug Administration, voir note 1), l’accusant de ne pas respecter son brevet sur Kaletra en empêchant par-là même toute innovation scientifique. En représailles, Abbott avait suspendu tous nouveaux lancements de médicaments sur le sol thaïlandais, dont la nouvelle version du Kaletra aujourd’hui proposée par Abbott à moindre coût. Cette sanction n’est à ce jour pas suspendue.
De son côté, les autorités sanitaires thaïlandaises ont salué la récente décision du géant pharmaceutique, tout en précisant qu’elles examineraient avec attention la proposition avant de rendre publique leur décision finale. Comme certains hauts représentants d’organismes actifs dans la lutte contre le SIDA, ses membres souhaiteraient que la Thaïlande puisse vendre la nouvelle version du Kaletra, et non l’anciennc qui demande la mise en place d’un système de réfrigération qu’elle ne peut offrir. Mais les dirigeants d’Abbott restent fermes : aucune négociation ne sera entreprise tant que ses brevets seront ignorés. Le dialogue n’est toutefois pas rompu, puisque dans son communiqué de presse, l’industrie pharmaceutique américaine a affirmé à Margaret Chan, Directeur Général de l’OMS, qu’elle suivrait ses recommandations afin de trouver une solution acceptable pour les deux parties.
En réponse à cette prise de position, le représentant officiel thaïlandais auprès de la FDA Dr. Suchart Chongprasert, a déclaré auprès de l’Agence France Presse : « Abbott ne nous a pas demandé de retirer nos brevets d’urgence (note 2) . Il n’y avait aucune condition. Ils nous ont juste offert une réduction de prix afin que les patients puissent avoir un accès à leurs médicaments ».
Quelle issue pour cette crise opposant profit et santé publique, respect de la propriété intellectuelle et urgence sanitaire ? La décision du géant américain est une victoire certaine pour ses détracteurs. Elle prouve que la pression internationale, relayée par de nombreuses organisations non gouvernementales et associations a su infléchir sur des décisions sanitaires d’ordre mondial. Elle donnera peut-être un nouveau tournant à « l’affaire » similaire opposant l’Etat indien au groupe suisse Novartis sur son médicament anticancéreux Glivec®?, mais ne doit cependant pas occulter le débat central portant sur la propriété intellectuelle et ses enjeux.
Le système de protection des brevets à tout prix, prôné par les grands groupes pharmaceutiques au nom de l’innovation, montre aujourd’hui ses limites. Dans les faits, et selon une étude de la revue New Scientis (note 3) les budgets en recherche et développement des grands groupes pharmaceutiques ont doublé en dix ans, mais l’investissement n’a pas eu pour conséquence beaucoup de nouveaux produits et traitements ; plus encore, l’argent a été dépensé sur des produits existants plutôt que sur la création de nouveaux médicaments. Le cas qui nous concerne ici en est la preuve flagrante.
En laissant les industries produire librement des copies de médicaments,souvent moins chers qu’à l’Ouest, la Thaïlande, aux côtés de l’Inde, a permis au monde des génériques de se développer rapidement et de devenir une source vitale de ces médicaments pour les pays en voie de développement.
Tant qu’une réglementation internationale clairement définie sur cette question de la protection de brevets ne sera pas discutée, mise en place et respectée par tous les acteurs concernés par les problèmes sanitaires mondiaux, le paradoxe liant les pays en voie de développement – qui demandent un accès libre et égal aux traitements – et les grands groupes pharmaceutiques de l’Ouest – qui détiennent les avancées technologiques – ne cessera d’augmenter. C’est au prix d’un nouveau partenariat à définir entre les instances de réglementation, les organismes médicaux internationaux, les dirigeants du monde pharmaceutique, les gouvernements, les organisations non gouvernementales et autres acteurs locaux impliqués, qu’une solution à long terme pourra émerger.
Diana Nemeth
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1. Service du gouvernement américain responsable de la pharmacovigilance, c’est-à-dire des études, du contrôle et de la réglementation des médicaments avant leur commercialisation.
2. Il fait référence aux accords de Doha que les industries pharmaceutiques ont accepté et qui autorise un Etat à mettre en parenthèse les règles de la propriété intellectuelle en cas d’urgence humanitaire.
3. Volume 193, numéro 2597, par Angela Saini.