Awa Ouedraogo est la secrétaire exécutive de la Marche Mondiale des Femmes / Action Nationale du Burkina Faso. Elle est lauréate du prix CIVIPAX pour la paix en 2005. Un couronnement, sinon une consécration, pour plus de 3 décennies d’engagement dans le monde des ONG, où Awa a lutté et lutte encore aux côtés de ses sœurs pour l’amélioration de la condition de la femme. Elle a participé à plusieurs FSM et forums africains. Interview.
Q : Quelle est votre lecture du processus des Forums Sociaux Mondiaux?
Awa Ouedraogo: La société civile est à bout. Elle ne peut plus accepter la gestion qui est faite du monde. Elle est insuffisamment considérée et se voit tenue à l’écart. Pire encore, les alternatives qu’elle propose sont souvent récupérées et exploitées à des fins politiques. Je pense que le Forum Social Mondial est une belle tribune pour la société civile qui peut s’y exprimer librement – dans le respect de chacun – sur la façon dont le monde est géré. Il est un cadre d’expression dans lequel les organisations de la société civile peuvent faire des propositions d’alternatives, pour tendre vers cet « autre monde possible » ! C’est ce que j’ai vécu à Mumbay, à Bamako, puis à Nairobi. Participer à ces grands événements m’a donné beaucoup d’espoir ! Cependant, j’ai aussi constaté que le FSM n’a jamais été accepté par les gouvernants et les politiques. De plus, les propositions d’alternatives en restent trop souvent à ce stade, sans portée réelle. Le FSM devrait rassembler toutes ces propositions et élaborer une motion à soumettre aux plus puissants dirigeants du monde. Les idées conçues durant le FSM ont peu d’impact si elles ne sont pas relayées vers les gouvernements ! Ce relais est indispensable pour influencer la gestion du monde vers plus de justice et d’équité pour chacune et chacun.
Q : Quel enseignement peut-on tirer du FSM de Nairobi 2007, le premier sur sol africain ?
AO : Le Forum Social de Nairobi en 2007 était le premier forum mondial africain. Ce fut un événement très important. Il a constitué une opportunité, pour la société civile africaine, de renforcer sa cohésion et sa visibilité et de développer davantage sa lutte pour un autre monde possible. Nous étions très mobilisés et les objectifs ont été dépassés ! Je déplore toutefois les conflits d’intérêts dont j’ai été témoin. Déjà, à Mumbay, les africains et africaines se bagarraient à propos du choix du lieu du FSM. Puis, à Nairobi, les conflits d’intérêts, notamment de leadership, ont pris une place trop importante. J’insiste sur cet aspect car j’ai la conviction que ce sont ces conflits et luttes intestines qui grèvent le développement de l’Afrique et expliquent en partie son retard. Espérons ensemble que le prochain FSM saura montrer une meilleure image du continent, dans la cohésion et la solidarité !
Q : Quelles sont vos attentes à l’égard du prochain FSM de Dakar?
AO : J’espère que ce prochain Forum Social Mondial sera le lieu et le moment, pour la société civile africaine, de faire le point sur sa gestion d’un tel événement. La société civile doit rassembler ses forces pour la cause qui nous anime toutes et tous, celle de l’avènement d’un monde mieux géré et plus juste !
Q : La proposition d´un autre monde possible, la vision altermondialiste, peut-elle représenter une base conceptuelle importante, ou décisive, pour l’essor de l’Afrique vers un autre type de développement et des réalisations pleinement sociales ?
AO : Oui, elle peut constituer une base fondamentale pour un développement plus juste et plus social de l’Afrique si les politiciens acceptent de respecter et de prendre en compte – voir d’intégrer – la lecture que la société civile fait du monde. Je dis intégrer, et non récupérer, car c’est malheureusement très souvent de cette seconde manière que les choses se passent. Les alternatives proposées par les organisations de la société civile sont régulièrement reprises par les gouvernants afin d’alimenter leurs intérêts personnels ou politiques, pour étayer les arguments d’une campagne électorale par exemple. Les précédents illustrant ce phénomène sont multiples !
Je pense entre autres à l’idée de mettre en place des Chambres d’Agriculture, afin d’aider le monde rural à se mobiliser en syndicat pour revendiquer ses droits. L’idée allait porter ses fruits, car les paysans vivent dans des conditions difficiles et ne sont pas organisés pour se défendre. L’initiative a été récupérée par l’état, qui a mis lui-même en place toute la structure… laquelle n’exige rien : « Le chien mord-t-il la main qui le nourrit ? »
La société civile a besoin de se renforcer, et les gouvernants doivent accepter de mieux prendre en compte ses avis et prises de positions. Je pense que le Forum Social Mondial peut jouer ce double rôle, qui est à la fois de renforcer la cohésion en son sein et de faire entendre sa voix auprès des gouvernants !
Nous sommes résolument pour le FSM et pour le Forum Social Burkinabé, pour une société civile forte et reconnue qui aide l’Afrique à se développer selon un modèle juste et social pour chacune et pour chacun !
Frédérique Gigma Sorg, Coopér-actrice de E-CHANGER auprès la Marche Mondiale des Femmes / Burkina Faso