Vous venez de rentrer du Nord de l’Irak. Quel impact le conflit a-t-il eu sur les personnes qui vivent là-bas?
L’insurrection et la guerre entre les groupes armés qui ont cours en Irak depuis les dernières années ont des conséquences terribles pour la population civile. On dit qu’une centaine de civils par jour y meurent en raison de cette violence. On peut facilement imaginer la surcharge de travail pour les quelques professionnels de la santé qui restent courageusement en place, les conséquences destructrices sur les infrastructures pour prodiguer les soins et les lignes d’approvisionnement de matériel et de médicaments.
Par contre, la population du Nord de l’Irak bénéficie d’une relative embellie depuis la chute de Saddam Hussein. La portion septentrionale qui revendique depuis longtemps son indépendance est aujourd’hui proclamée République autonome du Kurdistan. Peuplée majoritairement par 3 millions de Kurdes, l’armée kurde (la Peshmerga) assure la sécurité à la limite de ce territoire par un strict contrôle des entrées.
Quelles étaient les pathologies les plus courantes auxquelles vous avez été confrontées?
Notre centre hospitalier était désigné pour recevoir uniquement les blessés de guerre et les cas de brûlure. Nous recevions donc en moyenne cinq ou six patients par jour atteints par des balles ou des éclats d’explosion. Plusieurs cas de brûlures, souvent très sévères, étaient également admis quotidiennement. Pour expliquer cette fréquence élevée de brûlures, on note principalement l’usage répandu de combustibles très volatiles comme le kérosène, l’ingrédient idéal pour nombreux accidents. Par ailleurs, un bon pourcentage des cas étaient des tentatives de suicide par immolation chez de jeunes femmes.
Y a-t-il beaucoup d’autres organisations humanitaires qui travaillent dans le Nord de l’Irak pour le moment?
La relative sécurité qu’on peut maintenant observer dans la région a non seulement permis à MSF d’y reprendre ses activités, mais également à d’autres O.N.G. qui souhaitent apporter du soutien à la population Irakienne. Des dizaines d’organismes sont d’ailleurs officiellement inscrits auprès des autorités, mais ils ne sont pas tous actuellement actifs. Mais en ce qui a trait aux soins de santé, MSF est de loin l’organisation la plus active.
Qu’en est-il des risques (sécu) d’apporter de l’aide humanitaire en Irak?
Pour un travailleur humanitaire expatrié, il est actuellement impensable, pour des raisons de sécurité évidentes, d’envisager de travailler directement sur le territoire Irakien, à l’extérieur du territoire kurde. Notre aide doit donc se faire depuis la zone kurde plus sécurisée, selon deux modalités. D’une part, on assure notre présence dans des hôpitaux de référence et on y travaille pour permettre aux patients blessés de s’y rendre. L’autre volet vise à faire parvenir du matériel aux hôpitaux les plus actifs dans les zones où se déroulent des combats. Dans le projet où je participais, les deux villes principalement visées par ce soutien logistique sont Mosul et Kirkuk. Ces envois doivent être coordonnés et organisés à l’aide d’intermédiaires Irakiens qui travaillent dans ces zones à haut risque. Ces précieux auxiliaires mettent cependant leur propre vie en danger, du seul fait qu’ils s’associent aux activités d’une organisation occidentale. De ce fait, les échanges se font dans la plus grande discrétion.
MSF travaille-t-elle ailleurs en Irak?
Oui, mais pas de façon directe. D’autres sections de MSF sont basées à Amman et y assurent un soutien logistique pour approvisionner les hôpitaux de Bagdad en matériel médical. Il y a aussi un programme de chirurgie de reconstruction (orthopédique et maxillo-faciale) où les patients sont identifiés à partir de l’Irak et transportés jusqu’à Amman où ils recevront ces soins spécialisés. Finalement, on compte aussi un programme de soutien aux réfugiés Irakiens en Syrie.
Quelles sont les perspectives pour nos activités en Irak et plus généralement dans la région?
À l’heure actuelle, des travaux d’évaluation sont en cours pour élargir les activités de MSF et venir en aide également aux populations déplacées dans le Nord de l’Irak. On estime qu’une quinzaine de milliers de familles auraient quitté les régions du Sud vers les provinces kurdes du Nord. Plusieurs de ces personnes n’ont évidemment pas encore trouvé de maison et vivent toujours dans des camps.
Pour ce qui est de la présence de volontaires expatriés à l’intérieur même des frontières Irakiennes, seul l’avenir nous dira si le niveau de sécurité actuellement observé dans le Nord perdurera. Tous les efforts sont déployés pour que MSF entreprenne des activités durables dans la région, tant et aussi longtemps que la situation ne s’améliorera pas pour la population civile Irakienne sévèrement éprouvée.