Reconstruction, réduction de la vulnérabilité et développement durable : la reconstruction de l’habitat en milieu urbain après l’ouragan Stan au Mexique
Le 4 octobre 2005, l’Amérique centrale est frappée par le cyclone Stan. La focalisation médiatique sur le tremblement de terre du Pakistan nous empêche de réaliser l’ampleur de cette catastrophe, qui fait pourtant plus de 2’200 morts entre le Guatemala, le Salvador et le Sud du Mexique, ainsi que plus de 150’000 déplacés suite aux inondations.
Cet article est la synthèse d’un mémoire de DESS en études urbaines, qui avait pour objectif d’étudier les modalités de la reconstruction de l’habitat dans la ville de Tapachula au Chiapas, et de questionner plus particulièrement le projet sous l’angle du développement durable : on a cherché à savoir si la reconstruction permettait non seulement de réduire les risques liés aux inondations, mais si les autres facteurs de vulnérabilité environnementaux, sociaux et économiques étaient également pris en compte pour stimuler une reconstruction et un développement plus durables.
En effet, plus que de risques naturels, il convient de parler de facteurs de vulnérabilité aux risques naturels : si les aléas climatiques sont susceptibles de toucher n’importe quelle partie de l’espace terrestre, ce sont les caractéristiques socio-économiques propres à chaque territoire habité qui potentialisent, ou au contraire limitent les effets de ces événements. Parmi les principaux facteurs de vulnérabilité, on peut mentionner notamment:
– L’emplacement de l’habitat sur des zones à risque : on assiste souvent dans les villes du Sud à une urbanisation rapide et incontrôlée, les nouveaux immigrants pauvres des campagnes s’installant sur les seuls terrains disponibles et bon marché, qui sont souvent instables ou sujets aux inondations.
– La gestion inefficace des cours d’eau: les endiguements sont souvent insuffisants ou peu résistants, il n’existe pas de gestion globale des écoulements sur l’ensemble du bassin versant, les pentes sont mises à nu par la déforestation.
– Les facteurs de vulnérabilité socio-culturels et institutionnels : la pauvreté et le manque de connaissance des risques poussent les populations défavorisées à s’installer dans les zones de danger. La survie au jour le jour est souvent la première des priorités, et la vision d’une prévention à plus long terme dépasse les préoccupations quotidiennes. Par ailleurs les institutions publiques ne parviennent pas réduire les risques, dépassées par l’ampleur des tâches, manquant de moyens, corrompues, ou attelées à d’autres priorités de développement comme l’éducation ou la santé.
C’est souvent dans les pays en développement que les catastrophes climatiques causent le plus grand nombre de victimes, suite à une plus grande vulnérabilité. En plus des drames humains, les conséquences sont aussi sociales et économiques : destruction des maisons suite au débordement des rivières et aux glissements de terrains, destruction des infrastructures routières, des ponts, des chemins de fer, des réseaux de distribution d’eau ou d’énergie, sans parler des hôpitaux, écoles, commerces, industries et récoltes.
Aide d’urgence et assistance, ou développement durable ?
L’approche traditionnelle de la gestion des catastrophes naturelles veut qu’à phénomène exceptionnel et ponctuel doivent également répondre des mesures d’urgence limitées dans le temps. C’est sur ce principe que se base l’aide d’urgence apportée en général après de tels événements. L’exemple du Tsunami de décembre 2004 a été à cet égard révélateur : au déferlement de l’océan sur les côtes a succédé le raz-de-marée de l’aide humanitaire du monde entier, sans aucune proportion avec les besoins réels : Richard Werly [Tsunami : la vérité humanitaire, 2005] nous rapporte qu’en mars 2005, 2000 containers d’aide humanitaire pourrissaient sous le soleil d’équateur à Medan, le principal port d’acheminement pour la province d’Aceh en Indonésie. Ce gaspillage de ressources pose la question de l’adéquation entre les besoins des populations et l’assistance prodiguée par les agences internationales. Les médicaments et la nourriture sont certes indispensables, de même que les abris d’urgence, mais qu’en est-il des besoins à plus long terme : activités économiques, besoins à long terme de la population en matière de logement, d’emplois et de santé, gestion des problèmes environnementaux. Se contente-t-on d’étouffer la population et l’économie locale sous une avalanche de biens de consommation et de bons sentiments, ou au contraire cherche-t-on à mettre en place des outils pour réduire la vulnérabilité et favoriser un développement durable, afin que les catastrophes futures n’aient plus des conséquences aussi dévastatrices?
L’aide d’urgence est certes indispensable, mais qu’en est-il du développement à plus long terme, une fois la survie assurée ? Ces personnes vont-elles rester dépendantes, dans une attente passive de l’aide extérieure, ou les encouragera-t-on à reprendre leur destin en main? Déstructurera-t-on une économie locale souvent fragile en l’inondant de produits et de financements extérieurs, ou fera-t-on appel aux travailleurs et au savoir-faire locaux, en utilisant les traditions et les matériaux connus sur place ? Agira-t-on uniquement sur le site touché, ou développera-t-on une approche globale du système naturel et social qui a engendré la vulnérabilité ?
L’aide humanitaire s’occupe souvent peu de ces questions : une fois passée l’urgence, la suite est laissée aux autorités locales, qui dans le meilleur des cas peuvent espérer l’appui des acteurs de la coopération au développement déjà sur place. La gestion des crises humanitaires puis les besoins de reconstruction et de développement doivent être abordés dans un processus intégré et continu. Le continuum de l’action doit être temporel : il faut lier l’urgence au développement à long terme. Il doit être spatial : on abordera la problématique non seulement sur les lieux du drame, mais également dans ses interactions avec l’ensemble de la société et de l’écosystème. L’intégration est aussi importante au niveau institutionnel : il s’agit de renforcer les liens entre les agences humanitaires et celles du développement, entre la population et l’administration, entre les différents experts impliqués.
On voit exposée ici la nécessité d’une approche globale, basée non seulement sur l’aide extérieure, mais aussi sur la création de compétences au niveau local. La langue anglaise parle d’ « empowerment », ce qui traduit bien l’idée de transmettre des compétences et une autonomie aux populations, aux institutions et à l’économie locales, en les rendant actives dans le projet de reconstruction, plutôt qu’en réduisant leur rôle à celui simple débiteur passif et reconnaissant de l’aide gouvernementale ou étrangère. Il ne s’agit pas seulement d’offrir la béquille, il faut aussi enseigner à marcher.
A Tapachula, ville frontière du Sud-Ouest du Mexique, ce sont environ 2’200 maisons qui ont été emportées par la furie des eaux au moment de l’ouragan Stan. Le projet de reconstruction de l’habitat a principalement consisté en la réalisation, par une entreprise mandatée par l’Etat du Chiapas, de 2’459 maisons individuelles identiques de 38m2 chacune, situées sur un site unique de 23 hectares. Le site de la reconstruction se localise en dehors de toute zone urbanisée, à huit kilomètres du centre-ville. Ce travail a cherché à évaluer dans quelle mesure le projet de reconstruction contribuait à la réduction des multiples facteurs de vulnérabilité et au développement durable. Les questions auxquelles on a plus particulièrement cherché répondre étaient les suivantes :
– S’est-on appuyé sur les atouts locaux pour la reconstruction, en particulier les entreprises locales, les ONG locales, les populations sinistrées ? Les mesures de reconstructions ont-elles eu des retombées positives au niveau de l’environnement, du bien-être social ou de l’économie locale ?
– Comment la population a-t-elle pu participer au processus de reconstruction ? Quels choix leur ont été proposés, a-t-on tenu compte des situations particulières propres à chaque famille ?
– Comment le projet a-t-il tenu compte des impératifs de l’aménagement du territoire : relations avec la planification existante, desserte en transports publics, qualités urbaines du nouveau quartier, offre de services de base, etc.
– Le projet a-il contribué à une meilleure gouvernance, à savoir une meilleure coordination horizontale entre l’ensemble des administrations concernées, ainsi qu’à une plus grande interaction entre les administrations, l’économie privée et la société civile ?
On a montré que ce projet mexicain peut être considéré comme exemplaire d’un modèle de type «assistanciel», où les options sont entièrement définies et dirigées au niveau de l’État ou de ses mandataires. Cependant, à ce modèle « top-down » peuvent être opposés d’autres modèles plus « participatifs ». La participation de la population peut se décliner sur plusieurs degrés, allant de l’auto-construction complètement autonome à différents modèles où des agents extérieurs, en général des ONG, offrent leur appui sous forme de matériel, d’aide à la gestion du projet ou de soutien technique.
Aucun modèle n’est parfait: le modèle « assistanciel » a en général le mérite de la rapidité des résultats et de la normalisation des aides apportées. Il est également porteur du point de vue politique, les élus pouvant faire valoir de manière dûment quantifiée l’efficacité de l’action publique. Il est en revanche peu à même de prendre en compte la variabilité des besoins et les particularités locales. Le modèle participatif, au contraire, intègre mieux les populations concernées, mais suppose souvent des tâtonnements et de longs processus. Ces deux modèles dialoguent rarement, le premier type étant en général le préféré des administrations centralisées, le second celui des ONG sensibles au concept de participation.
Une reconstruction optimisée devrait semble-t-il tirer parti des avantages propres à chacune des approches, en développant des synergies plutôt qu’en les opposant. On peut proposer deux principes propres à favoriser l’efficacité de la reconstruction sans nier la diversité propre au grand nombre d’acteurs impliqués : le principe d’autonomie, et le principe de cohésion.
Selon le principe d’autonomie, chaque acteur du projet devrait trouver la place qui lui permette de faire valoir ses attentes, et de valoriser ses compétences, en fonction des besoins de l’ensemble du projet. D’un côté, les administrations ont un rôle central à jouer dans le mise à disposition d’experts, dans l’analyse des données techniques, ainsi que pour le contrôle de l’usage des ressources. Elles devraient aussi avoir pour tâche de coordonner l’ensemble du processus, sans que coordonner signifie nécessairement imposer. Mais les pouvoirs publics devraient aussi reconnaître les limites d’une gestion totalement centralisée, et savoir faire appel à la société civile pour mettre en œuvre les objectifs de reconstruction sur le terrain. Ainsi à l’opposé des grandes administrations centrales, les ONG et les organisations à base communautaire sont en contact avec les réalités locales et devraient avoir pour tâche de mobiliser les populations touchées autour du projet de reconstruction. Elles sont en effet les plus à même de faire émerger un diagnostic des besoins véritables de la population, et de rassembler les personnes sinistrées autour du projet. Leur implication au quotidien dans la vie communautaire leur permet de mieux connaître les réalités sociales, économiques et culturelles, et en fait des interlocuteurs crédibles auprès des personnes touchées.
Il est illusoire de penser qu’un seul acteur, que ce soit l’Etat ou une ONG, pourra à lui seul maîtriser l’ensemble des enjeux de la reconstruction. Mais chaque acteur, de l’habitant sinistré jusqu’au haut fonctionnaire, en passant par les entreprises locales, devrait trouver au sein du projet une fonction à la hauteur de ses attentes et de ses compétences, qui tienne également compte de ses limites. En particulier, la plus grande marge de décision devrait être laissée aux bénéficiaires pour définir et gérer la reconstruction de leur nouvel habitat, par exemple par l’octroi d’une somme d’argent. On peut en effet considérer que rendre les bénéficiaires autonomes et responsables est la meilleure garantie d’une allocation optimale des ressources, pour autant qu’un soutien et un encadrement accompagnent la démarche.
Pour répondre à ce principe d’autonomie, le projet devrait aussi suivre le principe de cohésion, afin d’éviter que la somme des intérêts particuliers ne fasse pas perdre de vue les objectifs d’ensemble: la coordination à mettre en place est certes très complexe, mais une synergie peut être créée en construisant un consensus autour des objectifs généraux et des principes à suivre pour la reconstruction. Ces principes et objectifs devraient pouvoir être adoptés par tous, être une sorte de charte commune, et avoir pour référence les objectifs du développement durable. L’important est en effet de développer un langage commun, un référentiel partagé, créant une culture commune à laquelle l’ensemble des acteurs pourront s’identifier. Cette mise en cohésion des différents acteurs devrait peut-être être la tâche spécifique d’une entité externe, d’une structure spécifique de gestion de projet qui soit à la fois indépendante des sources de financement, des administrations, et des organes de la société civile.
L’ensemble du mémoire est accessible sur le site d’Urbanistes sans frontières:
http://www.urbansf.org/activites/recherche/recherche-page.htm
Jean-Philippe Dind, géographe
Assistant-doctorant à l’Institut de géographie, Université de Lausanne
Géographe-urbaniste à Team+, Lausanne
Email : jean-philippe.dind@unil.ch