A l’origine du mot favela : une plante

Février 2007, alors que le carnaval de Salvador bat son plein, nous profitons de quelques jours de congé pour nous rendre à Ipêterras afin de visiter d’autres coopérants en partenariat avec E-Changer. Leur projet se situe à Irecê (appelée autrefois terre du feijão), petite ville du Sertão à huit heures de bus de Salvador dans la région la plus aride mais aussi la pauvre du pays. A force d’exploiter la terre avec des monocultures, à force de défricher la forêt pour obtenir de nouveaux pâturages, l’Homme a totalement modifié un écosystème fragile qui avait su déjouer les facéties d’un climat à priori hostile. Autrefois des forêts s’étendaient dans cette région alors qu’aujourd’hui, le Sertão ressemble à d’interminables prairies verdoyantes lors de la saison des pluies et à un désert terreux lors des dix mois de sécheresse annuel.
 
« La désertification est un processus graduel de dégradation du sol et de perte de fertilité de la terre. Les principales causes de la désertification sont les conditions climatiques extrêmes et certaines activités humaines dites non-durables comme la déforestation, l´utilisation de produits chimiques en agriculture, l´irrigation abusive, les pratiques de brûlis, l´utilisation de machines qui compactent la terre, etc. Ces activités peuvent créer l´érosion, l´assèchement des cours d´eau, la perte de fertilité du sol et la perte de la biodiversité. Enfin, lorsqu´une terre est dégradée, cela favorise la pauvreté, l´exclusion sociale, les tensions sociales, etc. Alors qu´un écosystème prend plusieurs milliers d´années pour se constituer, il peut disparaître en quelques années », explique Jean-David Rochat, volontaire E-Changer*.
 
Ipêterras est une petite ferme isolée au milieu de la campagne où vivent toute l’année India, responsable du projet, Jean-David, et la petite Poema. Quand nous sommes arrivés, nous avons découvert un petit havre de paix verdoyant, avec toutes sortes de plantes qui nous étaient inconnues et de magnifiques arbres fleuris.
 
Le projet Ipêterras se repose sur les principes de la permaculture qui constitue un ensemble de pratiques et de mode de pensée visant à générer une production agricole durable, en favorisant l’économie d’énergie (travail manuel et mécanique, énergies renouvelables telles que le solaire…) afin de respecter tous les organismes vivants, notamment dans leurs relations réciproques. Elle tend à créer un équilibre entre un écosystème conçu par les humains afin de produire sa propre nourriture et un environnement dit sauvage dans l’optique de préserver la biodiversité. Ecologie, paysagisme, agriculture biologique et pédologie (N.d.l.r. : science qui étudie les sols, leur formation et leur évolution) rentrent donc en ligne de compte lorsqu’il s’agit de développer un projet de ce type.
 
Celui d’Ipêterras ne se limite pas à la simple application des préceptes de la permaculture. La roça (petite ferme de l’intérieur du pays) se veut aussi un lieu d’accueil pour sensibiliser le plus de personnes possibles à propos des différentes problématiques environnementales,  plus particulièrement à propos de la désertification du Sertão. Classes scolaires, bénévoles, volontaires, chercheurs, familles indigènes se succèdent sur place. India, maîtresse du lieu, nous a livré quelques secrets lors d’une visite du terrain géré par Ipêterras.
 
Composée de six petits pavillons circulaires et d’une maison principale, le centre d’Ipêterras ressemble à un petit village indien qui nous a rappelé l’architecture anthroposophe. Sur chaque toit, des panneaux solaires attestent de la volonté de ses habitants à travailler avec des énergies renouvelables. Rien n’est gaspillé, surtout pas l’eau ruisselant des toits. Tout autour, de nombreuses citernes servent à la récolter durant la saison des pluies. A titre de comparaison, Jean-David nous explique qu’il pleut en deux mois l’équivalent de la précipitation annuelle de la ville de Sion (N.d.l.r. Ville suisse située en Valais), puis plus une goutte. Lors de cette période d’averses abondantes, la terre n’absorbe pas toute l’eau créant des glissements de terrain et des inondations. Le déficit forestier accentue ce phénomène ; sans arbres, sans racines pour retenir la terre, l’eau glisse à la surface du sol emmenant avec elle toutes les petites pousses végétales qui venaient de germer. Planter dans ces conditions relève d’un défi constant et d’un effort continu. Cela fait maintenant dix ans que l’institut de permaculture Ipêterras s’efforce de mettre en terre toutes sortes de végétaux propres à la région afin de rétablir un écosystème naturel. Un travail qui porte littéralement ses fruits puisque les quelques hectares leur appartenant détonnent totalement avec l’ensemble des terrains avoisinants.
 
India ne se lasse jamais de présenter chaque plante et de prendre le temps d’expliquer aux visiteurs ses propriétés médicales. L’Aloé Vera, par exemple, bien connu dans les produits cosmétiques, possède des vertus médicales quant à la cicatrisation de la peau et constitue un excellent remède en cas de cholique. Contre le mal de dos, elle nous a conseillé un anti-inflammatoire naturel : de l’écorce d’Aruêra à boire diluée dans de l’eau.
 
Aucune plante ne semble lui échapper et chacune d’elle sonne comme un trésor caché. India vient à nous présenter la faveleira épineuse et robuste. Ce petit arbuste serait, selon elle, à l’origine du mot de la favela (les bidonvilles du Brésil).
 
Elle nous a raconté qu’en 1889, après la proclamation de la nouvelle République du Brésil, se faisant passer pour un prophète et allant de ville en ville accompagné par un groupe de fanatiques, Antônio Vicente Mendes Maciel surnommé Antônio Conselheiro (le conseiller) annonçait le retour attendu du Roi Sebastien 1er du Portugal. Petit à petit, il devint une menace pour la nouvelle République du Brésil qui ne voyait pas d’un bon œil la propagation des idées monarchistes et séparatistes de ces anciens colons. En 1893 Antônio Conselheiro décida de s’installer définitivement dans la ferme de Canudos près de la ville de Monte Santo situé dans le Sertão, le long de la rivière Vaza-Barris, avec ses disciples désormais nombreux. Après maintes campagnes militaires, la République du Brésil vint à bout de cette communauté le 2 octobre 1897.
 
Lors de ce conflit nommé Guerre de Canudos opposant la force armée du Brésil à plus 30 000 colons dirigé par Antônio Conselheiro, le gros des soldats brésiliens campait sur le morro da favela (la colline de la favela), nom donné à cette colline de par la présence de l’arbuste typique du Sertão : la faveleira. Etant un épineux urticant, les soldats n’hésitèrent pas à y jeter de nombreux cadavres. A leur retour à Rio de Janeiro, près de 10 000 recrues, à qui la République avait promis des maisons sur place, se sont installés sur le morro da Providência, dans la périphérie de la capitale brésilienne d’alors.
 
Certains prétendent qu’ils y trouvèrent à nouveau la faveleira, d’autres expliquent que leurs baraques provisoires les rappelaient aux souvenirs pénibles du campement qu’ils avaient construit lors de la guerre de Canudos. La favela est devenu dès lors le substantif de quartiers populaires situés en périphérie, occupé par des populations dans l’attente d’un logement digne. Ironie du sort, en proie à des excès de violence, certains de ces quartiers périphériques sont, aujourd’hui, réputés pour être des lieux où la police déverse des cadavres de supposés délinquants.
 
Venus nous changer les idées loin des problématiques urbaines, nous en sommes quitte à découvrir l’origine du mot qui nous a amené jusqu’au Brésil. Pour l’anecdote, alors que nous appuyons la lutte contre la « favelisation » de Salvador, nous avons contribué à la mise en terre de plusieurs faveleiras destinées à devenir une barrière naturelle entre le terrain d’Ipêterras et le champ du voisin.
 

Claire Rinaldi et Olivier Grobet

 
*Voir leur site http://www.ipeterras.org/sertaosolidaire2.htm
Ipêterras recrute des volontaires – http://www.humanitaire.ws/forum/viewtopic.php?t=1350
Leur site http://www.ipeterras.org/

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