11 juin 2005, la réunion des ministres des Finances du G8 s’est achevée par une annonce très médiatique: l’annulation historique de la dette des pays pauvres. Confirmée lors de la réunion de Gleneagles qui s’est déroulée au mois de juillet, il n’en est pas moins que cette déclaration est restée laconique. Au-delà de l’effet médiatique, d’une annulation globale on est passé à une mesure qui s’appliquerait, en fait, aux pays jugés les plus pauvres : PPTE (Ndlr : pays pauvres très endettés). Le Bénin, la Bolivie, le Burkina Faso, l’Ethiopie, le Ghana, le Guyana, le Honduras, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Mozambique, le Nicaragua, le Niger, le Rwanda, le Sénégal, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie font tous partie des nations bénéficiant de cette décision.
A y regarder de plus près, cette liste n’est de loin pas exhaustive. La société civile mondiale estime que plus de 62 états devraient pouvoir en bénéficier pour atteindre les objectifs du millénaire (lire encore http://www.humanitaire.ws/plus_info.php?idnews=266 ). En réalité, cette mesure est réservée aux pays auxquels la dette ne leur permet plus de survivre légitimement. Pour obtenir de l’aide, ils doivent respecter les conditions édictées par le FMI et la Banque mondiale et cela pendant trois ans. Au terme de cette période, ils atteignent le point de décision, point crucial quant à un éventuel allégement de la dette. Pour bénéficier d’autres mesures d’allégement, ces nations sont soumises à des critères de bonne gouvernance. Après trois nouvelles années de tutelle, ces mêmes pays atteignent le point d’achèvement et bénéficie d’une nouvelle réduction, ou sont présumés être de « mauvais élèves » et sont soumis à une nouvelle période probatoire, synonyme d’ajustements structurels. Autant dire que le paradigme néolibéral a plus qu’un simple droit de cité dans ces programmes.
La redistribution des richesses comme bonne gouvernance
En terme de bonne gouvernance, le FMI et la Banque mondiale incitent les pays liés à l’initiative PPTE à adopter des mesures jugées adéquates : les réformes macroéconomiques sont associées à une plus grande redistribution des fonds débloqués au niveau des dépenses sociales et de la lutte contre la pauvreté. Les changements stratégiques des pays bénéficiaires doivent figurer dans un rapport adressé au FMI, à la Banque mondiale, ainsi qu’à la société civile.
Il y a quelques mois, une première analyse de l’atténuation de la dette figurait sur Humanitaire.ws. « Dans le fond, alléger une dette sachant que le ratio de la dette extérieure par rapport aux exportations est un critère fondamental de l’indice de pauvreté de ces pays signifie que plus nous rendons ces mêmes nations affranchies d’un point de vue financier, plus nous les rendons concurrentiels. Or, être concurrentiel donne les moyens d’exporter. Leur ratio changeant, ces pays n’aurait plus le droit aux allégements du FMI, les ramenant inévitablement à leur dette extérieure. Bref, maintenir les pauvres à leur place, juste au-dessus d’un seuil de pauvreté intolérable, tel pourrait être la devise d’une mondialisation centrée sur les gains des Etats puissants. » (http://www.humanitaire.ws/rubriques/plus_inforubrique.php?idnews=138). Le contexte international a-t-il réellement évolué depuis ?
Selon le comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde ( http://www.cadtm.org/ ), « un changement d’approche est annoncé : si l’on en croit le G8, il s’agirait pour la première fois d’une véritable annulation de stock de la dette et pas d’un simple financement du service de la dette versé aux institutions multilatérales. »
Un dû par procuration
Attention toutefois aux leurres que cette mesure suggèrent. L’annulation de la dette ne signifie en rien que les 18 pays en question ne devront plus aucun denier à la communauté internationale. En effet, toujours selon le comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, la Banque inter-américaine de développement (BID), la Banque asiatique de développement (BAsD) ne sont pas incluses dans ces décisions. Or, ces banques multilatérales réclament des sommes importantes à certains PPTE tels que la Bolivie, le Nicaragua, le Honduras, la Guyane, le Vietnam et le Laos.
Générosité impériale ou impérialiste ?
Plutôt que d’annoncer que les pays riches sont sur le point d’effacer la dette de 18 pays très pauvres, afin de rétablir un semblant d’objectivité, il vaudrait mieux relater que sous le couvert d’une annulation partielle de la dette, par le truchement des conditions de l’initiative PPTE, les nations riches sont sur le point d’instaurer une nouvelle forme d’ingérence. La tutelle du FMI et de la Banque mondiale suppose une privatisation des ressources naturelles dans un contexte néolibéral et donc sans protectionnisme possible. Ouvrir la porte de telle sorte aux grandes multinationales engendrent inévitablement une main mise des secteurs économiques stratégiques au profit des ces mêmes transnationales. La suite logique ? Inflation, explosion des coût de la santé, probable augmentation de la TVA, évasion de capitaux vers les paradis fiscaux…et mort de nombreuses PME locales, de petits et moyens producteurs, incapables de résister à une libre concurrence en leur entière défaveur.
D’une main les nations riches effacent la dette, et de l’autre elles s’emparent de nouveaux marchés. Faut-il y voir une générosité impérialiste ? Afin d’assurer une réelle redistribution des richesses et de prendre en main la question de la pauvreté dans le monde, la notion de bonne gouvernance devrait peut-être reconsidérée au Sud comme au Nord.Olivier Grobet
Les critères exigés pour faire partie de la liste des pays dont la dette est annulée
Tous les pays susceptibles de voir leur dette annulée doivent répondre à certains critères. Les 18 pays choisis par le G8 font face à une dette dite « insupportable « , ne pouvant objectivement pas être réduite grâce à des stratégies économiques de redressement, ni même par des mesures ordinaires d’allégement de la dette, ce qui confère à ce pays le droit d’être membre de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés). Pendant plusieurs années, ces mêmes pays se sont efforcés de répondre aux exigences du FMI et de la Banque mondiale, notamment au niveau de leur politique économique. Si au bout de trois ans de tentatives de redressement, le pays se trouve dans le même rapport de proportion entre sa dette extérieur et son PNB, il atteint le » point de décision « , car sa dette est reconnue comme insoutenable. Le pays est mis sous perfusion jusqu’au » point d’achèvement « , moment où la dette est reconnue comme soutenable. Il bénéficie toutefois d’une nouvelle opportunité d’alléger à nouveau sa dette une fois ce point atteint. (GO)
Une réflexion sur « Annulation de la dette : leurre médiatique ou réel pas en avant ? »