Entre protection des capitaux ou de la santé, la Suisse a tranché… en faveur des premiers.
La plainte déposée par la transnationale cigarettière Philip Morris contre l’Uruguay n’aura pas de solution politique bilatérale. La procédure se poursuivra donc sur le terrain juridique selon les voeux de l’entreprise, d’après la réponse du Conseil fédéral à une interpellation de la conseillère nationale Marina Carobbio. «C’est une opportunité manquée pour la Suisse de montrer une certaine cohérence dans la lutte contre le tabagisme», réagit la socialiste tessinoise. La transnationale US possédant un siège en Suisse reproche en effet au pays latino-américain d’entraver ses investissements par sa législation sanitaire antitabac. Pour Berne, la seule voie de résolution du conflit se trouve au sein du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), organisme rattaché à la Banque mondiale et garant de la «sécurité juridique» des investissements internationaux. Un domaine d’une «importance considérable pour l’économie suisse», écrit le Conseil fédéral, qui relève qu’«avec un volume d’investissements directs à l’étranger de quelque 866 milliards de francs (2009), notre pays compte parmi les plus gros exportateurs de capitaux au monde». «Afin d’accroître [la] sécurité juridique, continue-t-il, la Suisse a tissé le troisième plus grand réseau mondial d’accords bilatéraux de protection des investissements (APPI).»
Souveraineté sanitaire
La possibilité évoquée par l’ex-président uruguayen Tabaré Vázquez – lors d’un entretien paru dans Le Courrier du 4 décembre 2010 – de modifier l’accord bilatéral Suisse-Uruguay, en excluant de ce dernier les produits dommageables à la santé de la population, récolte donc cette réponse sans équivoque: «Exclure des mesures réglementaires poursuivant un intérêt public en tant que telles ou des secteurs économiques entiers du champ d’application des APPI contreviendrait au but de ces accords, qui consiste à protéger les investissements étrangers dans tous les secteurs contre les pratiques contraires au droit international public».
A la fin de l’année dernière, Tabaré Vázquez, inspirateur des lois antitabac et oncologue bien connu, avait demandé la solidarité du gouvernement, du parlement et de la société civile suisses dans le procès intenté à son pays par Philip Morris.
L’entreprise a en effet porté plainte devant le CIRDI, estimant ses intérêts lésés par la loi uruguayenne selon laquelle 75% de la surface de chaque paquet de cigarette doit contenir des photos et des messages avertissant de la dangerosité du produit. En outre, l’Uruguay n’accepte pas la distinction «light» donnée à certains types de tabac.
Pour M. Vázquez, chaque Etat du monde a le droit de veiller à la santé de ses habitants. Entre les intérêts économiques et la santé de la population, le choix ne fait aucun doute: «Dans le conflit avec Philip Morris, la souverai- neté uruguayenne est en jeu», affirme-t-il.
«La position du Conseil fédéral est lâche et honteuse. Notre gouvernement se base seulement sur des petits intérêts économiques à courte échéance et oublie l’activité meurtrière des grands cigarettiers, surtout dans les pays en voie de développement», réagit le docteur Franco Cavalli, ex-président de l’Union internationale de lutte contre le cancer (UICC).
L’ancien conseiller national socialiste prédit, en outre, que «par sa décision, le Conseil fédéral va se heurter violemment à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a, ne l’oublions pas, son siège à Genève».
Pas terminé
Marina Carobbio pense, de son côté, que «la réponse rédigée par le Département de l’économie n’a pas fait l’objet d’une discussion approfondie du gouvernement». La députée annonce donc son intention de relancer le débat, en impliquant cette fois le pouvoir législatif.
Sergio Ferrari
Traduction H.P. Renk
Collaboration de presse Le Courriere et E-CHANGER