Brésil: « NOUS NE VOULONS PAS DE RETOUR EN ARRIERE »

Alors que s’approchent les élections présidentielles du 3 octobre prochain, le mouvement social brésilien des paysans *Sans-Terre* (MST) réfléchit à haute voix à la situation du pays. En particulier, en faisant une critique de la gestion du Parti des Travailleur (PT) et du président Lula da Silva, lors de ces 8 dernières années de gouvernement. Cependant, il est clair pour Janaina Stronzake, jeune membre de la coordination nationale du MST, que “nous ne voulons pas du retour en arrière que le programme du candidat de la droite José Serra représente”. La responsable de la formation et de la culture du MST réside provisoirement et pour une année en Espagne, dans le cadre d’un mandat de Via Campesina.

Q : Pourriez-vous nous expliquer la vision de votre mouvement sur la situation brésilienne actuelle ?
JS: Du point de vue des mouvements sociaux, nous connaissons un chemin très difficile. On assiste à une présence toujours plus active des transnationales, de l’agro-commerce, d’une droite aux projets ambitieux. Quelques constats: la criminalisation des mouvements sociaux, opérée par la justice et par le Congrès national avec sa commission d’enquête parlementaire qui veut faire passer en force l’argument d’un « enrichissement » illicite du MST. L’offensive politique et militaire de la droite, des grands propriétaires fonciers et de leurs milices armées. L’activité d’un appareil médiatique très puissant qui fait leur jeu. On traverse un désert, où la concentration de la terre continue. Durant ces 10 dernières années, cette concentration a augmenté: il n’y a eu ni réforme agraire, ni démocratisation de l’accès à la terre. Selon plusieurs statistiques très sérieuses, le Brésil continue d’être le champion mondial de la concentration des terres… Et la distribution n’avance pas.
   
Q. Cette analyse représente un bilan très critique du MST envers la gestion de Lula ?
 
JS. La gestion de Lula a duré 8 ans, et a la possibilité de continuer 4 ans de plus avec Dilma Rousseff. Ces 8 années de Lula suivent aux 8 précédents de Fernando Enrique Cardoso, avec son Parti Social-démocrate Brésilien, (PSDB), qui ont laissé le Brésil parmi les pays les plus polarisés du monde au niveau social ; qui ont approfondi la pauvreté et offert le patrimoine du peuple brésilien au grand capital, comme le montre l’exemple de la Mine Vale do Rio Doce, qui a été vendue pour le 10% de sa valeur réelle dans une manœuvre de privatisation vraiment atroce. La gestion de Lula a commencée dans ce cadre historique défavorable. Cependant, cela ne justifie pas tout. Le principal aspect négatif du gouvernement Lula a été la non-exécution de la réforme agraire, qui est définie par la loi. Et les bénéfices qu’il a apportés à l’agro-commerce, aux banques et aux multinationales en général.
 
Q. Pourriez-vous approfondir un peu le thème de la distribution de la terre comme tâche non conclue ou comme dette du gouvernement Lula…
 
JS. Le Statut de la Terre, une loi datant de 1964, très actuelle en termes de démocratisation de l’accès à la terre et d’utilisation des ressources naturelles, prévoit déjà la Réforme Agraire et définit la fonction socio-environnementale de la terre. Le gouvernement de Lula, cependant, a privilégié l’agro-commerce, c’est-à-dire la grande production agricole, qui concentre 90% du crédit agricole et occupe 75% des terres, mais ne produit que 30% de l’alimentation des brésiliens. Par contre, les paysans ne possèdent que 25% des terres, accèdent à un petit 10% du crédit agricole de la banque publique, mais produisent 70% de tout ce qui se mange dans le pays. Et ce sont là des chiffres officiels du Recensement Agricole 2006, réalisé par l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGS), une institution gouvernementale.
Maintenant, on promeut un Code Forestier qui répond aux exigences des grands propriétaires terriens, afin d’approfondir la dévastation de l’Amazonie et d’autres réserves naturelles. Ce projet est en discussion au Congrès National, et s’il est approuvé par les députés, il va promouvoir plus de déforestation, l’exode rural, les monocultures et une plus grande concentration des terres.
Un autre aspect préoccupant a été la libéralisation des organismes génétiquement modifiés (OGM). La Commission Technique Nationale de biosécurité est contaminée par des entreprises comme Monsanto. Des entreprises publiques comme EMBRAPA (Entreprise Brésilienne de Recherches Agricoles) développent des alliances avec des multinationales comme la Syngenta, afin de développer de nouveaux OGM, comme dans le cas de la canne à sucre. Nous ne pouvons pas oublier que la Syngenta est la responsable de l’assassinat du paysan et militant du MST Valmir Motta, dans l’Etat du Para en octobre 2007. Rien que pour cela, elle aurait du être expulsée du Brésil!
 
Q. Est-ce que le MST reconnaît des aspects positifs dans la gestion de Lula?
 
JS. Bien sûr. Le plus évident est la “Bourse Famille”, un plan d’assistance d’urgence pour les familles très appauvries. Grâce à cela, 35 millions de personnes disposent aujourd’hui d’une alimentation de base. Il s’agit là d’une mesure conjoncturelle, mais son impact positif n’est pas en doute.
D’autre part, 97% des enfants vont aujourd’hui à l’école. Ce qu’il manque à présent c’est d’améliorer l’éducation publique.
Pour nous, l’un des aspects les plus importants du gouvernement de Lula est sa politique extérieure. Les alliances et rapprochements avec le Sud, avec l’Amérique Latine, avec le Moyen Orient, l’Asie… sont des exemples d’un changement réel de la politique extérieure. Il y a eu des prises de position très importantes, comme de s’opposer au coup d’Etat au Honduras, en faisant front au rouleau compresseur de Washington. Cependant, le Brésil maintient des troupes à Haïti, ce qui est une honte.
 
Q. Dans ce contexte d’erreurs et de réussites, quelle est la posture électorale du MST?
 
JS. Je peux exprimer ma position. Je sens que dans le monde il y a deux forces qui se conforment: une de droite, par moment presque fasciste. Et une autre qui opte pour le concept du Bien Vivre.
Cela ne signifie pas que nous ayons aujourd’hui en Amérique Latine des Gouvernements idéaux, purs. Mais il existe le risque que le changement soit en direction d’un retour en arrière, ce qui impliquerait un retour vers le passé terrible pour la grande majorité des gens.
Nous ne croyons pas vraiment que les élections soient la solution à tout. La solution consiste en l’approfondissement de la réforme agraire et la transformation sociale. Et cela ne peut être réalisé que par les gens, le peuple, au travers d’une participation active en tant que principal protagoniste, et non pas en se limitant à émettre un vote tout les 4 ans.
Cependant, nous sommes conscients que José Serra, le candidat de la droite brésilienne, représente les riches, le grand capital international, l’anti-Etat social. Notre Amérique Latine a beaucoup souffert au cours de ces 500 dernières années, et nous ne voulons plus d’exploitation, d’esclavage, de misère. Dans l’Etat de Rio Grande, où durant ces 4 dernières années a gouverné le partit de parti de José Serra, le PSDB, nous avons un bon exemple de ce qu’ils proposent à l’ensemble du pays: fermetures d’écoles, fin des programmes sociaux, répression ouverte et violente contre les paysans et les syndicalistes…

Q: Une situation politique future qui, en tout cas,  implique des défis fondamentaux pour le Mouvement des Sans Terre…
 
JS: Effectivement. Il faut tout d’abord rappeler que le MST est né en 1984, en se proposant de lutter pour la terre, pour la réforme agraire et pour les transformations sociales.
La lutte pour la terre implique des pas simples. Nous nous organisons, nous identifions une grande propriété improductive, nous nous munissons de quelques pinces et outils, nous coupons les fils de fer et nous commençons à produire.
La lutte pour la réforme agraire est un pas plus compliqué. Le troisième, c’est-à-dire l’amélioration du niveau de vie de tous, à la campagne et à la ville, est encore plus compliqué.
 
 Par Sergio Ferrari et Beat Tuto Wehrle – –
* En collaboration avec le journal suisse Le Courrier
  Traduction Mathieu Glayre et H.P. Renk, collaboration E-CHANGER
 
www. e-changer.ch
 
www.lecourrier.ch
 
 

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