Burkina Faso: De la crise de 2011 aux les élections législatives et municipales de fin 2012

Q : Il y a un peu plus d’un an, de février à mai 2011, le Burkina Faso a vécu une violente crise socio-politique et militaire. Peux-tu nous en rappeler le contexte ?
Martina Rönicke Kaboré : La crise a secoué tout le pays avec d’importants dégâts matériels et humains : elle a coûté la vie à plus de cinquante personnes. Les étudiants marchaient pour la justice et contre l’impunité des auteurs du décès non seulement de leur camarade, mais de tous ceux qui meurent dans les commissariats chaque année. Des mutineries militaires ont semé la terreur et pillé des villes pour protester contre la hiérarchie qui s’enrichit au détriment des simples soldats. D’autres corps de métier tels les policiers, les instituteurs, les magistrats, les commerçants, les producteurs de coton, les ouvriers des mines, etc. ont organisés des manifestations, souvent pacifiques, pour faire entendre leur voix et réclamer de meilleures conditions de travail. Ces manifestations n’étaient ni concertées, ni continues, mais elles touchaient presque toutes les villes du pays.
 
Q : Les étudiants, les militaires, les syndicats, pourquoi tous en même temps ? Quel est le lien entre toutes ces manifestations ?
MRK: Malgré la différence des revendications on peut identifier deux thèmes communs : l’impunité et la vie chère. C’était l’expression d’un ras-le-bol généralisé face à la même famille, la même classe politique qui, depuis 24 ans, s’enrichit sur le dos du peuple, commet des crimes de sang et des crimes économiques en toute impunité.
 
Q: Comment la situation a-t-elle évolué ? Comment est le Burkina 16 mois après la crise ?
MRK: Après un mois de vie sous couvre-feu, pour ramener progressivement l’ordre, le chef de l’Etat a dissout le gouvernement, nommé un nouveau premier ministre, réorganisé l’armée et repris le dialogue avec les syndicats.
On a pu constater une certaine accalmie. Le nouveau gouvernement a multiplié les mesures d’apaisement : remplacement de responsables trop « connus » à la tête de certaines grandes entreprises, légère baisse du prix des produits de grande consommation (riz, sucre, huile) et des intrants agricoles, réduction de 10% de l’impôt sur le revenu, avancement des fonctionnaires. Le Premier Ministre a également initié une dynamique de réformes tout en affirmant sa volonté de sanctionner les dirigeants politiques et administratifs qui ne prennent pas ou n’assument pas leurs responsabilités.
 
Q : Est-ce que cette volonté se traduit par des actes concrets ?
MRK: Les détournements massifs, les privilèges et l’impunité des élites politiques, au pouvoir depuis 25 ans, sont toujours monnaie courante. Mais la population a compris qu’en manifestant ou en informant les médias de certains délits ou injustices vécues, elle oblige le gouvernement à réagir par peur d’un embrasement. Ainsi le gouverneur de la région des Hauts Bassins, le Ministre de la Justice, le chef de la Police Nationale, le directeur de la Douane, plusieurs maires ont été démis de leur fonction. Donc, ça bouge, même si ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Avant la crise cela n’aurait pas été possible.
 
Q : Est-ce qu’avec les élections municipales et législatives de décembre 2012 on peut espérer une ouverture politique susceptible de restaurer une paix durable ?
MRK: La situation est très complexe. Le CDP, parti au pouvoir, s’accroche et est très bien implanté dans le milieu rural par l’instrumentalisation de la chefferie traditionnelle. Or 80% des voix proviennent des ruraux. De plus, l’appartenance au parti au pouvoir est le seul moyen d’accéder à certains postes et privilèges, si rares dans ce pays. Les partis d’opposition sont légion, divisés et peu crédibles. Ils critiquent, mais ne sont pas vraiment porteurs d’un message alternatif, de propositions concrètes. Néanmoins, avec la possibilité nouvelle d’exercer un certain contrôle social sur les actes des élus, on peut espérer que les nouveaux députés, de quelque bord qu’ils soient, feront preuve de plus de sincérité dans la gestion des affaires communales.
 
Q : Que disent les gens, par exemple les organisations partenaires d’E-CHANGER ? est-ce que la crise est terminée ?
MRK: Selon eux, le feu couve toujours, car rien n’est vraiment réglé. L’impunité continue à régner à quelques exceptions près, les prix continuent à grimper, l’insécurité alimentaire est aggravée cette année par les mauvaises récoltes et l’afflux des réfugiés maliens dans le Nord. L’accès à la santé, à l’éducation et à la formation pour tous reste un vœu pieux. Aussi longtemps que Blaise Compaoré et son parti demeurent au pouvoir, que l’alternance en 2015 n’est pas assurée, nous ne sommes sûrs de rien. Mais nos organisations partenaires et nos volontaires continuent à faire leur travail à la base, s’engagent dans les projets et réalisations à l’échelle qui est la leur.
 
Sergio Ferrari, service de presse E-CHANGER
 
 

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