Quelque 150 personnes ont participé à la soirée organisée par la FGC, en partenariat avec la Ville de Genève et la Haute École du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA) sur l’urgence climatique et la coopération au développement. Les intervenant·e·s à la table ronde ont rappelé les données récentes concernant le réchauffement, montré ses conséquences pour les populations vulnérables du Sud global et les projets. Ils ont également exposé les solutions apportée dans le domaine de l’agroécologie et de la gestion des forêts. Avant et après la table ronde, le Forum des ONG a permis de riches échanges avec les visiteurs et visiteuses des stands.
Le 28 mai 2024, à la Haute École du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA), s’est tenue la soirée organisée par la FGC avec la haute école et la Ville de Genève sous la bannière: «Projets de développement: des solutions face à l’urgence climatique».
L’événement a débuté par un forum d’ONG membres de la FGC: l’Association pour le développement des aires protégées – ADAP, l’association CEAS-Genève, le CETIM, emp’ACT, FH Suisse, l’Alliance internationale pour la gestion de l’eau de pluie – IRHA, Tereo, UrbaMonde et la Plateforme souveraineté alimentaire (PSA). Les ONG ont animé des stands, présenté leurs projets et des publications, et proposé des animations, permettant par exemple de calculer son empreinte carbone.
Le Forum des ONG dans le hall d’HEPIA. © David Wagnières
La soirée s’est poursuivie par une table ronde rassemblant des intervenant·e·s politiques, académiques et scientifiques ainsi que des acteurs et actrices de la coopération au développement.
François Lefort, responsable de la filière Agronomie, Catherine Schümperli Younossian, secrétaire générale de la FGC, ainsi qu’Alfonso Gomez, maire de Genève, ont prononcé les propos introductifs.
Les interventions ont été assurées par Thomas Stocker, professeur en climat et physique de l’environnement à l’Université de Berne; Pierre-André Cordey, chef suppléant de l’unité Climat, réduction des risques de catastrophe et environnement à la DDC (Direction du développement et de la coopération du Département fédéral des Affaires étrangères); Sandy Mermod, chargée de programme pour ADAP, et Prosper Niyonsaba, responsable de la sécurité alimentaire à FH Burundi, en duplex depuis le Burundi. Roger Zürcher, co-directeur de FH Suisse, chargé de cours dans la filière agronomie d’HEPIA, a prononcé la conclusion. L’ensemble était modéré par le journaliste de Léman Bleu, Philippe Verdier.
Les intervenant·e·s à la table ronde sur la coopération et l’urgence climatique, sur place et en duplex. © David Wagnières
Le réchauffement, une actualité permanente
S’exprimant au nom de la haute école en ouverture de la table ronde, François Lefort a souligné «l’actualité permanente» que représente le réchauffement climatique. Dans ce contexte, les chercheurs et chercheuses ainsi que les étudiant·e·s d’HEPIA «sont impliqué·e·s tous les jours, par exemple pour construire mieux, pour améliorer les déplacements, pour dépenser moins d’énergie et d’eau, pour produire plus d’énergie renouvelable, pour adapter l’agriculture au réchauffement climatique et, dans ce domaine aussi, pour diminuer la consommation des ressources fossiles et optimiser l’utilisation de l’eau, ainsi que pour faire face aux nouvelles attaques de ravageurs et de pathogènes.» Le responsable de la filière Agronomie a ajouté que «toutes les filières de formation et les instituts de recherche travaillent sur la transition écologique nécessaire à l’adaptation au réchauffement climatique».
«Nous travaillons ici et là-bas parce que les conséquences y sont plus sensibles», a-t-il ajouté. Et de citer les collaborations en cours avec des ONG de développement, comme FH Suisse ou DM, ainsi qu’avec des hautes écoles à Abidjan ou au Kenya, dans la recherche sur la lutte contre les ravageurs. «Protéger les cultures est une nécessité en Afrique mais aussi pour nous dans le futur», a-t-il lancé en rappelant que «selon les scénarios moyens du GIEC», «Genève [aura] le climat des Alpes maritimes dans 30 ans».
Importance de la justice climatique
La table ronde a marqué la conclusion de l’année de mairie d’Alfonso Gomez, en charge du Département des finances, de l’environnement et du logement de la Ville de Genève. D’emblée, le maire a rappelé l’importance de la justice climatique: «Nous savons que l’impact du changement climatique, engendré dans sa très grande majorité par les pays du Nord, affecte de manière dramatique les régions du monde les moins polluantes, accentuant les inégalités et la vulnérabilité de populations déjà marginalisées». «Aujourd’hui, a-t-il poursuivi, il est indispensable que les pays du Nord agissent simultanément sur deux fronts: d’une part en limitant les conséquences du dérèglement climatique par la réduction des gaz à effet de serre, d’autre part en soutenant les pays et populations les plus vulnérables au Sud».
En ce sens, la Stratégie climat de la Ville de Genève prévoit une réduction «drastique» des émissions de gaz à effet de serre avec l’objectif d’atteindre moins 60% d’ici à 2030 et la neutralité carbone en 2050. En parallèle, la Ville de Genève a renforcé son engagement dans la solidarité internationale: en 2023, «pour la première fois depuis plus de 50 ans, elle a atteint le seuil symbolique du 0,7%», en y consacrant 0,73% de son budget de fonctionnement, s’est félicité Alfonso Gomez.
Responsabilité inégale
Catherine Schümperli Younossian a également insisté sur la justice climatique: «On ne le dira jamais assez, il y a une responsabilité inégale face au réchauffement climatique: les pays les plus pauvres, ceux de l’hémisphère Sud, émettent le moins de gaz à effet de serre, mais sont les plus durement touchés par la crise climatique, leur population ayant une moindre capacité de résilience et de préparation pour y faire face. Pour les acteurs de la coopération au développement, la justice climatique vient renforcer la notion de justice sociale qui vise à soutenir les populations affectées, dans une logique de réparation».
La secrétaire générale de la FGC a ensuite rappelé que «face aux dérèglements climatiques et à leurs impacts sur les populations les plus vulnérables, la FGC soutient, aux côtés de ses organisations membres et de leurs partenaires locaux, des projets et des solutions qui ont fait leurs preuves dans le domaine de l’agroécologie et l’agroforesterie, dans celui de la récupération des eaux de pluie, de la promotion de villes durables et d’habitat abordable, ou encore dans le secteur des énergies renouvelables».
Elle a terminé par un message plus politique: «Alors que les montants de la coopération au développement sont sous forte pression, notamment au niveau fédéral, puisque tout récemment, le Conseil fédéral a décidé qu’une partie des fonds de la coopération au développement devrait être attribuée à la reconstruction de l’Ukraine et ceci au détriment des pays traditionnellement au bénéfice de l’aide publique au développement, la FGC appelle à traiter de concert les enjeux environnementaux et sociaux pour promouvoir un autre modèle de production et de consommation, respectueux de l’environnement et des droits humains.»
«Le réchauffement climatique n’est pas une fatalité à laquelle il suffit de s’adapter. Il faut réécrire un futur marqué par des actes de solidarité forts.»
Catherine Schümperli Younossian, secrétaire générale de la FGC
«Zéro émission de gaz à effet de serre»
Après ces propos introductifs, la table ronde s’est poursuivie par un état des lieux du changement climatique basé sur des éléments scientifiques, issus notamment des rapports du GIEC (lire aussi à ce sujet les pages spéciales dans La Tribune de Genève). Thomas Stocker a montré que, neuf ans après les Accords de Paris, la courbe de la concentration des gaz à effet de serre (CO2) dans l’atmosphère continue d’augmenter.
«Les concentrations actuelles sont sans précédent», a poursuivi le professeur en climat et physique de l’environnement à l’Université de Berne: «Jamais depuis 800 000 ans, l’augmentation n’a été aussi rapide». En conséquence, le réchauffement se monte à +1,2 degrés depuis 1900 (en Suisse, il est de +2,5 degrés), l’augmentation étant particulièrement évidente depuis 1970 ; 2023 représente l’année la plus chaude au niveau mondial moyen.
Dans ce contexte, les événements météorologiques et climatiques extrêmes se multiplient. En 2022 et 2023, des records de chaleur se sont produits dans l’ensemble du monde, mais «les zones vulnérables du Sud global ont été les plus affectées», souligne Thomas Stocker. Parmi les phénomènes observés : des records de températures, notamment en Afrique et en Amérique du Sud ; des records de pluies provoquant des inondations et des déplacements de populations, notamment en Asie ; des cyclones, tempêtes et ouragans particulièrement intenses, notamment dans les zones tropicales. Or, lorsque les événements extrêmes (canicules, sécheresses qui impactent la production de nourriture, notamment) se manifestent plusieurs fois en une année, ils représentent un défi particulier pour l’adaptation, en particulier pour les éléments vulnérables d’une communauté, ajoute le professeur.
En conclusion de son intervention, il a appelé à passer à zéro émission de gaz à effet de serre, «c’est la seule solution». Pour lui, «la protection du climat est à la fois une nécessité écologique et un impératif économique».
Les explications de Thomas Stocker, professeur en climat et physique à l’Université de Berne, sur le réchauffement climatique. © David Wagnières
Émissions inégalement réparties
Éclairant le contexte politique en Suisse, le chef suppléant de l’unité Climat, réduction des risques de catastrophe et environnement à la DDC, a répété qu’au niveau international, «nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire» et que les émissions actuelles sont «très inégalement réparties entre les pays, les régions, les populations et les groupes de populations, ce qui reflète les inégalités au niveau mondial». La Suisse, a précisé Pierre-André Cordey, s’engage pour une réduction progressive des émissions, pour un plus fort leadership de pays qui sont de grands émetteurs, y compris parmi les pays émergents, et pour la transition énergétique.
Globalement, le financement international prévu pour le climat sera insuffisant, anticipe-t-il, tant sont importants les besoins pour les mesures d’atténuation du réchauffement, pour l’adaptation ainsi que pour répondre aux pertes engendrées par les dommages qu’il cause, principalement dans les pays au développement. Selon lui, les pays industrialisés seront appelés à mettre davantage de fonds à disposition pour combattre les effets du réchauffement et pour pousser la transition énergétique. En Suisse en particulier, où le financement climat pour les pays et populations les plus vulnérables passe par les fonds de la coopération internationale, les 400 millions de francs annuels prévus dans la Stratégie de coopération internationale de la Suisse 2025-2028, n’y suffiront pas.
Poursuivant sur la Stratégie de coopération internationale, il a rappelé que l’objectif de «garantir un développement respectueux de l’environnement et résilient au changement climatique et aux catastrophes naturelles, en faveur des plus défavorisés» demeure l’un des quatre piliers de la politique de réduction de la pauvreté et du développement durable.
Protéger les forêts en Tanzanie
Après ces mises en contexte, deux ONG membres de la FGC, ADAP et FH, ont évoqué les conséquences du changement climatique sur les projets dans deux pays d’Afrique de l’Est et exposé les solutions d’adaptation mises en oeuvre avec les partenaires de terrain, dans le domaine de la gestion communautaire des forêts en Tanzanie et de l’agroécologie au Burundi.
En Tanzanie, ADAP mise sur la protection des forêts et la conservation des écosystèmes. Ceux-ci permettent de stocker du carbone et d’assurer une résilience face aux effets du changement climatique, a expliqué Sandy Mermod. Ils fournissent également des ressources valorisables pour les populations locales, qu’il s’agisse de miel ou de champignons (lire aussi l’article dans la Tribune de Genève). Ils contribuent à protéger les sols et participent à la conservation de la biodiversité dans une zone où vivent encore de grands mammifères comme les éléphants, les hippopotames ou les lions. Enfin, ils jouent un rôle important dans le maintien du cycle de l’eau et de la régularité des pluies.
Dans l’une des régions des projets, à l’ouest du pays, les forêts tropicales sèches représentent une surface plus vaste que les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel réunis, et permettent de stocker 185 000 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions de 15 000 Suisses et Suissesses ou de 1 million de Tanzaniens et Tanzanniennes. Localement, explique Sandy Mermod, les effets du réchauffement se font sentir notamment par une modification du régime des pluies, qui affecte les cultures, ainsi que l’approvisionnement en eau des habitant·e·s et des animaux, et entraîne un fort impact sur les récoltes de miels. Les pressions humaines (déforestation et surpâturage par exemple) affectent également les forêts de la région, pourtant naturellement résilientes à la chaleur et à la sécheresse.
Dans son projet, ADAP, avec ses partenaires locaux, mise sur la gestion communautaire des forêts et des aires protégées avec, en parallèle, le développement de filières de produits naturels.
Sandy Mermod, chargée de programme, présente le projet d’ADAP en Tanzanie. © David Wagnières
Promouvoir l’agroécologie au Burundi
Deuxième exemple présenté, les effets du changement climatique au Burundi et les solutions pour en contrer les effets grâce aux projets soutenant les méthodes agroécologiques. Prosper Niyonsaba, responsable de la sécurité alimentaire pour FH Burundi, est intervenu en duplex depuis le Burundi. S’agissant des effets du changement climatique, les deux effets principaux, a-t-il expliqué, sont les pluies diluviennes et les inondations qui forcent les habitant·e·s à trouver refuge dans des zones surélevées, ainsi que les sécheresses prolongées, avec menace de famine et également de déplacement de la population.
L’une des solutions d’adaptation proposée par FH est l’agroécologie, a ajouté Prosper Niyonsaba : celle-ci augmente la capacité d’adaptation aux changements climatiques et réduit la vulnérabilité des agroécosystèmes, principalement grâce à l’amélioration de la santé des sols, à la biodiversité et la forte diversification des espèces. De plus, elle réduit l’utilisation des engrais et des pesticides synthétiques.
Prosper Niyonsaba a présenté plusieurs méthodes de production utilisées en l’agroécologie. Premièrement, la fabrication de compost à chaud pour fertiliser les champs, ce qui permet d’améliorer la santé des sols, de restaurer leur fertilité, de conserver l’humidité, de favoriser l’infiltration de l’eau et de minimiser l’érosion. Deuxièmement, le paillage qui protège les cultures des fortes pluies et du soleil, favorise la multiplication des micro-organismes, l’infiltration de l’eau et conserve l’humidité. Enfin, l’agroforesterie protège contre les pluies torrentielles ; la plantation d’arbres est bénéfique pour créer un microclimat dans les champs, elle les protège contre l’érosion terrestre et éolienne, elle favorise les échanges dans le sol et améliore la nutrition des autres plantes.
Plus globalement, au niveau du territoire, le traçage des courbes de niveau et de terrasses progressives sur les collines freine l’érosion et protège contre les inondations et glissements de terrain. La protection des bassins versants favorise l’infiltration des eaux de pluie et limite le ruissellement.
Des pas dans la bonne direction
En conclusion, Roger Zürcher, co-directeur de FH Suisse, chargé de cours dans la filière agronomie de l’HEPIA, est revenu sur les grands axes de la table ronde. Il a rappelé que le travail de la coopération a appris aux gens à travailler ensemble dans les coopératives ou d’autres types de structures collectives : un travail collaboratif et collectif utile pour lutter contre le réchauffement climatique. Terminant sur une note positive, il a évoqué la métaphore du bateau à quai: «Si quelqu’un bouge le gouvernail, le bateau ne va pas bouger. Mais dès que le navire se met en mouvement, il suffit de bouger légèrement le gouvernail pour avoir d’importantes conséquences sur sa trajectoire. Cela peut nous parler : ne nous laissons pas déborder par l’immensité de la tâche, continuons à faire des pas dans la bonne direction, et encourageons-nous à faire progresser les solutions dans notre domaine d’intervention ou notre sphère d’influence.»
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