Colombie: “Pour que les droits humains soient respectés…”

La situation est toujours extrêmement tendue en Colombie. La cooper-actrice d’E-CHANGER Nubia Fernanda Espinosa partage ses réflexions dans sa dernière lettre circulaire. Elle soutient le travail des indigènes qui cherchent à pacifier leurs territoires. En Suisse elle est accompagnée par « Tejiendo Solidaridad », son Groupe de Soutien, coordonné par le Dr. Bernard Borel, membre du Comité d’E-CHANGER. Le travail de Nubia Fernanda Espinosa et de son organisation MINGA est soutenu aussi par la FEDEVACO et la commune d’Aigle.

Le conflit dans le Cauca

En général, la situation de conflit qui perdure dans le Cauca continue d’affecter sévèrement la population indigène. Outre le haut niveau de militarisation, les menaces, dénonciations et assassinats de dirigeants indigènes dans le Nord du Cauca ont continué même après l’annonce du début de processus de dialogue entre les FARC et le gouvernement. Les caractéristiques du contexte de conflit dans le département du Cauca sont restées les même durant ces derniers mois : combats et harcèlements près des habitations et lieux de vie de la population civile, usage d’armes non conventionnelles, pressions de tous les acteurs armés sur les groupes indigènes, stigmatisation par le gouvernement de la mobilisation indigène, augmentation des mines anti-personnel et des munitions non explosées sur les territoires.

Voici quelques exemples des faits survenus dans la région depuis le printemps : début mars, 2 fillettes ont été enlevées par des hommes masqués et portées disparues pendant 3 jours. A leur retour à la maison, elles portaient des marques évidentes de maltraitance. En même temps, une femme de 32 mourrait sous le feu croisé d’un affrontement entre l’armée, des unités policières et les FARC. Un jeune homme de 17 ans a aussi été gravement blessé. En avril, un affrontement armé a eu lieu dans une zone habitée entre des militaires et des membres d’une faction des FARC. A la fin du même mois, un jeune indigène a été assassiné et son corps emmené dans un endroit où la présence de milices des FARC est connue. En juin, le pont qui relie la vile de Popayan à la municipalité de Caldono a été dynamité. Et enfin le 12 août, un dirigeant indigène de la municipalité de Caloto a été assassiné en plein jour, sous les yeux de sa femme. Depuis 34 ans au service du groupement indigène « Lopez Adentro », il avait énormément travaillé pour la défense de la nature, la protection des territoires, le renforcement des refuges communautaires et des projets productifs.

Contexte national colombien : le nouveau processus de négociation

Le 4 septembre dernier, le président Juan Manuel Santos a annoncé avoir signé avec les FARC l’«Accord général pour mettre un terme au conflit et construire une paix stable et durable». Cet accord est considéré comme un préambule à un chemin vers la réalisation de la paix. La table des négociations doit encore être définie formellement avec un agenda en cinq points. Les conditions actuelles sont favorables à la négociation et du coup, les attentes sont grandes. La négociation politique pour sortir du conflit armé et la recherche de la paix sont des impératifs qui ont, dès sa naissance, motivé le travail du mouvement social et de défense des droits humains en Colombie, dont fait partie l’association MINGA.

La société civile qui défend les droits et tisse la paix est depuis plus de 30 ans face à cet immense défi quotidien de dépasser la crise humanitaire permanente et systématique sur tout le territoire colombien. Dès lors, les accords conclus dans le but de démarrer un processus de dialogue entre le gouvernement national et la guérilla des FARC constitue un fait d’importance historique pour le pays et toute la région latino-américaine. Les organisations de la société civile ont également salué le bon accueil qu’a réservé l’ELN à cette initiative et sa disposition à prendre part à l’ample processus de solution politique qui peut en découler.

Sur le terrain : occupation, caravane humanitaire et travail en réseau

Le 18 juillet, après une semaine d’occupation du Mont de Berlin par des indigènes exigeant le départ tant des forces publiques que de la guérilla de ses terres, la police anti-mutinerie a repris en quelques heures le contrôle du poste militaire situé sur cette montagne. Le Mont de Berlin constitue en effet un point stratégique pour l’observation et le contrôle des municipalités environnantes (Toribío, Jambaló) ainsi que des couloirs habituellement utilisés par la guérilla. Pendant l’occupation des heurts ont eu lieu sans arrêt et les autorités indigènes ont signalé des tirs, des explosions et l’usage de gaz, faisant au minimum 3 blessés. En même temps, un jeune homme indigène de 22 ans a été tué apparemment par erreur d’un soldat à un poste de contrôle militaire dans la municipalité de Caldono. Le président Juan Manuel Santos a fait le voyage jusqu’au Cauca afin de créer un espace de dialogue avec les indigènes.

Le 21 juillet, une caravane humanitaire est partie de Santander de Quilichao pour rejoindre Toribío, afin d’apporter un geste de solidarité et de soutien aux peuples indigènes qui supportent depuis des années une guerre qui n’est pas la leur et à laquelle ils payent un lourd tribut, figurant au premier rang des victimes de ce conflit armé. Des bus sont arrivés de Popayan et Cali avec plus de 300 personnes de différentes parties du pays, ainsi que plusieurs étrangers. A peine 10 minutes après être sortie de Quilichao, la caravane a été arrêtée à un poste militaire et tous les passagers ont dû descendre du bus. Un membre de la garde indigène présent a pu faire en sorte que le contrôle ne dure pas trop. Arrivés à Toribío, nous avons pu observer les maisons détruites. La partie officielle sur la place centrale du village a consisté en un échange de salutations ainsi que des discours des autorités et des organisations sociales.

Le maire a témoigné de leur vie au milieu de la tension et de la peur. Suite à cela, plusieurs intervenants ont réaffirmé leur solidarité, leur indignation et aussi leur admiration face à cette communauté qui a survécu à la guerre. Des remerciements ont aussi été exprimés au mouvement indigène pour avoir démontré à la Colombie que la paix est une alternative qui doit être construite à partir de l’organisation sociale. Différents groupes ont pris la parole et témoigné, comme les femmes qui se portent volontaires pour aller chercher les enfants recrutés de force afin de les sortir de la guerre, les étudiants qui lient leur luttes à celle des indigènes ou encore les personnes qui ont été dépouillés de leurs terres. Nous avons également pris part à une marche dans les rues du village. Les femmes portaient des fleurs jaunes dans les mains pour rappeler qu’elles n’ont pas mis au monde des enfants pour que la guerre les prenne. Ensuite, quarte jeunes qui avaient rejoint la guérilla ont été jugés par les autorités indigènes et soumis à une punition : au milieu de la communauté, ils ont reçu des coups pendant qu’ils exprimaient leur repentir pour la faute commise. Ce qui pourrait nous sembler être un châtiment exagéré est en fait un rituel qui, selon la tradition, applique un remède à ceux qui ont amené un déséquilibre dans la communauté. Suite à ce traitement, les jeunes sont symboliquement rendus à leurs mères pour être consolés et qu’ensuite la communauté en prenne soin et les protège. Dans notre pays, la justice est inopérante et le système carcéral mène à tout sauf à la réinsertion sociale. Dès lors, dans le cadre du droit à la l’autodétermination des peuples indigène, l’application de ce type de sanctions peut faire preuve d’une justice communautaire encore plus efficace. Pour finir la journée, les armes que les jeunes accusés d’avoir intégré la guérilla ont été brûlées à la vue de tous, ainsi que la moto qu’ils utilisaient pour leurs déplacements. Sur le chemin du retour, nous avons aperçu des tanks de guerre sur la route, preuve s’il en était besoin que le conflit et la crise humanitaire continuent à Toribío.

Je participe aussi à la Route Sociale Commune pour la Paix en tant que déléguée à l’équipe opérationnelle. Tout dernièrement, nous avons organisé une grande mobilisation afin d’entourer et de saluer les efforts de négociation et de sortie politique du conflit. Nous avons fait appel aux colombiens et colombiennes qui luttent pour une vie digne dans tous les coins du pays ainsi qu’à toutes les organisations sociales et populaires pour qu’ils et elles participent à une mobilisation massive le 8 octobre dernier.

Dans ce travail en réseau, la mobilisation sociale est conçue comme une action politique. La ‘Route Sociale Commune pour la Paix’ est une plateforme où différents processus socio-politiques peuvent converger et s’articuler dans le but de construire des propositions, de cultiver la possibilité de la paix, de générer une mobilisation aussi large que possible ainsi que des stratégies alternatives communes. Différents espaces de rencontres et de congrès indigènes, paysans, citoyens y sont représentés, tout comme des initiatives œcuméniques et de femmes, antre autres. Nous poursuivons notre travail au sein de cette large coalition tout en saluant avec espoir l’ouverture du dialogue entre le gouvernement et les insurgés.

C’est avec plaisir que je vous envoie ces nouvelles accompagnées de chaleureuses salutations depuis la Colombie. Cette année en juin j’ai eu l’occasion de venir en Suisse, ce fut une expérience riche et très importante pour moi et aussi pour toutes les personnes lesquelles je travaille ici en Colombie. Je tiens à remercier à E-CHANGER, mon Groupe de Soutien « Tejiendo Solidaridad », la Commune d\’Aigle, et à la FEDEVACO de m’avoir bien reçue et d’avoir écouté ce que j’avais à vous partager sur le travail réalisé ici avec l’association MINGA et les communautés du Cauca.

Avec toutes mes amitiés,

Nubia Fernanda Espinosa

Groupe de soutien « Tejiendo Solidaridad »
Personne de contact: Bernard Borel
Adresse: Oisillons 8, 1860 Aigle
E-mail: borel.held@bluewin.ch
CCP: 17-7786-4, E-CHANGER, mention «TEJIENDO SOLIDARIDAD»

E-CHANGER COOPERATION SOLIDAIRE NORD SUD www.e-changer.ch

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