Après plus de cinq ans de négociations menées à la Havane, le gouvernement colombien et la guérilla FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de la Colombie – Armée du peuple) sont parvenus à un accord de paix mettant fin à un conflit armé de plus de 50 ans. Cet accord place au centre les droits des victimes à la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition. Alors que l’accord attache une importance particulière aux droits fondamentaux des personnes habitant dans les régions rurales, la « paz territorial » ou paix depuis les régions rurales suscite un important élan d’espoir pour les populations locales.
Texte: Yina Avella
Résistance pacifique
A Puerto Esperanza, situé dans la région de l’Ariari (département de Meta), se trouve la zone humanitaire de la Communauté civile de vie et de paix CIVIPAZ. En 2002, les groupes paramilitaires du terrible « Bloque Centauros de las Autodefensas Unidas de Colombia » sèment la terreur et la peur dans la région : assassinats, disparitions forcées et tortures sont monnaie courante alors que les liens troubles entre l’Armée (Brigada VII de l’armée nationale) et les groupes paramilitaires sont de notoriété publique. Il arrive que les soldats torturent ou se servent des paysans pour mener les caravanes militaires dans les zones des FARC-EP. Pour la seule année 2002, plus de 250 paysans sont assassinés dans la région. En 2003, les 60 familles du hameau de Puerto Esperanza prennent la décision de quitter leurs terres pour sauver leur vie.
Déplacés a Villavicencio, ils rêvent de pouvoir revenir sur leurs parcelles. Ne sachant que cultiver la terre et n’ayant pas de source de revenu, la vie à Villavicencio est très difficile pour ces personnes. Reinaldo Perdomo est alors un des leaders de la communauté déplacée et membre de l’Union patriotique*. Reinaldo, en quête d’une solution permettant le retour de la communauté sur son territoire, et suite à un voyage au Choco, dans la région du pacifique, s’inspire des mouvements de résistance pacifique créés à Cacarica. Il revient avec l’idée de créer une « zone humanitaire » à Puerto Esperanza. Reinaldo et les autres leaders commencent à organiser la communauté. A ce moment, la communauté peut compter sur le soutien d’un prêtre catholique, Henry Ramirez, venu s’installer à Medellin del Ariari dès 1996 et qui accompagne les populations paysannes dans leurs revendications. En 2003, quand il prend connaissance du projet de la population de Puerto Esperanza, il fait le voyage chaque semaine afin de la soutenir et l’accompagner dans le renforcement de son organisation. Malheureusement, Reinaldo est assassiné à Villavicencio. Il ne verra jamais la création de CIVIPAZ. Pas d’enquête sur ce crime qui demeure à ce jour irrésolu. Le lendemain de l’assassinat, la police annonce qu’un « commandant de la guérilla des FARC a été abattu ».
En 2006, les paysans déplacés retournent sur leurs terres. Grâce à la solidarité nationale et internationale, ils réussissent à acheter un terrain dans les hauteurs de l’ancien hameau. Au moment du voyage de retour, ils bénéficient d’un accompagnement international afin de protéger leur vie. Le retour s’avère difficile. Les paysans doivent en effet s’organiser pour protéger la communauté. Horaires de garde et mécanismes d’autoprotection sont alors mis sur place. Petit à petit la peur s’estompe et les paysans commencent à travailler la terre. Ils se déplacent tous ensemble lorsqu’ils doivent descendre aux villages afin de vendre leur récolte. Organisés en communauté, ils sont alors plus forts face à la violence.
Paix territoriale
Aujourd’hui, les membres de cette communauté voient avec beaucoup d’espoir le processus de paix avec les FARC-EP. Ils portent un regard positif sur le fait que les militants de cette guérilla soient installés dans une « Zone de transition vers la normalisation » dans la région, à seulement quelques heures en voiture.
Cependant, selon Henry Ramirez, « les personnes de CIVIPAZ vivent dans l’incertitude à présent ». Incertitude quant au fait qu’il n’y ait plus de contrôle social exercé dans la région depuis que la guérilla n’existe plus. Par le passé, et en l’absence de toute présence étatique hormis celle de l’armée et de la police, la guérilla exerçait ce contrôle et imposait une forme de justice. Alors que la population des villages de la région, n’a aucune confiance en l’armée et la police, l’Etat colombien brille par son absence. Ainsi, nous raconte Henry « à Puerto Esperanza, il n’existe pas de centre de santé, ni d’administration. Il y a bien une école mais elle a été construite par les paysans eux-mêmes ». Aujourd’hui, les villageois expérimentent un « vide ». La criminalité a explosé depuis quelques mois. Le camion qui apportait le lait a été brulé il y a quelques semaines. Il y a des vols. Ils se demandent qui va exercer le contrôle territorial à présent.
Le gouvernement et la guérilla des FARC-EP se sont mis d’accord sur la nécessité d’une « paix territoriale ». En ce sens souligne Henry, « les paysans rêvent de pouvoir finalement vivre en tranquillité. Ils attendent un soutien social et financier de l’Etat, soutien dont ils n’ont jamais bénéficié par le passé afin de mener à bien des projets nécessaires». Ils ont vécu oubliés de l’Etat du fait de leur localisation en « zone rouge » (avec forte présence des FARC-EP). Ils attendent avec impatience des politiques publiques afin de renforcer la présence de l’Etat. Ils espèrent que l’accord de paix soit réellement respecté et que sa mise en œuvre profite aux régions, à l’instar de l’Ariari, qui ont le plus souffert du conflit armé, politique et social vieux de plus d’un demi-siècle.
* L’Union patriotique (UP) est un parti politique né des dialogues de paix avec les FARC-EP en 1984. La création de ce parti entendait mettre en œuvre une sortie politique des membres de la guérilla. Rejointe par des mouvements paysans, des membres de syndicats et autres militants de gauche, l’UP, après avoir remporté plusieurs élections dans différentes régions du pays, sera victime d’une profonde stigmatisation et nombreux de ses membres victimes de persécutions et d’assassinats sélectifs.