Colombie: »De victimes de la guerre à actrices de la paix »

Ces deux militantes colombiennes étaient lundi 23 novembre  au Collège St-Michel, à l’invitation de l’ONG pour le développement E-CHANGER (Fribourg) avec la collaboration d’étudiants du Collège St-Michel. Elles mènent une vaste campagne d’information à travers toute la Suisse du 23 novembre au 4 décembre 2009, dans le cadre programme suisse pour la promotion de la paix par le renforcement de la société civile en Colombie SUIPPCOL (*) Plus d’une centaine de personnes, en majorité des étudiants, ont suivi ces témoignages poignants. L’Apic les a interviewées lors de leur passage à Fribourg.
 
Les femmes fréquemment victimes de viols
 
Dans le monde, les populations les plus touchées par les conflits armés sont les femmes et les enfants. Dans un contexte machiste comme celui de la société colombienne, les femmes sont fréquemment victimes de viols par les divers groupes armés, témoignent les deux militantes de passage à Fribourg.
 
   "Ces groupes armés violent, déplacent, torturent, séquestrent et tuent les civils, lancent-elles. Des enfants sont recrutés de force pour faire la guerre, 4 millions sont des déplacés internes en Colombie, dont la moitié de femmes; la répression vise les militants paysans, les syndicalistes, les journalistes, les activistes sociaux. Nous voulons que tous s’assoient à la table des négociations pour mettre un terme à ce conflit qui a déjà fait 70’000 morts ces 20 dernières années!"
 
Une femme s’est dressée avec courage contre la brutalité des groupes armés
 
Aujourd’hui réfugiée avec ses trois enfants à Popayan, Melania Gurrute Sanchez, une petite paysanne de 43 ans à la peau brune et aux yeux de jais, s’est dressée avec courage contre la brutalité des hommes armés.
 
   Avec des mots simples, Melania nous décrit son calvaire: un jour de 2003, elle voit arriver dans son hameau de Betania, dans la commune d’El Tambo, où elle tenait un magasin d’alimentation, un groupe de guérilleros appartenant au front 60 des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Ils emmènent avec eux sa fille de 14 ans, Viviana, pour en faire une recrue. Prenant son courage à deux mains, Melania suit pendant plusieurs jours la colonne cheminant dans la forêt. Elle veut récupérer sa fille, et à force d’insistance, la petite paysanne obtient gain de cause. Mais sa fille a été violée par deux guérilleros et elle reçoit des menaces explicites, ce qui l’incite à chercher refuge en ville, à vingt heures de marche de son village, où elle n’est plus retournée depuis.
 
La dissolution des paramilitaires, une farce
 
Son accompagnatrice, Alejandra Miller Restrepo, économiste et professeure en sciences politiques à l’Université du Cauca, à Popayan, renchérit: beaucoup de paysans sont si pauvres qu’ils n’ont souvent pas d’autre solution que de rejoindre l’une des guérillas du coin, les FARC ou l’ELN, ou d’autres bandes armées comme les Rastrojos, les Aguilas Negras, Nueva Generacion, des nouveaux groupes paramilitaires qui ont surgi après la démobilisation au début des années 2000 des Forces d’autodéfense unies de Colombie (AUC), conformément à un accord conclu avec le président Alvaro Uribe. "C’était une farce, les paramilitaires n’ont pas rendu toutes les armes, et ces groupes ont souvent simplement changé de nom!"
   "Ces bandes de délinquants ont leurs relais au niveau du Congrès, dont plus de 100 membres sont sous enquête pour liens supposés avec le ’paramilitarisme’, et nombreux autres sont déjà en prison pour ce qu’on nomme la ’parapolitica’", commente la professeure de Popayan.
 
Un état de corruption effrayant
 
Et Alejandra Miller Restrepo d’illustrer l’effrayant état de corruption du gouvernement d’Alvaro Uribe par le récent scandale de l’Agro Ingreso Seguro (l’Agro Revenu Sûr), un programme pour le développement et la modernisation de la campagne colombienne. Ainsi, selon la presse colombienne, des reines de beauté, des membres de l’oligarchie politico-économique colombienne, des proches du gouvernement, ont reçu des "prêts non remboursables" pour des projets "d’irrigation et de drainage". Nombre des familles bénéficiaires avaient fait des dons importants pour financer la campagne électorale du même Uribe. Et le gouvernement colombien estime qu’il n’y a rien de mal à cela!
 
   Selon elle, Alvaro Uribe fait tout pour se représenter à un troisième mandat présidentiel en mai 2010, alors même que la Constitution colombienne ne le permet pas! Les députés "uribistes" ont la majorité au Parlement, et ils veulent que "leur" président se représente…
 
S’il n’y a pas de négociations, la guerre va se poursuivre indéfiniment
 
La militante pour la paix, qui se bat avec ses compagnes de la "Route pacifique des femmes" pour faire disparaître tous les groupes armés de régions entières, plaide pour des négociations de la guérilla avec le gouvernement: "S’il n’y a pas de négociations, la guerre va se poursuivre indéfiniment, le gouvernement va vers la catastrophe économique, et l’on s’achemine alors vers une sale guerre de plus en plus menée par les paramilitaires, une guerre de plus en plus dure. La mentalité militariste s’est toujours davantage développée dans la société colombienne depuis l’échec des négociations de San Vicente del Caguan avec les FARC en 1998… C’était au temps du président Pastrana, et il y avait alors l’espoir d’en finir avec cette guerre!"
 
   Aujourd’hui, contrairement aux dires du gouvernement, les FARC se sont renforcées et recrutent à tours de bras – même des enfants de 12, 13 ou 14 ans! -, et la politique de "sécurité démocratique" du président Uribe a échoué. Les deux militantes colombiennes ne voient qu’une solution pour sortir de cette impasse: une reprise des négociations entre le gouvernement et les groupes armés, et surtout empêcher l’implantation de nouvelles bases de l’armée américaine sur sol colombien, qui ne feraient qu’exacerber la violence, dont les premières victimes seraient une nouvelle fois les femmes et les enfants!
 
Jacques Berset, Apic
 
   (*) Le Programme suisse pour la promotion de la paix SUIPPCOL soutient le mouvement pour la paix des femmes colombiennes depuis fin 2001, alors que se déroulaient les tractations (qui ont malheureusement échoué) entre le gouvernement colombien et la guérilla pour chercher un accord négocié. SUIPPCOL appuie le réseau de promotion de la paix "Ruta Pacifica de las Mujeres". Les préoccupations des femmes colombiennes concernant la résolution des conflits gagnent ainsi en visibilité. Sur place, des collaborateurs de SUIPPCOL suivent les efforts de mise en réseau de ces mouvements pour la paix, et proposent des ateliers de formation en gestion de conflit. SUIPPCOL soutient également les programmes de protection dont bénéficient diverses organisations de femmes, en raison du caractère dangereux de leur engagement, en Colombie.
 
   Un groupe d’ONG connues et d’associations de solidarité suisses travaillant en Colombie proposèrent alors de soutenir la participation des organisations sociales de base à une perspective de paix. SUIPPCOL regroupe dix associations suisses de développement et des droits humains: Caritas-Suisse, l’Action de Carême, l’Entraide protestante EPER, Swissaid, Amnesty International-Section suisse et le Groupe de travail Suisse-Colombie. S’y sont ensuite ajoutées: Terre des Hommes Suisse, les Brigades de paix Peace Brigades International (PBI), E-Changer et la Mission de Bethléem Immensee. Ces ONG co-financent une part du budget de ce projet, soutenu aussi par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), en particulier par la Division Politique IV pour la Sécurité Humaine. (apic/be)

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