Dans un contexte de lutte pour le territoire et d’offensive militaire, les «paras» tentent d’intimider les organisations sociales.
Depuis fin mars, les organisations sociales du Cauca vivent dans la crainte. Plusieurs menaces et événements inquiétants se sont produits dans ce département colombien, visant plus particulièrement les peuples autochtones, les associations paysannes et de femmes et les défenseurs des droits humains. Dans une zone de présence active d’ONG et de programmes suisses.
Les six organisations du Réseau pour la vie et les droits humains dans le Cauca ont dénoncé le 28 mars «les menaces contre la vie et l’intégrité physique de défenseurs des droits humains, de journalistes et de membres d’organisations sociales». Plusieurs des signataires, entre autres la Ruta Pacífica de Mujeres (Route pacifique des femmes) et l’organisation paysanne Comité du massif colombien (CIMA) sont depuis de nombreuses années partenaires ou bénéficiaires directs du Programme suisse pour la promotion de la paix en Colombie (SUIPPCOL).
Paramilitaires actifs
Le dernier vendredi de mars, un groupe d’inconnus a forcé le domicile de Miguel Alberto Fernández, fouillant entièrement son appartement et ne volant que le matériel professionnel. Ce défenseur des droits humains est un des responsables du CIMA et préside la section départementale de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT).
Le représentant de la police nationale qui est arrivé sur les lieux quelques minutes plus tard aurait reconnu qu’il ne s’agissait pas d’un «vol ordinaire». Ce qui amène les associations à y voir un «vol d’informations» et une «intimidation envers les organisations sociales et leurs dirigeants», selon leur communiqué.
Par ailleurs, un pamphlet signé par un groupe paramilitaire connu a été distribué fin mars dans la ville de Popayán, capitale du Cauca. Ce texte identifie comme objectif militaire plusieurs organisations indigènes (CRIC, ACIN), paysanne (CIMA) et l’Associations des institutions du Cauca, ASOINCA. La menace s’adresse également à des stations émettrices indigènes et à des journalistes locaux.
Tensions
«Les informations que nous recevons du Cauca nous préoccupent énormément. Elles s’inscrivent dans une conjoncture d’augmentation de la tension politico-militaire dans cette région de Colombie, avec une impunité totale pour les actions paramilitaires», souligne Bernard Borel, député du canton de Vaud et coordinateur de l’association Tejiendo Solidaridad (Tissant la solidarité) active dans cette région grâce à la coopérante colombienne Julia Madariaga (lire ci-dessous). «Malgré le fait que le nouveau président parle de changements substantiels et de droits à respecter, il semblerait que l’on soit en train de répéter la même stratégie qui a caractérisé Alvaro Uribe, son prédécesseur», juge M. Borel.
Le popiste a visité cette région l’an dernier au sein d’une délégation de personnalités helvétiques. «Nous avons fait la connaissance du défenseur des droits humains Miguel Fernández lors de notre visite et nous avons été marqués par le sérieux du travail qu’il réalise, en totale autonomie par rapport aux différents acteurs armés, et en faveur de la population paysanne et de son développement productif et social», relève-t-il. I
Sergio Ferrari
Traduction Bernard Perrin
Collaboration de presse E-CHANGER/ Le Courrier
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Massacre d’enfants soldats à Tacueyó
Hazard du calendrier? Dans ce même département de Cauca, la fin mars a été aussi marquée par un événement fondamental: les autorités et la communauté de Sauvegarde indigène de Canoas, dans la commune de Santander de Quilichao, ont expulsé de leur territoire le personnel et les machines d’une entreprise minière qui s’était installée dans la zone pour réaliser ses activités, sans respecter le processus de consultation préalable des communautés, tel que l’établit la Convention 169 de l’Organisation mondiale du travail. Simultanément, elles ont éradiqué trois cultures de produits illicites.
Cette régularisation n’a pas été du goût de tous. Comme le signale un communiqué signé par l’Association des Conseils autochtones du Nord du Cauca (ACIN), «une fois terminés les travaux d’éradication, les membres du Conseil furent l’objet d’un attentat avec des rafales de fusil». Quelques jours plus tard, Carlos Andrés Campo, gouverneur indigène de Canoas, a été menacé de mort par courrier électronique.
Le climat de tension dans le Cauca a par ailleurs augmenté considérablement, aussitôt après le bombardement par l’armée d’un camp de la guérilla à Tacueyó. Cette attaque perpétrée le 26 mars a causé la mort de quinze personnes, majoritairement des enfants autochtones encore mineurs, qui auraient été l’objet de «recrutement forcé» de la part des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), selon les organisations de la région.
«Les faits ne sont pas clairs, des enquêtes ont été ouvertes et elles vont prendre un certain temps», explique par téléphone depuis Cali l’anthropologue Julia Madariaga.
Volontaire de l’ONG suisse E-CHANGER, elle travaille pour l’organisation Minga de défense des droits humains, dans l’accompagnement pédagogique des communautés autochtones réunies au sein de l’ACIN.
Dans un communiqué, cette organisation estime que la «confrontation permanente a transformé les territoires indigènes en territoires de guerre de haute intensité…» et appelle «les acteurs armés à respecter le droit international humanitaire et en particulier à ce qu’ils s’abstiennent de recruter des mineurs».
«L’organisation indigène avait déjà dénoncé auparavant le recrutement forcé. Le jour précédant les événements de Tacueyó, nous nous étions d’ailleurs réunis avec l’ONG internationale War Child pour discuter de ce cas», explique Julia Madariaga. Qui souligne que «l’Etat colombien semble centrer son action sur la capacité punitive et la persécution de l’insurrection et non sur son devoir de garantir les droits fondamentaux» (Sergio Ferrari/ E-CHANGER/ Le Courrier)