Colombie:«Pour mettre fin au conflit, une issue politique est nécessaire»

Entretien avec la sénatrice colombienne Piedad Córdoba – La Colombie vit un conflit intérieur dont les conséquences humaines sont tragiques : il n’existe pas de solution militaire, la seule issue réside en une solution politique négociée. Telles sont les thèses de Piedad Córdoba (55 ans). Protagoniste indispensable dans la médiation qui devrait permettre la libération de prisonniers de la guérilla, cette sénatrice libérale critique fortement la politique du président Álvaro Uribe Velez, qui termine son deuxième mandat présidentiel (soit 8 ans de pouvoir).
A quelques semaines des élections présidentielles (30 mai), Piedad Córdoba a effectué une « tournée pour la paix » dans six pays européens. Elle a demandé au gouvernement colombien et à la communauté internationale des gestes politiques immédiats pour faire face à la profonde crise humanitaire en Colombie.

Q: Quel est l’objectif principal de votre offensive internationale ?
Piedad Córdoba (PC) : La communauté internationale doit reconnaître l’existence d’un conflit armé en Colombie. Or, de nombreux pays – motivés par leurs intérêts économiques ou ceux de leurs entreprises transnationales – restent aveugles à cette réalité. Un tel autisme nous préoccupe.
Nous venons présenter à nouveau le thème des droits humains, parler de la grave crise humanitaire actuelle et souligner le nécessité d’une solution politique négociée.
Nous voulons aussi rendre public le travail réalisé par les « Colombiens et Colombiennes pour la paix » pour un échange humanitaire de prisonniers et constituer des comités dans chaque pays, ainsi qu’un groupe « Européens pour la paix en Colombie ».
Enfin, nous avons constitué avec l’ex-président Ernesto Samper une « Coordination pour l’échange humanitaire ». En résumé, nous voulons pousser la communauté internationale à appuyer la voie de la négociation, au moment où le président Uribe ferme la porte à l’échange des prisonniers.
 
Q : Mais des porte-parole du gouvernement affirment qu’ils sont en faveur des négociations…
PC : C’est tout simplement un discours pour la galerie, qui ne correspond pas à la réalité. Depuis 2 ans, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) proposent l’échange des prisonniers. La dernière libération unilatérale effectuée par les FARC, fin mars 2010, aurait pu être effectuée un an plus tôt, et la responsabilité de ce retard incombe essentiellement au gouvernement, qui préfère une solution militaire.
 
 La doctrine de la « sécurité démocratique »
 
Q : Le président Uribe estime que la ligne de « sécurité démocratique », appliquée durant son mandat, a remporté des succès évidents.
PC : Comme exemple de succès, le gouvernement donne l’ « opération Jacque » (NdR : la libération d’Ingrid Betancour, en juin 2008) ou l’incursion de l’armée colombienne en Equateur (NdR : qui s’est soldée par la liquidation de Raul Reyes, dirigeant des FARC).
Mais si l’on considère des faits comme les 5 millions de déplacés internes, les 5000 cas de « faux positifs » (civils assassinés par l’armée, qui présente leurs corps comme ceux de guérilleros morts au combat), les 200.000 disparus en 10 ans, selon un rapport du procureur de la République, nous pouvons conclure à l’échec net et total d’une politique sécuritaire, qui consomme 10 % du budget national.
 
Q : Un bilan négatif,donc…
PC : Initialement, Uribe a présenté sous des dehors merveilleux sa politique de guerre préventive (dont les origines se trouvent aux USA). Mais cette politique camouflait simplement une stratégie de contrôle territorial, favorable à certains intérêts militaires et économiques.
Corollaire de cette stratégie, le gouvernement peut dénoncer tous ses opposants comme « terroristes ». C’est mon cas, bien que je sois membre d’un parti politique légal. Or, je n’ai jamais pris les armes, ni appartenu à aucune organisation armée.
Parlons d’autres aspects de la crise humanitaire qu’implique cette stratégie : on a découvert à Macarena une fosse commune où étaient enterrées 2000 personnes ; les conditions de détention dans les prisons sont indécentes, on y pratique la torture ; des chefs para-militaires aujourd’hui emprisonnés ont révélé l’existence de fours crématoires, où leurs groupes brûlaient les corps de leurs adversaires politiques. Enfin, il faut parler de la situation sociale actuelle, pour un bilan global.
 
Q: Que voulez-vous dire ?
PC : Uribe Vélez laisse 18 millions de pauvres, 8 millions d’indigents, un taux officiel de chômage de 16 %. Ce ne peut être considéré comme un résultat positif de cette « sécurité démocratique ».
 
 « Pas de nouveaux gestes unilatéraux »
 
Q: La libération unilatérale effectuée fin mars par les FARC améliore-t-elle les perspectives d’échanges humanitaires avant la fin du mandat de Uribe (août 2010)
PC : Difficile à dire. Dans une guerre, l’échange de prisonniers est un principe très important. Nous sommes d’accord sur le fait que les guérilleros libérés ne se réintègrent pas à la lutte armée. Il existe à ce propos des mécanismes de discussion avec les FARC et avec la société colombienne. Mais il est certain que ni les FARC ni nous-mêmes, comme médiateurs, ne vont travailler sur d’autres propositions de libérations unilatérales.
Il serait mieux de pouvoir avancer sur ce thème important avant la fin du mandat présidentiel. Le renvoyer après les élections, alors que les candidats en présence ne veulent pas aborder la thématique du conflit, équivaut à faire traîner les choses.
 
Q : A propos d’élections, que pensez-vous des dernières élections législatives (mars 2010), où vous avez conservé votre siège au Sénat ?
PC : Certes, j’ai été réélue sans problèmes, à ma grande surprise, vu la campagne de dénigrement que le gouvernement mène contre moi. Mais il y a eu tant d’irrégularités, de corruption, de votes achetés, bref une fraude telle qu’on n’en avait jamais vu depuis longtemps en Colombie, que je voudrais que ces élections soient refaites, en respectant un droit humain de base et pourtant violé : celui d’élire et d’être élu.
 
Q : Votre avis sur les élections présidentielles
PC : Il n’y a pas de grands espoir de changement, si l’on voit que le candidat le mieux placé dans les sondages est l’ex-ministre de la Défense du gouvernement actuel. Or, José Manuel Santos est responsable de la politique des « faux positifs » et de nombreuses violations des droits humains. Si cette tendance se confirme le 30 mai, il y aura approfondissement de cette politique de « sécurité démocratique », qui a pourtant échoué.
 
« La solidarité internationale, pas la charité »
 
Q : Revenons au début de notre entretien. Qu’attendez-vous concrètement de la communauté internationale ?
PC : Nous ne voulons pas la charité, mais une aide à la recherche de solutions négociées. L’engagement, la responsabilité et la solidarité avec un pays qui vit une guerre si cruelle. La communauté internationale doit comprendre que la Colombie est devenue le fer de lance pour déstabiliser les autres pays de la région et qu’il faut éviter que nous sombrions dans un conflit régional.
En résumé, trois points essentiels :l’engagement par rapport à la crise humanitaire que nous vivons ;la compréhension que le para-militarisme est un phénomène politique toujours vivant ;l’arrêt des assassinats extra-judiciaires et des persécutions contre les défenseur-e-s des droits humains et les dirigeants des mouvements sociaux, communaux, étudiants. Enfin, le suivi et l’assistance des prisonnier-e-s politiques, de droits communs et sociaux.
 
*Propos recueillis par Sergio Ferrari
Traduit de l’espagnol : Hans-Peter Renk

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