Cuba: «Un exemple de la lutte contre le virus»

«Un pays exemplaire dans la lutte contre le Covid-19.» De retour de la perle des Caraïbes, Franco Cavalli, président de l’ONG mediCuba Europe, ne tarit pas d’éloges. Si Cuba subit une dure crise économique sous l’effet conjoint de la pandémie et de l’embargo étasunien, l’oncologue tessinois, ancien conseiller national socialiste, salue l’effort national pour ne laisser personne sur le bord du chemin.

Les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) corroborent le constat. «Cuba compte cinquante fois moins de morts que la Suisse, et plus de cent fois moins que la Belgique», relève le fondateur de l’ONG de soutien au système médical cubain. Ainsi, durant ces dix derniers mois, le pays a dénombré quelque 8900 infections et seulement 136 décès pour une population d’environ 12 millions de personnes, dont 15% de personnes âgées. Cela représente un impact de 1,2 mort pour 100 000 habitants, alors que l’un de ses voisins, la République dominicaine, qui compte trois fois moins d’aînés, dépasse les 22 décès pour 100 000 habitants. Au cours de la même période, la Suisse atteint le chiffre de 65,7, la France, de 84,1 et la Belgique 153,1 victimes.

Santé communautaire

Le système public de santé, totalement gratuit, et le concept de médecine communautaire «ont réussi à contrôler la pandémie qui aurait pu faire des ravages, comme cela s’est produit dans la majorité des pays latino-américains et des Caraïbes», estime l’ancien président de l’Union internationale contre le cancer (lire également ci-dessous).

Durant son séjour, l’oncologue suisse a reçu toutes les informations sur les pas franchis par les chercheurs pour obtenir un vaccin1. «Soberana 1» est en phase 2. Les responsables espèrent pouvoir commencer la phase 3 vers la fin de l’année. Ils pensent qu’elle sera achevée à la fin du mois de mars et prévoient de l’appliquer vers le milieu de l’année 2021. Il existe un second projet, le vaccin «Soberana 2», également en chantier.

«Ils ont investi depuis de nombreuses années dans la recherche biomédicale. Ils ont une expérience énorme dans le secteur des vaccins», explique le médecin suisse. L’une des caractéristiques des structures spécialisées à Cuba est d’avoir développé dans un même espace la recherche et la production industrielle. Les exportations biotechnologiques représentent une source importante de revenus pour le pays.

Vaccin adapté au Sud

Le socialiste tessinois se souvient d’une phrase entendue à La Havane: «Nous ne serons pas les premiers à avoir un vaccin, mais nous aspirons à être le premier pays ayant vacciné toute sa population.» Un défi qui, vu les grands efforts déployés dans la recherche, pourrait être une réalité à moyen terme.

Le vaccin cubain, complète le Dr Cavalli, pourrait traverser les frontières. D’après des discussions avec plusieurs responsables de l’OMS à La Havane, il existe «l’espoir qu’il pourrait être distribué aussi à des prix accessibles dans des pays à faibles ressources. Adapté à des températures élevées, sans exiger des chaînes frigorifiques sophistiquées. Ce pourrait être une alternative réelle aux produits des grands laboratoires pharmaceutiques.»

Difficultés économiques

Reste que si la pandémie est maitrisée sur le plan sanitaire, ses conséquences économiques sont dramatiques. «Si l’on y ajoute l’impact du durcissement du blocus, par exemple avec la récente décision du président Donald Trump d’empêcher l’envoi de remesas [contributions envoyées par les Cubains résidant aux Etats-Unis à leurs familles restées à Cuba], le panorama est doublement préoccupant», insiste Franco Cavalli. On perçoit, complète-t-il, des éléments de la vie quotidienne similaires à la conjoncture vécue durant la «période spéciale», au début des années 1990. La différence, peut-être, «c’est que maintenant la pénurie de combustible est moindre qu’à cette époque».

Le tourisme, l’un des secteurs essentiels de l’économie – 10% du produit intérieur brut (PIB) –, a été interrompu pendant de nombreux mois. «Cette activité a maintenant repris mais avec beaucoup de précautions», explique Franco Cavalli. L’aéroport international de La Havane a été réouvert en novembre aux vols de ligne et quelques régions touristiques, comme Varadero, reprennent leurs activités.

Cette situation complexe n’a pas laissé indifférente la solidarité internationale, affirme le président de mediCuba Europe. Ce réseau a récolté quelque 600’000 euros durant les premiers mois de la pandémie, garantissant ainsi le financement des matériaux nécessaires pour préparer les tests ainsi que vingt-cinq appareils de ventilation pulmonaire.

Le prochain objectif consisterait à soutenir l’institut cubain Finlay dans son projet d’achat d’instruments de mesure, après la vaccination, de la modification des globules blancs produisant les anticorps qui combattent directement le Covid-19. Un matériel devisé à un demi-million d’euros dont l’achat a été pour l’heure rendu impossible pour cause d’embargo étasunien.

Sergio Ferrari , Le Courrier, 11_12_2020
Traduction Hans P.Renk
https://lecourrier.ch/2020/12/10/un-exemple-de-la-lutte-contre-le-virus/


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PRIVATISATION RENFORCÉE

La crise du Covid-19 aura eu raison de l’un des symboles de l’économie cubaine. Désormais, les capitaux privés étrangers pourront détenir la majorité des actions d’une coentreprise. Jusqu’à présent, la loi stipulait que la partie cubaine devait posséder au moins 51% des parts. Cette limite demeure toutefois dans les secteurs «de l’extraction de ressources naturelles et la prestation de services publics». Rappelons que l’actionnariat est impossible aux Cubains de l’île, qui ne peuvent posséder que leur petit commerce familial.

«Dans le tourisme, la biotechnologie, l’industrie pharmaceutique et le commerce de gros, les projets (d’entreprises mixtes) peuvent avoir une participation à parts égales ou y compris minoritaire de la partie cubaine», a donc précisé mardi le ministre du Commerce extérieur, Rodrigo Malmierca. La mesure vise à «donner plus de flexibilité» aux investissements étrangers alors que l’économie souffre de «manque de liquidités financières», en raison de la pandémie et du renforcement de l’embargo.

M. Malmierca a dévoilé un portefeuille de 503 projets destinés à attirer des capitaux étrangers, pour un montant total visé de 12,07 milliards de dollars. Ce portefeuille inclut «des projets de petits montants» afin «d’attirer des flux d’investissements de petites et moyennes entreprises ainsi que des Cubains résidant à l’étranger». Pouvoir investir dans leur pays d’origine est une revendication de longue date de la communauté cubaine à l’étranger, qui représente 2 millions de personnes, installée principalement aux Etats-Unis et en Europe.

Cuba a besoin de 5 milliards de dollars d’investissements par an, dont au moins 50% de l’étranger, selon les calculs officiels. Dans les faits ce chiffre est loin d’être atteint. «De novembre 2019 à novembre 2020, 34 nouveaux projets (…) d’un montant d’investissement de 1,885 milliard de dollars ont été approuvés», dans les secteurs «alimentaire, touristique, de la construction, des mines, de l’énergie et de l’industrie», a indiqué M. Malmierca. BPZ/ATS


LA RECONNAISSANCE DU «FIGARO»

La réussite du système cubain de prévention des épidémies a été récemment soulignée par Le Figaro2, média pourtant peu suspect de sympathie idéologique avec La Havane. Interrogé par le quotidien français, Stéphane Witkowski, président de l’Institut des hautes études sur l’Amérique latine (Paris 3-Sorbonne), fait remonter cette spécialité cubaine à la Révolution de 1959. «Fidel Castro a vu que beaucoup de médecins avaient été attirés par les Etats-Unis. Il a donc fallu reconstituer totalement le dispositif de santé et il en a fait un dispositif majeur et gratuit pour la population en mettant l’accent sur un système de santé préventive.» L’impact des politiques publiques mises en place à ce moment a été renforcé par l’image du très populaire médecin et guérillero Ernesto «Che» Guevara, assure Stéphane Witkowski.

L’article rappelle que la priorité à la prévention passe sur l’île par «un suivi médical étroit, permis par un nombre important de médecins. En moyenne, pour 1000 habitants, Cuba compte 8,4 médecins. A titre de comparaison, la France en dénombre 3,3. Le bon suivi des patients est renforcé par une implantation très localisée du personnel soignant.» Une proximité qui crée une relation particulière aux usagers. «Les agents de santé ou les personnes en charge des communautés des quartiers ont cette obsession que les personnes ne souffrent pas», souligne l’expert.

Quant aux Cubains, sensibilisé depuis des décennies aux questions de santé, ils se montreraient particulièrement réceptifs. «Il y a une forme d’unanimité sur les mesures en matière de santé. Il y a une adhésion parce que les Cubains considèrent la santé comme une priorité», conclut Stéphane Witkowski. BPZ

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