Cultiver pour les agrocarburants: quels risques pour l’Afrique de l’Ouest?

Beaucoup brandissent les agrocarburants comme remède miracle de substitution aux énergies fossiles non renouvelables, telles que le pétrole. Ils constitueraient la solution d’avenir pour réduire la pollution due aux gaz à effet de serre et lutter contre les changements climatiques qui en résultent. Mais qu’en est-il vraiment ? Et quels risques représentent-t-ils dans le cas de l’Afrique de l’Ouest ?
L’intérêt de ces carburants d’origine agricole est qu’ils peuvent être obtenus à partir de matières organiques végétales telles que le maïs, le colza, le tournesol, le blé, le soja, la canne à sucre ou encore le jatropha. Contrairement aux autres, le jatropha n’est pas une culture vivrière, raison pour laquelle cette plante a été choisie pour une expérimentation au Burkina Faso et dans les autres pays de la sous-région. Cet argument a été utilisé pour affirmer que la production d’agrocarburants ne serait pas en concurrence avec des cultures nourricières. Une autre raison avancée est que le jatropha peut pousser sur des sols arides, et est donc apte à être cultivé sur des surfaces impropres aux autres cultures, qui sont des terres inutilisées. Mais en réalité, pour que le jatropha ait un rendement suffisant, permettant la production d’agro-carburant, il lui faut des conditions pédoclimatiques particulièrement favorables, des sols très riches et une bonne irrigation. Il est donc cultivé sur des terres à vocation agricole, et en particulier sur des terres très fertiles.
Une étude (Opportunités de développement des biocarburants au Burkina Faso, MAHRH, octobre 2008) établit que, pour remplacer la totalité de la consommation actuelle de carburants, il faudrait mettre en culture plusieurs millions d’hectares de jatropha ! On constate donc clairement que l’intérêt du jatropha pour réduire la dépendance extérieure en matière de carburant – ce qui serait, semble-t-il, l’objectif principal de cette culture – se révélerait en concurrence directe avec la sécurité alimentaire de la population.
 
En outre, une des particularités du jatropha est d’être une plante toxique, tant pour les hommes que pour le bétail. Ainsi, ni son tourteau ni sa fumure ne peuvent être utilisés pour les animaux ou pour les champs, et les presses pour en extraire l’huile sont impropres à un usage alimentaire, sauf à risquer une contamination. Il est reconnu que le rendement du jatropha est meilleur en culture associée, mais on ne connaît pas, à ce jour, l’éventuelle dangerosité de cette pratique pour les autres plantes, pas plus que la durée de l’effet des toxines dans le sol.
 
Dans d’autres pays où cette culture a déjà été introduite, il apparaît que même dans ceux qui, comme le Brésil, Madagascar ou la Tanzanie, sont bien plus avantagés que le Burkina du point de vue de la  richesse des sols, du climat et de l’économie, les résultats ont été catastrophiques. De grandes firmes occidentales ont d’ailleurs abandonné le projet. En Zambie, la culture du jatropha a même été interdite ! On estime que les céréales nécessaires à un plein d’agrocarburant pour un 4×4 suffisent à nourrir un homme pendant une année. Cela donne une idée de la quantité de produits végétaux qui serait indispensable pour remplacer les carburants issus du pétrole. Seule une culture intensive pourrait fournir des rendements suffisants, mais une telle culture annule les bénéfices attendus sur l’environnement en nécessitant l’utilisation d’intrants chimiques (engrais et pesticides) et de nombreuses machines qui ont besoin de … carburant !
 
 Pour le moment, cette culture est fortement subventionnée au Burkina Faso et en Afrique de l’Ouest, d’où l’engagement de nombreux cultivateurs dans cette voie, mais l’appât du gain risque d’amplifier le problème déjà grandissant de l’accaparement des terres, en vue de produire pour l’exportation. La production d’agrocarburants ne bénéficiera donc pas aux populations locales.
 
Mais, à y regarder de plus près, cet appât du gain est-il justifié ? La culture du maïs peut fournir un rendement de 2 à 5 tonnes à l’hectare, et le kilo de grains est vendu à 120 Fr CFA. Celle du jatropha a un rendement d’environ 500 kg à l’hectare et le kilo de graines est vendu à 60 Fr CFA. Le jeu en vaut-il la chandelle pour les producteurs ? Pas si sûr …
 
Produire des carburants propres : un beau rêve qui pourrait virer au cauchemar. Malheureusement les calculs économiques risquent une fois de plus de prendre le pas sur les considérations humaines et environnementales … Raison pour laquelle la Fédération Nationale des Organisations Paysannes (FENOP), au Burkina Faso, s’engage pour la protection des exploitations rurales familiales et pour la défense des intérêts des petits producteurs et des communautés paysannes dans leur ensemble.
 
Alexandra MELLE
Cooper-actrice d’E-CHANGER à la FENOP
Burkina Faso
 

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