Cyber-guerre ouverte avec Google

Bombardée d’attaques, corsetée par la censure, la société américaine se dit prête à abandonner le premier marché mondial. La Chine réagit… en censurant le communiqué officiel de Google.
Le communiqué s’intitule pudiquement «une nouvelle approche en Chine», mais c’est une bombe. Le plus grand moteur de recherche mondial, l’entreprise emblématique du XXIe siècle naissant (Google, bien sûr) prend le risque de renoncer à la Chine, pays le plus peuplé du globe et premier marché avec 370 millions d’internautes.
Fait rare, la société s’en explique longuement et porte des accusations graves qui ne visent pas directement le gouvernement, mais une «tierce partie» chinoise espionnant systématiquement les comptes en ligne de défenseurs de droits de l’homme chinois et occidentaux. Les cyber-attaques vont bien au-delà: l’enquête de Google a révélé qu’elles visent «au moins 20  sociétés recouvrant un large spectre d’activités – finance, technologie, médias et chimie».
Hillary Clinton a demandé mardi des explications à la Chine. «Google nous a informés de ces accusations, qui soulèvent de très graves inquiétudes», a déclaré la secrétaire d’Etat américaine. Les autorités chinoises ont réagi de manière plus feutrée. Un fonctionnaire anonyme «de haut rang» dit à China Daily que le gouvernement «cherche plus d’informations sur les intentions de Google». L’Etat a surtout promptement censuré le communiqué de Google sur les sites chinois.
Quand la société a ouvert google.cn en 2006, les critiques ont fusé sur sa docilité face aux limites imposées par les autorités – Yahoo! a essuyé les mêmes. Google pensait alors que «les bénéfices d’un accès accru à l’information pour la population et un Internet plus ouvert l’emportent sur l’inconfort consistant à censurer quelques résultats de recherches».
«Très difficile à prendre», la décision annoncée mardi (et soutenue par Yahoo!) résonne comme un aveu d’échec: «Nous n’acceptons plus de censurer les résultats de recherches sur le site google.cn, et nous discuterons avec le gouvernement chinois des bases sur lesquelles nous pouvons offrir un moteur non filtré dans les limites de la loi – si cela est possible. Nous sommes conscients que cela peut signifier la fermeture de google.cn, et peut-être de nos bureaux en Chine», qui emploient 700 personnes.
En pratique, le site google.cn appliquait toujours les filtres chinois mercredi. Un expatrié suisse reste dubitatif face à «un effet d’annonce. La plupart de mes amis chinois utilisent le moteur de recherches Baidu et sont moins inquiets d’un éventuel retrait de Google que des limites d’accès imposées à Facebook ou à Twitter.»
Autre avis chez une journaliste chinoise: «Google était le sujet le plus chaud aujourd’hui. La plupart d’entre nous espérons que la société restera. Nous avons besoin d’un Internet libre.»
Pour Sharon Hom, directrice de Human Rights in China interviewée par Le Temps, la décision de Google «est importante, parce qu’elle montre qu’on ne peut pas séparer les affaires des questions liées aux droits de l’homme. Ce qui est en jeu, c’est aussi la propriété intellectuelle, l’intégrité des données collectées par des entreprises étrangères.»
Dans son bras de fer, Google ne part pas, à première vue, en position de force. Elle possède entre 33 et 36% du marché selon les estimations, contre près de 60% pour son concurrent chinois Baidu, dont l’action progressait de 6,8% mardi soir tandis que celle de Google perdait 1,1%.
«Analyser les événements en termes de parts de marché est trop réducteur, poursuit Sharon Hom. Jusqu’à présent, les entreprises occidentales pliaient systématiquement face aux pressions chinoises. Pour une fois, ce n’est pas le cas. Ce qui est en jeu ici, fondamentalement, est le droit des entreprises à opérer dans un environnement sûr et prévisible. Il ne l’est pas en Chine et, tant que cela sera le cas, il en résultera un risque élevé – économique aussi.»
Avis partagé par la journaliste interrogée par Le Temps: «Si Google part, il n’y aura que des perdants, y compris Baidu. Pour beaucoup d’experts, une réglementation trop stricte d’Internet nous fera reculer de dix ans.»
«Ce n’est pas Google qui se retire de Chine, c’est la Chine qui se retire du monde», écrit un blogueur, se référant aux multiples initiatives visant à créer une «Grande Muraille électronique». En juillet 2009, le gouvernement de Pékin a différé (mais pas renoncé à) un projet baptisé Green Dam Youth Escort obligeant tous les fabricants à implanter un logiciel espion dans chaque ordinateur vendu en Chine. La semaine dernière, la société américaine Solid Oak Software a réclamé 2,2 milliards de dollars de dommages à Pékin et aux grands fabricants, les accusant d’avoir piraté 3000 lignes de code pour Green Dam.
Jean-Claude Péclet

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