Dix ans de guerre en Syrie

Depuis le début de la guerre en Syrie, il y a dix ans, la vie de la population Syrienne est menacée.

En 2011, la situation dans le pays évolue rapidement. Les manifestations locales se transforment en guerre à grande échelle, et cela mène à la situation humanitaire catastrophique qui persiste encore dix ans plus tard et que nous connaissons aujourd’hui. Au cours de cette décennie de guerre, 12 millions de Syriens – la moitié de la population d’avant-guerre – ont dû fuir le conflit et abandonner leur foyer, souvent à plusieurs reprises. Cela représente la plus grande crise de déplacement de notre siècle. La plupart des personnes déplacées le sont encore aujourd’hui.

Une grande partie de l’infrastructure syrienne a également été détruite par ces années de conflit. Le système de santé syrien, qui fonctionnait relativement bien jusqu’alors, a été totalement dévasté par la guerre. Des centaines de structures médicales ont été bombardées, un grand nombre du personnel médical a été tué ou a fui, et les pénuries de matériel médical perdurent aujourd’hui dans de nombreuses parties du pays. Aujourd’hui, les besoins médicaux de la population sont énormes.

Médecins Sans Frontières (MSF) répond à la crise en Syrie depuis le début de la guerre. Notre organisation a apporté son soutien aux personnes dans le besoin dans différentes régions du pays, à travers des donations de matériel, l’installation d’hôpitaux et de cliniques, mais aussi un soutien à distance à des structures médicales et des réseaux de docteurs dans les zones auxquelles MSF n’avait pas d’accès direct. Aujourd’hui, notre organisation apporte son assistance à la population syrienne dans le pays mais aussi dans plusieurs pays frontaliers accueillant des réfugiés Syriens. 

Cette rétrospective couvre une décennie de conflit en Syrie. Elle met en lumière les besoins médicaux et humanitaires de millions de Syriens, qui n’ont fait qu’augmenter avec le temps, et les efforts de MSF pour y répondre. 

2011 : Les manifestations se transforment en conflit armé 

En 2011, de nombreux Syriens descendent dans la rue pour manifester et demander des réformes démocratiques. Le soulèvement évolue vite et ce qu’étaient des petites manifestations au commencement se transforment très rapidement en grand rassemblement massif au mois de mars. Les manifestants font face à des violences policières et militaires. Ils sont confrontés à des arrestations massives et une répression brutale. Des centaines de personnes meurent, des milliers sont blessées. Le soulèvement tourne au conflit et les Syriens commencent à fuir leur ville, pour aller se réfugier dans d’autres zones de Syrie ou même dans d’autres pays de la région. 

Pour MSF, apporter un soutien médical à la population Syrienne s’avère compliqué dès le début du conflit. En effet, depuis 2011 et jusqu’à aujourd’hui, MSF n’obtient pas l’autorisation de travailler dans les zones sous le contrôle du gouvernement Syrien, malgré les nombreuses demandes pour avoir la permission de le faire. En conséquence, nos zones d’intervention ont toujours été dans les zones hors du contrôle du gouvernement. 

Malgré cela, MSF est en mesure d’apporter une assistance médicale aux personnes dans le besoin en Syrie, en soutenant notamment des réseaux de docteurs syriens et en faisant des donations de matériel médical et de première nécessité à des hôpitaux de campagne et cliniques dans les provinces de Homs, Idlib, Hama et Dara’. Comme nous ne pouvons pas accéder à Damas, la capitale, nous faisons des donations au Croissant-Rouge Syrien, en réponse à l’augmentation des besoins médicaux et au manque de matériel médical dans la ville. 

Dans les pays voisins comme le Liban ou la Jordanie, MSF commence à apporter son soutien aux Syriens qui ont besoin de soins médicaux qui ne sont pas disponible dans leur pays. Nous montons aussi des projets pour porter assistance aux réfugiés qui ont fui la violence en Syrie. 

2012 : Une guerre à part entière 

En 2012, la guerre s’intensifie avec la formation et la participation de différents acteurs dans le conflit. Malgré de nombreuses tentatives pour instaurer un couvre-feu, le conflit évolue rapidement en guerre à part-entière, et le nombre de morts et de blessés commence à augmenter de façon exponentielle dans le pays.

MSF ouvre des hôpitaux au nord de la Syrie, pour répondre aux besoins médicaux de la population dans ces zones. La plupart de ces hôpitaux sont installés dans des endroits peu conventionnels, tels que des villas, des fermes, des écoles, ou encore des caves, car un certain nombre de structures médicales ont été touchées et détruites par le conflit. Dans ces hôpitaux, les équipes MSF apportent un traitement médical d’urgence, en se concentrant principalement sur des services de traumatologie et de chirurgie de guerre. 

Alors que le nombre de réfugiés syriens augmente dans les pays voisins, MSF étend ses activités dans des endroit comme la vallée de la Bekaa au Liban ou les camps installés à Domiz, au Kurdistan Irakien. De nombreux réfugiés syriens fuient plus loin, ils quittent le Moyen-Orient et se dirigent vers l’Europe. 

2013 : Les besoins des Syriens augmentent

En 2013, les Syriens ne sont pas seulement exposés à des niveaux de violence particulièrement élevés, mais aussi aux conséquences directes d’un système de santé devenu dysfonctionnel et qui se détériore peu à peu. Les équipes MSF commencent à être témoins de la résurgence de maladies qui peuvent être évitées. Des cas de rougeoles parmi les enfants d’Alep et la découverte du premier cas de polio en Syrie depuis 14 ans sont les premières indications de la rupture du système de santé syrien à cause du conflit. MSF organise des campagnes de vaccinations de masse au nord-est de la Syrie. 

Les organisations médicales dans le pays commencent aussi à prendre davantage la parole sur leurs difficultés à répondre aux besoins de la population, ou même juste leur capacité à répondre aux flux massifs de blessés et autres urgences dans les structures de santé. 

A cause de l’intensité des combats dans le sud de la Syrie, MSF ouvre un programme d’urgence chirurgicale à Ramtha, dans le nord de la Jordanie, à côté de la frontière syrienne. L’organisation y traite des blessés de guerre qui ne peuvent pas recevoir de soins dans les 14 hôpitaux de campagne dans la ville de Dara’. 

Pendant ce temps, des centaines de milliers de Syriens continuent à fuir la Syrie, recherchant la sécurité ou la possibilité de se faire soigner dans les pays voisins. Ces pays, qui reçoivent un flux continu de réfugiés, commencent à adopter des politiques migratoires plus restrictives. En réponse à cela, MSF étend encore davantage le volume de ses opérations dans la région, pour pouvoir assister au mieux la population syrienne. 

A la fin de 2013, on estime qu’environ 1.5 million de Syriens sont réfugiés. 

2014 : Les affrontements meurtriers s’intensifient 

En 2014, la guerre devient de plus en plus sanglante. Les Nations Unies estiment que 6.5 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays et plus de 3 millions fuient la Syrie. 

La violence et l’insécurité, l’intensification des sièges de certaines villes, l’augmentation des bombardements et les attaques de structures de santé et du personnel médical sont certains des obstacles que rencontrent les équipes MSF. Cela nous empêche d’étendre davantage notre programme d’aide médicale humanitaire.

L’enlèvement de membres du personnel MSF en 2014 nous amène aussi à arrêter nos activités dans zones contrôlées par le groupe Etat Islamique et à retirer nos équipes internationales du nord-ouest de la Syrie. Mais nous arrivons tout de même à conserver notre réponse dans le pays, nous ouvrons des nouveaux projets et augmentons également notre soutien à distance à des structures médicales situées dans le pays. 

2015 : Une énorme crise de déplacement 

En 2015, le nombre de réfugiés syriens qui ont fui le pays dépasse la barre des 4 millions de personnes. Des milliers d’entre eux tentent dangereusement de traverser la mer Méditerranée. Pendant ce temps, 6 millions de Syriens sont aussi déplacés au sein même de la Syrie. Le conflit a causé la plus grosse crise de déplacement depuis la seconde guerre mondiale, des millions de personnes ont désespérément besoin d’aide humanitaire. En conséquence, MSF augmente ses activités dans la région et lance également des opérations de sauvetage dans la Méditerranée, pour porter assistance aux populations qui migrent vers l’Europe. 

Avec de plus en plus de pays et d’acteurs qui interviennent dans cette guerre, 2015 se caractérise par un niveau de violence extrême, qui affecte la vie de millions de personnes. Les zones civiles sont régulièrement bombardées, souvent lors de « doubles attaques » – dans le cadre desquelles une frappe aérienne initiale est suivie d’une seconde frappe qui vise les équipes de secours ou les structures médicales qui reçoivent les blessés. Il y a aussi de nombreux rapports faisant état d’attaques liées à des symptômes représentatifs d’une exposition à des agents chimiques.  Au moins 1.5 million de personnes se trouvent dans des zones assiégées, sans accès à l’aide humanitaire ou aux soins de santé et sans possibilité d’évacuation médicale. 

Au sein de la Syrie, 2015 marque l’année durant laquelle MSF soutient le plus grand nombre de structures jusqu’à aujourd’hui : près de 150 établissements de santé. Toutefois, le soutien de l’organisation n’empêche pas ces structures d’être directement impactées par le conflit. En 2015, 23 personnels de santé soutenus par MSF sont tués et 58 autres blessés. 63 hôpitaux et cliniques soutenus par MSF sont bombardés ou touchés par des tirs de mortiers, 94 fois sur le long de l’année. 12 de ces structures sont complètement détruites. 

Cette même année, MSF obtient l’accès à la ville dévastée de Kobané / Ayn Al Arab, après que le groupe Etat Islamique ait été forcé de quitter la zone par les forces Kurdes, qui ont le soutien des forces de la coalition. L’organisation y construit un hôpital, mais il est très vite détruit à nouveau, à la suite d’une nouvelle période de conflit intense dans la ville lorsque des combattants du groupe Etat Islamique s’y infiltre à nouveau. En dépit de ces évènements, MSF continue de soutenir l’offre de soins de santé primaire et secondaire dans la ville. 

2016 : Une population prise au piège 

En 2016, les tactiques de siège continuent, les « doubles attaques » augmentent et les bombardements s’intensifient. La crise humanitaire à l’intérieur du pays devient de plus en plus terrible. A ce moment-là, beaucoup de zones civiles ont été bombardées de façon routinière et sont dépourvues d’aide humanitaire. Avoir accès à l’eau et aux services de santé est extrêmement difficile pour la plupart des gens, en particulier pour les populations assiégées. 

En décembre, le gouvernement Syrien entreprend de reprendre le contrôle d’Alep-est. Les résidents de la zone vivent l’une des campagnes de bombardements les plus intenses et violentes de la guerre de cinq ans. Alep-est devient l’illustration du conflit syrien. Toutes les atrocités de la guerre y sont commises : les techniques de siège, la destruction de multiples hôpitaux, des bombardements indiscriminés de zones civiles et une ignorance totale des règles de la guerre. A l’époque, MSF supporte (partiellement ou intégralement) huit hôpitaux dans l’est de la ville – tous sont bombardés. 

Les structures médicales, le personnel de santé et les patients continuent d’être les victimes d’attaques indiscriminées et ciblées. En 2016, 32 structures de santé qui reçoivent notre soutien sont bombardées ou touchées par des tirs de mortiers 71 fois.

Pendant ce temps, la plupart des pays voisins de la Syrie ont fermé leurs frontières aux réfugiés. Beaucoup de personnes sont coincées dans des zones assiégées ou des zones frontalières, comme on peut le voir à cette époque à la frontière Jordanienne, où l’accès à des activités de secours pour les personnes blessées de guerre est bloqué. 

2017 : Une course pour la conquête du territoire 

Une course pour la conquête et le contrôle du territoire émerge et cela devient le changement géopolitique principal de cette année-là. Après une offensive militaire majeure sur la ville de Raqqa, le groupe Etat Islamique perd le contrôle d’une grande partie du territoire au nord-est de la Syrie au profit des Forces Démocratiques Syriennes, soutenues par les Etats-Unis. MSF traite des centaines de blessés de guerre, résultat d’une offensive se caractérisant par des bombardements intenses dans la ville. De nombreuses personnes sont aussi gravement blessées par les objets piégés et autres engins explosifs improvisés laissés dans les maisons détruites de la ville. 

Pendant ce temps, au sud du pays, le gouvernement Syrien reprend le contrôle de territoires dans les provinces de Dara’, Quneitra et Suwayda. Ces évènements ont des conséquences majeures sur les vies de centaines de milliers de personnes qui vivent dans cette région et sont affectées par les combats. 

Ces changements de dynamiques et d’équilibre des pouvoirs perturbent nos activités dans certaines des zones où nous travaillons. 11 structures de santé que nous soutenons sont touchées par des bombes ou des éclats d’obus à 12 reprises, dans des attaques ciblées ou indiscriminées. 

2018 : Vagues de déplacements et de retours 

Avec les combats intenses pour gagner le contrôle de régions disputées, et avec les avancées militaires des forces gouvernementales syriennes, des nouvelles vagues de déplacement commencent, en direction du nord-ouest de la Syrie. Celles-ci font suite à des termes imposés par le gouvernement syrien, lorsqu’il reprend le contrôle d’une zone : les combattants et les civils qui souhaitent être transportés vers une autre zone de la Syrie qui n’est pas sous contrôle du gouvernement, le peuvent. La plupart du temps, ces déplacés sont transportés dans la province d’Idlib. Pendant ce temps, au nord-est de la Syrie, la population retourne dans des villes en ruines, pleines de mines antipersonnel et d’engins explosifs improvisés. 

Entre les mois de février et d’avril, la Ghouta orientale, située dans la banlieue de Damas, vit l’une des campagnes de bombardements la plus importante depuis le début du conflit. De nombreuses structures de santé sont touchées, et environ 2 000 personnes sont tuées lors de cette offensive. A la fin de celle-ci, le gouvernement Syrien prend contrôle de la zone. 

Dans beaucoup d’endroits, comme Dara’, la Ghouta orientale, Hama ou Homs, MSF se retrouve dans l’incapacité de continuer son travail et de soutenir les structures médicales une fois que ces zones sont reprises par le gouvernement syrien. Nous augmentons alors notre soutien médical au nord du pays. 

2019 : Les opérations militaires au nord de la Syrie

En 2019, le conflit continue, souvent affectant le nord de la Syrie. 

Au nord-ouest du pays, des centaines de milliers de personnes sont déplacées à la suite d’une offensive lancée par le gouvernement Syrien et ses alliés, notamment la Russie, dans la province d’Idlib, dernière zone sous contrôle de l’opposition. La plupart des déplacés se dirigent vers des zones où l’accès à l’eau potable et aux soins de santé est limité. Ces gens n’ont que peu d’options : la plupart des zones considérées comme relativement sûres sont déjà surpeuplées et les acteurs humanitaires débordés.

Au nord-est de la Syrie, MSF augmente ses activités face à l’afflux rapide de 60 000 personnes dans le camp d’Al Hol. La plupart d’entre elles viennent de l’un des derniers bastions du groupe Etat Islamique, dans le gouvernorat de Deir Ez-Zor. Plus tard cette année-là, l’armée Turque, avec l’aide de groupes armés d’opposition syrienne, lance l’opération « source de paix ». Le but est de déloger les Unités de protection du peuple (YPG) Kurde d’une portion de terre de 30km de long et 440km de large, le long de la frontière turque. 

En plus du conflit et des déplacements continus, en 2019, la Syrie vit l’une de ses pires crises économiques depuis des années. La livre syrienne atteint un taux extrêmement bas sur le marché noir et la vie de la population devient de plus en plus difficile. 

2020 : Offensives militaires, crise économique et pandémie mondiale

2020 commence avec la continuation d’une offensive militaire énorme au nord-ouest de la Syrie. Près d’un million de personnes sont déplacées. La plupart d’entre elles l’étaient déjà mais doivent fuir à nouveau. Beaucoup des déplacés au nord-ouest de la Syrie ont dû s’enfuir plusieurs fois au cours des mois et des années qui viennent de s’écouler. 

La pandémie de Covid-19 empire encore davantage les conditions de santé déjà précaires en Syrie. Quatre mois après que la pandémie soit déclarée officiellement, la maladie arrive à Idlib, avec le premier cas confirmé le 9 juillet. Les premiers cas de Covid-19 se trouvent au sein de la communauté médicale et cela devient une préoccupation grandissante au cours des mois qui suivent. En effet, même avant la pandémie, les ressources humaines étaient limitées à Idlib. Les hôpitaux de la région devaient souvent partager le personnel médical pour rester ouverts. En ce sens, juste quelques docteurs malades et qui ne peuvent pas travailler, affectent grandement l’accès à la santé. 

Pendant ce temps, la crise économique continue. La dépréciation de la livre Syrienne atteint des records et la réalité des Syriens s’aggrave encore davantage. Beaucoup d’entre eux ne sont plus capables de combler leurs besoins les plus basiques tels que le logement, la nourriture et les soins de santé. Les réfugiés dans les pays voisins souffrent aussi des crises économiques dans ces pays, comme au Liban par exemple. 

Après neuf ans de guerre, le système de santé syrien est détruit. Les ressources matérielles et humaines sont limitées, beaucoup de structures de santé sont souvent fermées ou ne sont plus fonctionnelles. 

Mars 2021

Dix ans plus tard, le conflit continue en Syrie et la population souffre toujours. Les effets de la guerre ont un impact désastreux pour les Syriens, partout dans le monde. A l’heure actuelle, près de 12 millions de Syriens, la moitié de la population d’avant-guerre, sont déplacés au sein ou à l’extérieur de la Syrie. 5.6 millions sont réfugiés dans différents pays du monde, la plupart en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak ou en Egypte. 6.2 millions sont déplacés internes, le plus grand nombre au monde. La plupart d’entre eux vit dans des conditions précaires et désastreuses. 

12.4 millions de Syriens, un record, près de 60% de la population, sont maintenant en état d’insécurité alimentaire, selon les derniers chiffres du Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations Unies. En l’espace d’un an seulement, 4.5 millions de Syriens de plus sont tombés en situation d’insécurité alimentaire. La crise économique, les pertes d’emplois à cause de la pandémie de Covid-19, et la hausse des prix ont ajouté encore une autre difficulté à la situation déjà critique des Syriens, déplacés et épuisés par cette décennie de conflit.  

Et encore…

5 ans de crise: Dans les yeux des réfugiés Syriens

Idlib, le dernier chapitre sans fin de la guerre en Syrie

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