E-CHANGER Brésil: 20 ans de coopération solidaire entre Nord et Sud

Octobre 1995. Poraquê, commune de Rio Preta da Eva, en Amazonie. Des penseurs brésiliens rencontrent une poignée de coopér-acteurs/trices suisses afin de réfléchir ensemble à la mise sur pied d’un programme national pour E-CHANGER Brésil, avec à sa tête une coordination binationale.
Jusque-là, les quelques projets soutenus étaient dispersés géographiquement et politiquement. À partir de cette rencontre, une stratégie s’est développée pour augmenter le potentiel d’insertion des coopér-acteurs/trices, par le renforcement de leur organisation partenaire au Brésil, tout comme dans leur travail de sensibilisation de la société suisse.
Mai 2015. Le programme Brésil d’E-CHANGER, aujourd’hui COMUNDO, conduit à nouveau les participant-e-s à Poraquê, en Amazonie, pour cinq jours d’intenses échanges d’expériences institutionnelles et de lutte, de débats et de formation politique. Les participant-e-s ont pu expérimenter la vie communautaire en symbiose avec la nature et se familiariser avec le rythme de la forêt et de ceux qui y vivent en harmonie. Nous avons proclamé ensemble : « Solidarité entre les peuples de la forêt, de la campagne et des villes ! »
Et c’est ainsi que se boucle un cycle de 20 ans de travail, de vie collective, d’appui et de lutte aux côtés de quelques-uns des principaux acteurs du changement de la société brésilienne, mouvements et organisations sociales de base. Parmi eux, le MST – Mouvement des Travailleurs Ruraux sans Terre, la Marche mondiale des femmes, la CMP – Centrale des mouvements populaires, l’Union des habitations populaires, l’ABONG – Association Brésilienne des ONGs et la SECOYA – Service de coopération avec le peuple Yanomami, entre autres ONGs qui travaillent en lien avec les mouvements sociaux. Durant toute cette période, le programme Brésil a continué d’agir sur le plan national, malgré la grandeur du pays et la diversité des réalités. Tout au sud du pays, dans le Rio Grande do Sul, nous avons entretenu, durant six ans, un partenariat avec le MST pour le renforcement technique et politique de la production de riz biologique. Tout au nord, en Amazonie, nous avons, depuis 20 ans, un partenariat avec la SECOYA : sont actuellement présentes deux coopér-actrices suisses, dans le domaine du renforcement des programmes d’éducation en santé, d’éducation ciblée, de contrôle social et d’organisation de la population Yanomami.
Renforcer, pas remplacer
E-CHANGER Brésil ne se considère pas comme l’instigateur des changements dans la société brésilienne, mais se perçoit comme un outil de renforcement des organisations partenaires actives sur son territoire. Cette insertion est enracinée dans la réalité locale de chaque organisation, avec des liens régionaux ou nationaux, voire même, dans certains cas, internationaux. Quand le programme appuie le siège national du MST , ou de l’UNIAO nous renforçons directement le travail de ces mouvements dans les différents Etats du Brésil où ils sont présents. Quand nous soutenons des ONGs qui luttent contre la violation des droits humains sur le plan local, nous renforçons le réseau de défense des droits humains sur le plan national.
Comment est-il possible qu’une petite agence de coopération solidaire, avec relativement peu de coopér-acteurs/trices, puisse exercer un impact significatif dans un pays de la taille du Brésil ? Nous estimons qu’il y a un réel potentiel multiplicateur lié à l’insertion des coopér-acteurs/tices au sein d’un collectif ou d’une équipe de nos organisations partenaires menant des actions stratégiques. Notre impact est significatif, comparé à une insertion plus restreinte ou uniquement locale. C’est ce qui fait toute la différence entre l’action d’envoyer une pédagogue suisse donner des cours dans une école rurale et celle d’insérer cette même professionnelle dans une équipe élaborant la politique d’éducation à la campagne. Ou la différence entre le fait d’envoyer une spécialiste du genre travailler dans un groupe local de femmes et celui d’insérer cette professionnelle au Secrétariat International de la Marche Mondiale des Femmes où elle réalise un travail d’articulation entre les mouvements de femmes des programmes nationaux d’E-CHANGER au Brésil, au Burkina Faso et aux Philippines.
Alors que nous mesurions la plus-value de l’insertion d’un-e coopér-acteur/trice suisse dans le renforcement institutionnel, technique et politique de son organisation partenaire, nous avons continuellement ajusté la politique des coopér-acteur/trices nationaux. Ceci dans le sens de valoriser la coopération solidaire d’E-CHANGER dans un partenariat horizontal entre Nord et Sud et dans l’idée qu’un-e travailleur-se locale peut agir dans des situations d’urgence sans avoir besoin d’un temps d’adaptation, ou offrir une autre contribution à l’organisation partenaire. C’est le cas de notre coopér-acteur national, avocat de l’UNIAO au Maranhão, qui défend les communautés à risque, en s’appuyant sur sa connaissance intime des processus juridiques du pays.
Horizontal et collectif
Le programme Brésil a été construit collectivement, avec la participation active des organisations partenaires. À chaque étape de son élaboration, un dialogue a été établi avec les principales organisations, que nous avons nommées « interlocuteurs politiques », afin d’analyser la conjoncture, les défis spécifiques, et définir la contribution d’E-CHANGER / COMUNDO à partir des axes du programme institutionnel.
Le programme est fondé sur le concept et l’expérience d’échanges à tous les niveaux. Entre coopér-acteurs/trices suisses et leurs organisations partenaires, entre coopér-acteurs/trices suisses et brésiliens et entre les différentes organisations partenaires. Le moment privilégié pour ces échanges a toujours été celui des rencontres annuelles organisées chaque année dans un Etat différent, en partenariat avec des mouvements et organisations locales.
L’échange d’apprentissages sur les plans technique et politique entre organisations partenaires est rendu possible par ces rencontres annuelles et, ponctuellement, par des échanges Sud-Sud. Un élargissement des connaissances se construit à partir des rencontres et visites locales, il est valorisé par l’échange entre les différents participants.
Nous avons accompagné de près le travail de communication sociale des organisations partenaires et des différents/es coopér-acteurs/trices journalistes ou chargé-e-s de communication durant ces dernières années. Un exemple pour illustrer cela : ce coopér-acteur suisse, journaliste auprès du MST, dans l’état du Sergipe, ayant travaillé activement à renforcer le secteur de la communication, ce qui a engendré de forts impacts dans ce même secteur au plan national. Autre exemple : une coopér-actrice nationale, journaliste à la Marche Mondiale des Femmes, qui s’est occupée de la communication externe du mouvement au niveau international, impliquant la collaboration avec d’autres mouvements sociaux internationaux.
L’appui du programme Brésil d’E-CHANGER/COMUNDO aux acteurs de la transformation de la société brésilienne est complété par le travail fondamental de sensibilisation politique en Suisse. C’est pourquoi le Brésil a reçu de nombreuses visites durant ces 15 dernières années. Au total, six délégations suisses ont été reçues au Brésil. La sensibilisation de la société suisse se fait également par le travail de divulgation d’informations, d’expériences et de réflexions, effectué par les coopér-acteurs-trices. C’est le cas de tous nos coopér-acteurs-trices actuels et passés qui s’impliquent énormément dans l’organisation d’actions de formation et de mobilisation, d’activités culturelles, d’entretiens avec la presse, etc. …

Celia Alldridge et Djalma Costa,
Coordination binationale d’E-CHANGER/COMUNDO Brésil

Traduction Isabelle Plomb

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