«Nous allons gagner au second tour avec une bonne marge», prévoit Lorena Peña, députée à l’Assemblée législative, fondatrice et militante du FMLN. Lorena Peña – connue durant la lutte de guérilla sous le nom de «commandante Rebeca» – est aujourd’hui présidente de la commission des finances et appartient à la présidence de l’Assemblée législative. Par ailleurs, elle dirige le secrétariat à la Culture du FMLN. Interview
Comment expliquez-vous qu’après les cinq années du gouvernement de Mauricio Funes, le FMLN sorte renforcé de ces élections?
Lorena Peña: Fondamentalement, c’est le résultat direct des programmes économiques et sociaux du FMLN et du président Funes qui ont amélioré la vie du peuple dans un cadre de développement économique local. Tout ce qui est offert dans ces programmes est le résultat du travail effectué par les producteurs salvadoriens (petits, moyens et même micro). Aujourd’hui, au Salvador, tous les enfants de l’école primaire ont des souliers, des uniformes, une alimentation et le matériel scolaire gratuits. Quarante mille emplois ont été créés pour assurer cette production sociale, à l’intention de l’enfance salvadorienne.
De plus, Salvador Sánchez Cerén – ancien ministre de l’Education et aujourd’hui candidat présidentiel – a impulsé une profonde réforme de l’éducation. On a créé l’école des enseignants (dans les locaux d’une caserne désaffectée) et 20% de tous les établissements scolaires sont devenus des écoles à plein temps. Sans oublier que, durant ces années, il y a eu aussi une réforme de la santé, améliorant le système hospitalier mais aussi la santé communautaire. Un programme intégral de soins bénéficie déjà à 500 000 femmes.
Autre élément clé: le programme de production agricole, d’aliments de base. Alors qu’auparavant nous devions importer 80% des haricots, du maïs et du riz – produits essentiels de l’alimentation salvadorienne –, nous sommes aujourd’hui autosuffisants, tout au moins pour ces deux premiers produits. Les secteurs populaires ont senti des améliorations substantielles durant ces dernières années.
Le FMLN a-t-il négocié avec d’autres partis des aspects essentiels de son programme pour s’assurer la victoire le 9 mars?
Pas du tout. Notre programme «En avant, El Salvador» a été élaboré grâce à une large consultation populaire. Nous avons créé environ trente ateliers de travail sectoriels auxquels ont participé 3000 spécialistes. Nous avons organisé une consultation territoriale à travers des réunions auxquelles ont participé près de 200 000 personnes. Nous avions fait une enquête sur les réalisations correctement effectuées, les insuffisances et les attentes du futur. Nous avons reçu plus de 600 000 réponses, avec des suggestions qui ont été étudiées selon un protocole et ont donné comme résultat les axes de ce programme.
Le futur président, Salvador Sánchez Cerén, a expliqué clairement que le FMLN ne veut pas perdre son identité, mais qu’il ne demande pas aux autres partis de perdre la leur. Les alliances (au parlement, où le FMLN n’a qu’une majorité relative, ndlr) se feront dans le respect de ces différences, en essayant de trouver des accords pour gouverner.
Quels seront les principaux défis de la nouvelle législature?
L’un des plus grands défis, c’est de fortifier le système de protection sociale. Nous avons un cadre de droits des personnes à la santé, à l’éducation et au salaire de base. Garantir ce système nécessite d’affecter des ressources à son élargissement, afin de continuer à le développer. Cela implique de chercher une croissance plus forte et de réussir à redistribuer les revenus. Un autre défi, c’est la sécurité citoyenne, qui affecte tous les aspects de la vie.
Enfin, nous devons obtenir que les grands acteurs économiques acceptent de contribuer à un modèle économique centré sur les gens et non sur les profits. Ce fut la principale opposition de la droite avec le gouvernement actuel. Néanmoins, il faut dire que des entrepreneurs sont disposés à limiter leurs profits et à contribuer à ce modèle, et aujourd’hui ils appuient le programme du FMLN.
Sergio Ferrari, Le Courrier
En collaboration avec Anne Catherine Bickel
Traduction: Hans-Peter Renk
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«Victoire citoyenne»
Sergio Ferrari
Gérald Fioretta, militant de l’Association Nicaragua-El Salvador de Genève, a fait partie d’une délégation suisse d’observation électorale qui était présent au premier tour des élections présidentielles du 2 février passé au Salvador. Interview.
Q : Pouvez-vous nous donner un rapide panorama, en tant qu’observateur électoral, du premier tour des élections présidentielles au Salvador le 2 février passé? Y-a-t-il eu des accusations de fraude ? Les mécanismes électoraux actuels permettent-ils d’éviter toute tentative de fraude?
Il nous faut faire tout d’abord un rappel historique du processus électoral au Salvador. Depuis les accords de paix de 1992, l’observation électorale solidaire (accompagner les élections) a répondu à un appel du FMLN pour chaque élection. Il s’agissait de contrer ou du moins dénoncer les fraudes massives de la part de l’oligarchie et de son parti Arena qui contrôlait l’appareil électoral, en particulier le patron électoral non dépuré de centaines de milliers de personnes décédées ou migrantes. Arena avait ainsi le pouvoir de faire voter les morts, en transportant et payant des faux électeurs guatémaltèques ou honduriens ou de falsifier les actes de scrutin de milliers d’urnes par l’autorité arrogante et intimidante des propriétaires terriens ou cadres du parti à la tête des bureaux de vote. Pas une seule élection, tout au long des deux décades passées, sans assassinats, violences et intimidations. La solidarité suisse a ainsi participé à l’observation électorale solidaire depuis 1994, comme des centaines de militants venant d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Amérique Latine. Les dénonciations de l’observation électorale ont mis en lumière ces fraudes massives et donné petit à petit confiance aux électeurs du FMLN pour vaincre leur peur.
La victoire à la présidentielle de 2009 de Mauricio Funes, candidat proche du FMLN, a changé radicalement la donne. Le pays a réussi à réviser la loi électorale et faire fonctionner de manière démocratique et transparente le TSE (Tribunal Suprême Electoral). Ce 2 février 2014 les enjeux de l’observation électorale étaient d’une autre nature. Il s’agissait à la fois de valider le nouveau vote résidentielle – on est passé de 500 centres de votation à plus de 1’500 – pour être plus proche des électeurs, et de garantir que seuls les électeurs munis d’un document valide d’identité unique (DUI) pouvaient exercer leur vote dans une des 10’000 urnes électorales – on ne pouvait plus voter avec un DUI échu, source de toutes les fraudes massives antérieures .
L’ensemble des 4 à 5’000 observateurs électoraux, nationaux ou internationaux, délégués par l’UE, La OEA et autres institutions ou ONG internationales, ou invités par l’un des 5 partis en compétition, a reconnu la tranquillité des journées électorales, la transparence du processus électoral et des résultats du premier tour, le dimanche 2 février dernier. Il s’agit indéniablement d’une victoire citoyenne du gouvernement de Mauricio Funes et des quelques 60’000 militants de l’appareil électoral du FMLN sur tout le territoire chargés de défendre le vote du peuple et la transparence du processus. Comme délégation suisse solidaire, nous avons été impressionné par l’engagement et le sérieux des militants, comme des fonctionnaires du TSE, qui surveillent leur urne pendant près de 20 heures d’affilées (du dimanche à 3 h du matin au dimanche vers 22 h !). Il faut à la vérité souligner que les milliers de personnes composants l’appareil électoral d’Arena ou des autres partis de droite ont aussi contribué à la bonne marche de ces élections et que le parti Arena a reconnu sa lourde défaite lors de ce premier tour sans pouvoir crier à la fraude.
La qualité et la transparence de la transmission électronique des résultats a été par ailleurs mise en évidence notamment par le rapport des observateurs de l’OEA. Quelques heures après la proclamation des résultats définitifs, nous pouvions consulter sur la page Web du TSE les résultats détaillés au niveau de chacune des 10’000 urnes y compris l’acte du scrutin original.
Q: En Suisse on a l’habitude de dire qu’une bonne participation électorale se situe autour de 50-55%. Quelle est ta perception de la participation citoyenne au Salvador?
Si nous avons le numéro de suffrages exprimés (environ 2’750’000), il y a divergences sur le nombre de personnes éligibles à voter, dans la mesure où il y a par exemple 540’00 DUI dont la date de validité est échue. La participation passe donc de 52 % à 62 % suivant le dénominateur choisi. Il s’agit d’une participation tout à fait acceptable même si elle apparait un peu plus faible que lors des scrutins antérieurs. Une clé de lecture de l’abstention est peut-être le vote des salvadoriens à l’extérieur. Quelle est la proportion des 3 millions de migrants salvadoriens, la plupart aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi en Amérique centrale, en Espagne, en Italie, en Suède qui sont encore inscrits dans le registre électoral ? le TSE a communiqué que 132’000 citoyens résidants légalement à l’extérieur ne se sont pas inscrit au registre électoral du vote à l’extérieur et seuls quelques milliers de salvadoriens résidants à l’extérieur ont pu voter le 2 février. Une autre raison de l’abstention est à chercher paradoxalement dans la nouveauté du vote résidentielle. Lors des élections antérieures, les centres de votations pouvaient être fort éloignés du domicile des électeurs, mais tous les transports étaient nombreux et gratuits le jour des élections. Cette année de nombreux témoignages ont démontré que des électeurs attendaient le long des routes ou chemins ruraux un transport gratuit qui ne viendra pas.
Q: Y-aura-t-il une délégation suisse pour l’observation électorale du deuxième tour le 9 mars ?
Oui il y aura à nouveau une délégation suisse solidaire qui accompagnera le processus électoral du deuxième tour et ceci déjà depuis les tout premiers jours de mars. Ils auront la chance de participer à la liesse populaire dans les jours qui suivront la victoire annoncée du FMLN le dimanche 9 mars.
Le fait d’avoir raté la victoire définitive (le FMLN a réuni 49 % des votes) lors du premier tour oblige à nouveau les militants du FMLN et le personnel du TSE à faire cet effort gigantesque de défense du vote et de garantie de la transparence. L’accompagnement électoral international et national sera à nouveau au rendez-vous.
Q: Du point de vue de l’Association Nicaragua-El Salvador de Genève, quels sont les principaux défis à relever pour réactiver la solidarité suisse avec le Salvador ou l’Amérique centrale en général ?
Tout d’abord un défi générationnel. Le vaste mouvement de solidarité avec la lutte armée en Amérique Centrale à la fin des années 70 et dans les années 80 a concerné une génération qui aujourd’hui, pour les plus jeunes, est proche de l’âge de la retraite. L’expérience a été si marquante qu’il subsiste des comités de solidarité malgré la défaite électorale des sandinistes en 1990 et les victoires de la droite pendant 25 ans au Salvador après les accords de paix , mais le renouvellement générationnel n’a pas pu se faire.
Le deuxième défi est celui de vaincre l’hostilité médiatique contre le renouveau progressiste en Amérique latine et en Amérique centrale. Depuis les années 2000, l’espoir de la révolution bolivarienne au Venezuela et du renouveau progressiste en Amérique latine, ont donné naissance à l’Alba et à une nouvelle intégration solidaire en Amérique latine et en Amérique centrale. La droite internationale, à travers les grands medias internationaux, relaie sans cesse la droite vénézuélienne pour affaiblir et délégitimer les processus progressistes. Vaincre le cercle médiatique hostile n’est pas une mince affaire, surtout quand une partie de la gauche en Europe traîne les pieds et se complaît dans les critiques faciles des processus « populistes » et « productivistes » selon elle en cours dans le continent latino-américain : c’est notre troisième défi. Comment relancer la solidarité internationaliste dans la gauche européenne en ouvrant les débats sur le développement nécessaire à la sortie de la pauvreté et les enjeux écologiques, entre la souveraineté des Etats et des processus populaires et l’arrogance de certaines ONG et du capitalisme vert qui s’autoproclament protecteur des réserves naturelles dans le Sud.