Elections législatives en Argentine…Le Covid vote à droite

Ce deuxième dimanche de novembre, les Argentin·es renouvelleront aux urnes la moitié de la Chambre des députés et un tiers du Sénat. Ces élections législatives seront cruciales pour l’avenir de ce pays d’Amérique du Sud frappé par l’impact d’une pandémie, par une crise économique profonde et des niveaux de pauvreté croissants.

Si les résultats des élections primaires du 12 septembre sont confirmés, le gouvernement risque de perdre sa majorité au Sénat, ce qui compliquerait encore plus sa gestion dans les deux années qui restent jusqu’aux élections présidentielles d’octobre 2023.

Lors de ces primaires – qui servent à définir les candidat·es et constituent un thermomètre politique – quelque 23 millions de personnes ont participé, soit à peine 66 % de l’électorat, niveau le plus bas de l’histoire du pays. Cette abstention marquée a sanctionné le Frente de Todos du président Alberto Fernández qui, avec seulement 31 % des voix, a été battu par Juntos por el Cambio de l’ancien président Mauricio Macri, qui a obtenu 40 % des voix. La gauche a obtenu 6 %, le reste étant réparti entre plusieurs forces mineures.

Séisme électoral

Le résultat de septembre a surpris tant le gouvernement que l’opposition. « Pour le gouvernement, il s’agit d’une défaite inattendue et pour la droite d’un triomphe inimaginable », déclare Victorio Paulón, dirigeant historique du syndicat des métallurgistes, responsable des droits humains à la Centrale des Travailleurs Argentins (CTA) et expert en analyse politique pour le quotidien Página 12.

La faible participation a sanctionné le péronisme au gouvernement, qui a enregistré près de quatre millions de voix de moins que lors des primaires de 2019. Pour Victorio Paulón, ces pourcentages reflètent la colère générale suscitée par le long enfermement dû à la COVID-19 et la situation économique lamentable du pays. Ils traduisent également la démobilisation sociale résultant des mesures sanitaires imposées par les autorités pour contrôler la pandémie. « La droite a déployé toutes ses ressources pour mobiliser les électeurs et électrices, le parti au pouvoir ne l’a pas fait », note le leader syndical.

Paulón rappelle que l’Argentine est entrée en quarantaine quelques mois seulement après l’entrée en fonction du gouvernement d’Alberto Fernández, le 10 décembre 2019. Celui-ci se trouvait « au milieu d’une crise prolongée, héritée de l’ajustement néolibéral imposé par le précédent président Macri, avec des conséquences désastreuses en termes d’emplois, de niveaux de salaires, de crise des petites et moyennes entreprises, ainsi qu’un endettement nouveau et explosif auprès du Fonds monétaire international ». La pandémie a aggravé cette situation et affaibli le nouveau gouvernement qui, malgré de sérieux efforts pour assurer la santé publique et éviter les décès massifs, a été confronté à un « discours négationniste anti-vaccin dévastateur, exprimé par l’opposition à travers des médias privés hégémoniques ».

Le style présidentiel conciliant de Fernández, qui a appelé à plusieurs reprises au dialogue, n’a eu aucun effet et a provoqué une riposte extrême de l’opposition, qui a utilisé un langage presque fasciste, évalue le dirigeant syndical. L’image positive du Frente de Todos, qui atteignait 70 % fin 2019, a chuté au fil des mois. Ainsi, les énormes attentes sociales et les promesses d’un changement de cap par rapport au macrismo (2015-2019) ont été neutralisées, en raison des restrictions causées par l’enfermement et l’augmentation de la pauvreté, qui touche actuellement plus de 40% de la population. « Cette situation s’est reflétée lors des primaires de septembre, avec un taux d’abstention très élevé », souligne-t-il.

Bases historiques perdues

Ce fort abstentionnisme s’est produit dans des quartiers et circonscriptions historiquement proches du péronisme, qui avaient voté massivement en faveur du gouvernement actuel en 2019. « Ce résultat exprime la grande désillusion de nombreuses personnes qui ont manifesté une réaction post-traumatique après la pandémie. Il s’agit de domaines économiquement vulnérables, comme le secteur des retraité·es à revenu unique ou celui du travail informel, qui ne voyaient pas d’horizon », explique Daniel Gollan, ancien ministre de la santé de la province de Buenos Aires – une circonscription électorale décisive au niveau national – et actuel candidat à la députation nationale pour le Frente de Todos.

Le gouvernement actuel sera-t-il en mesure d’infléchir la tendance défavorable des résultats de septembre ? « Nous ne sommes pas dans un scénario facile », craint l’ancien ministre, qui rappelle que, tant en Argentine que dans le monde entier, « la droite se déchaîne, profitant de la pandémie. Elle ne veut pas perdre ses privilèges et, pour ce faire, elle n’hésite pas à accroître les inégalités et la pauvreté ».

Il souligne: « Notre perspective est à moyen terme. Nous devons agir pour améliorer efficacement la situation de la population, revenir au programme de gouvernement avec lequel nous sommes arrivés en 2019, parier sur la reprise économique – avec des perspectives de croissance possible de 8 % pour l’année en cours – et assurer une redistribution équitable des revenus afin que les secteurs vulnérables récupèrent leur niveau de vie antérieur ».

Il est essentiel, ajoute-t-il, « de reconstruire une véritable alliance avec les citoyennes et citoyens, en particulier celles et ceux qui se sont abstenus lors des élections primaires. Il faut leur offrir des mesures et des propositions concrètes, comme la récente décision de geler et de contrôler les prix des produits de première nécessité ».

« En outre, nous devons opérer un changement profond dans la méthodologie de notre présence. Nous reprenons la communication directe avec les gens, dans les quartiers, les syndicats, les centres de retraité·es, avec les jeunes. Nous visiton à chaque voisin·e, non seulement pour des raisons électorales, mais pour retrouver la relation historique de proximité qui nous caractérise en tant que mouvement de masse. Nous devons écouter, élaborer et proposer des politiques concrètes. De plus, dans le domaine spécifiquement électoral, nous devons intensifier le ton propositionnel de la campagne. Avec la perspective que, même si le résultat des primaires n’est pas inversé, nous puissions réduire l’écart de voix et ainsi créer de meilleures conditions à moyen terme pour l’élection présidentielle de 2023 », conclut Daniel Gollan.

Sergio Ferrari, Le Courrier
Traduction Rosemarie Fournier

https://lecourrier.ch/2021/11/11/le-covid-vote-a-droite/
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Trois questions au pasteur Aníbal Sicardi

« LE GOUVERNEMENT S’EST ÉLOIGNÉ DU PEUPLE ».

Le pasteur Aníbal Sicardi est le recteur de l’Eglise évangélique méthodiste de la ville de Bahía Blanca, dans le sud de la province de Buenos Aires. Il est membre du secteur chrétien progressiste et, en tant que journaliste, il dirige l’agence de presse Ecupres.

Quelles ont été les principales causes de la défaite électorale du gouvernement lors des primaires de septembre ?

Aníbal Sicardi : L’équipe gouvernementale a abusé de son excellent leadership pendant la pandémie et l’a transféré dans la sphère politico-sociale, sans privilégier le contact avec l’opinion publique. Bien que la population ait accompagné la gestion de la pandémie en obéissant aux directives, elle n’a pas reçu d’explications adéquates pour accepter la situation économique et sociale précaire dans laquelle elle vivait. Les dirigeant·es ne leur ont pas tendu la main. La population s’est sentie abandonnée, l’approche inclusive s’est effondrée. La pandémie a eu un impact négatif, comme partout ailleurs dans le monde, car elle a exigé et détourné des forces énormes qui auraient dû aller à la reconstruction productive et sociale du pays après les quatre années de néolibéralisme pur de Macri.

A part cette distanciation que vous critiquez, y a-t-il eu de graves erreurs de gestion de la part du gouvernement qui auraient conduit à un vote de sanction de cette ampleur en septembre ?

AS : Non. Pas du tout. C’est incroyable ce que le gouvernement aurait dû faire, étant donné qu’il était confronté à un système de santé publique détruit par l’administration précédente. Il a fourni, aussi, d’énormes efforts, tels que les prestations accordées aux retraité·es et aux secteurs négligés ou les versements destinés à soutenir les chômeuses et chômeurs. Tout cela en supportant des critiques féroces et malsaines de la part de l’opposition. Et, bien sûr, il a fallu voir comment négocier l’énorme dette extérieure contractée par Mauricio Macri, qui continue d’être un fardeau brutal pour le pays, sans qu’une résolution définitive ne soit trouvée pour le moment.

Un renversement de la tendance des élections de septembre dernier est-il possible ?

AS : Je pense que ce qui s’est passé peut être partiellement modifié. Surtout si davantage d’électrices et d’électeurs se rendent aux urnes. De toute manière, nous ne disposons pas d’outils fiables pour savoir quel est l’état d’esprit actuel de la population. L’opposition a implanté une position de haine féroce, tandis que le gouvernement continue avec la proposition d’un pays différent, avec de nouvelles positions comme la valeur de la justice et de l’aide sociale, dont nous attendons de mesurer les effets. Nous parlons de deux projets très différents qui sont en litige. Il reste à voir si l’électorat réalise ce qui est réellement en jeu le 14 novembre. Sfi

 

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