Ferrari : « Rendre les médias à l’horizontale, c’est ramener le monde à l’horizontale »

Lors de votre dernier article dans la rubrique « E-changer », vous avez présenté le 3e forum social européen de Londres. A priori, quels seraient les premiers commentaires que vous aimeriez donner ?

Guerres et occupations militaires :

Les thèmes traités le seront lors de débat et je ne pense pas qu’il y ait déjà de recettes toutes faites. Le débat autour de la guerre se situe au niveau de la conception de la présence militaire dans le monde. Le débat se tournera sur le droit d’ingérence comme logique d’intervention naturelle qui répond d’une part aux besoins des grandes entreprises d’armement qui se situent principalement aux USA et en Europe, d’autre part au militaire en tant qu’outil d’une politique de domination des ressources naturelles et internationales. Aujourd’hui le pétrole est au cœur des enjeux militaires, notamment en Irak. Je pense que dans quelques années nous vivrons des guerres d’expansion visant à s’accaparer la principale ressource naturelle de notre planète : l’eau. Dans un sens, c’est le système hégémonique de notre planète qui sera remis en cause.

Le débat risque d’être passionnant car différents courants d’idées se rencontreront. Tu peux voir ce problème dans une perspective pacifique, alors que d’autres conceptions prétendent qu’on doit confronter la notion de guerre à une non-violence active. Ce n’est pas du pacifisme dans la mesure où tu es amené à te mobiliser avec des méthodes collectives de non-violence, tout en proposant une résistance. Enfin le courant le plus radical, les autonomistes et les anarchistes, alimentent une autre vision. Ils affirment qu’il faut se confronter à travers des formes de résistances plus concrètes. Lors des débats de préparation du forum, certains secteurs désiraient uniquement une mobilisation anti-guerre. D’autres ne veulent pas se cantonner à une mobilisation, mais souhaitent entreprendre la recherche d’alternatives concrètes au système hégémonique.

Les efforts pour une Europe démocratique et sociale :

Il serait question de la perte des acquis sociaux. Le débat se tournera autour d’une éventuelle transformation de la constitution européenne. Même les partis politiques de gauche, notamment les socialistes français, sont divisés à ce sujet. Beaucoup de syndicats considèrent avoir fait passer des acquis sociaux dans la proposition de la nouvelle constitution. Un autre avis provenant d’autres milieux sociaux prétend que non. Cette constitution s’est établie sur la base du pouvoir. Les sans-emploi, sans-papiers, sans-logis resteront toujours des laissés pour compte. Ce sont quelques 60 millions de personnes en Europe- continent soi-disant riche.

La justice sociale :

C’est évidemment très lié au thème d’une Europe sociale. Comment gérer la perte d’acquis sociaux ? On doit donc construire un concept de démocratie et de justice sociale qui intègre tout le monde. Comment faire pour que le citoyen lésé lors de privatisation par exemple soit entendu ? On parle bien de réduire un fossé grandissant entre les nantis et les autres. C’est la partie qui génère des propositions alternatives aux constats faits à propos de nos démocraties.

La globalisation économique :

Incorporer dans la réflexion les rôles croissant des grandes institutions financières internationales telles que le FMI, la Banque Mondiale, etc. est fondamental. Il sera question de la responsabilité d’un diagramme planétaire qui détermine une distance croissante entre le peu de personnes qui ont beaucoup et les autres qui ont presque rien.

Le racisme :

Cette thématique est très forte dans toute l’Europe et pas seulement en Suisse après les dernières votations. En France, par exemple, j’ai été frappé par tous les discours anti-musulman. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi Christophe Blocher a incorporé ce discours dans le débat national suisse. Le racisme et la xénophobie surgissent dans de nombreuses manifestations de pouvoir. A ce niveau, c’est un débat de société. On commence à entrevoir le mur de l’incompréhension et de l’exclusion dressé par les pays du Nord vis-à-vis du Sud. Derrière cette thématique, on ressent la nécessité d’une réflexion à propos d’une planète pour tous.

En Suisse, l’UDC a utilisé des propos racistes lors de ses campagnes. En fait, il existe derrière toute une logique utilitariste de classe. D’un côté, ils tiennent un discours global agressif vis-à-vis des immigrés, de l’autre ils utilisent le secteur des étrangers comme moyen de faire rouler l’économie suisse. Quelque part, il y a dans cette démarche beaucoup d’opportunisme.

L’environnement et l’écologie :

C’est absolument essentiel d’aborder ce sujet. Cela touche tout, pas seulement la grande discussion philosophique. Concrètement il sera aussi questions des patates que nous mangeons chaque jour. Comment se positionne-t-on sur la question du bio ? Que faut-il soutenir ? On parle aussi d’économie solidaire où des petits paysans puissent développer un produit original. (N.d.l.r. : par exemple Jardins de Cocagne à Genève). Il ne sera pas seulement question du macro, mais aussi de la vie quotidienne.

Le concept de communication à l’horizontale présente-t-il un réel intérêt ? Si oui, lequel ?

L’intérêt est croissant. Humanitaire.ws représente une expérience valable dans le domaine. A un autre niveau, prenons l’expérience de forum social de Porto Alegre. De ces discussions ressort une expérience qui se nomme « Ciranda » (http://www.ciranda.net/). Ciranda signifie en Portugais carrousel. C’est une petite structure virtuelle qui siège à Sao Paolo qui va se déplacer à Porto Alegre et à Mumbai. La mise en service de la production de journalistes et de photographes pour nourrir gratuitement tout un espace croissant d’une grande population qui ne peut pas se payer des correspondants. Il y a donc une inscription volontaire de journalistes qui vont couvrir les forums et qui mettent à dispositions les matériaux sur le web. Cela nourrit des journaux alternatifs, notamment dans des pays arabes, en Amérique Latine, en Europe.

L’horizontalité de l’information devient un sujet-clé. On ne peut pas développer une solution alternative planétaire sans l’existence de supports participatifs et horizontaux au niveau de l’information. Internet est un outil fabuleux malgré ses contradictions. La socialisation de l’information est passée par ce type de média. L’initiative est devenue tellement large et riche qu’on passe des journaux alternatifs qui sont à la base des initiatives citoyennes à des partenariats étonnants. Pour preuve, Attac s’est mis en relation avec le monde diplomatique. On passe des concepts de participation des journalistes en tant que professionnels à celui d’acteurs sociaux. On est en train de casser certains paradigmes, notamment celui de l’objectivité de la presse qui, à mes yeux, est un mythe néo-libéral. Cette révolution est incroyable et inachevée. Le panorama est gigantesque.

En Amérique Latine, on parle volontiers d’éducation populaire. Est-ce comparable ?

Dans la conception, oui. Les réseaux participatifs d’information correspondent aux concepts de l’éducation populaire à la base, même inconsciemment. Théoriquement l’analphabète reprend des éléments qui lui appartiennent grâce à son expérience de vie. Dans l’éducation populaire, il peut faire apparaître ses compétences. C’est la reconnaissance de ses savoirs car non-reconnu dans les concepts traditionnels de nos sociétés.

Les médias alternatifs utilisent le même schème de pensée. Ils font ressortir la potentialité de personnes pour la mettre à disposition d’autres personnes- souvent avec des surprises fantastiques. Au Nicaragua, en 1981, l’analphabétisme est passé de 53% à 12% grâce aux méthodes de l’éducation populaire en 5 mois. Les médias alternatifs sont en train de réduire la distance planétaire entre les Hommes. Quelque part, nous sommes convaincus que rendre les médias à l’horizontale, c’est aussi ramener le monde à un niveau horizontal.

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Propos recueillis par Olivier Grobet

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