« Garantir le rôle sociétal et démocratique des journalistes » A la veille du 30ème Congrès de Tunis

Journaliste et syndicaliste belge, Philippe Leruth a accepté en 2016 de diriger la FIJ pour un seul mandat. Il s’est personnellement engagé à « ouvrir les portes de la direction de la FIJ aux jeunes et aux femmes ». Les trois années qui se sont écoulées entre son élection à Angers (France) et le Congrès qui se tiendra du 11 au 14 juin à Tunis – organisé avec le soutien le SNJT, le syndicat national du secteur – font écho aux défis, aux réalisations et aux tâches qui attendent encore l’organisation la plus importante au monde des journalistes. Satisfait du devoir accompli, Philippe Leruth quitte la présidence mais ne renonce pas à ses idéaux fondamentaux : améliorer la sécurité et la protection de ses pairs ainsi que les conditions sociales dans les 148 pays où la FIJ est présente. Au cours des 36 derniers mois, il a effectué de courts voyages de solidarité à travers le monde. Ainsi comme la promotion d’une nouvelle Convention sur la protection et l’indépendance des journalistes et d’une Charte éthique pour la profession. Tout cela, sans oublier son rôle toujours actif de journaliste/syndicaliste à la rédaction de l’Avenir, comprenant des conflits, des grèves et des négociations épineuses avec les éditeurs. Interview

Question : Ces trois années à la présidence de la FIJ correspondent à une période de grands défis internes, aussi bien pour la fédération que pour les journalistes du monde entier. Pourriez-vous nous parler d’une réalisation importante pour la FIJ elle-même ?

Philippe Leruth (PL) : Ma principale raison de satisfaction a été le processus de réconciliation en Afrique. Les syndicats-membres africains de la FIJ étaient très divisés il y a trois ans et, pour tenir mon engagement de travailler à une organisation forte et unie, je me suis donné pour tâche prioritaire de renouer les liens sur ce continent. Le processus a été long ; il a fallu beaucoup de patience et je n’ai pas été le seul à y travailler mais, au bout du compte, le congrès de la Fédération Africaine des Journalistes, à Khartoum, en décembre 2018, a marqué cette réconciliation générale.

En plus, et toujours sur un plan interne, je peux citer la stabilisation des bureaux régionaux de la FIJ qui devrait épargner à mes successeurs des soucis dont j’ai eu à me préoccuper.

Q : Quelques-unes des initiatives les plus importantes de la FIJ en faveur de l’ensemble des professionnel-les de la presse ?

FL : Un autre motif de satisfaction est la mise en chantier d’un projet de convention sur l’indépendance et la sécurité des journalistes et collaborateurs de presse et, surtout, la mobilisation que nous avons pu créer parmi les organisations de médias ou les fédérations syndicales internationales. Y compris l’attention que nous avons pu susciter à ce sujet auprès des Nations-Unies. Il faut souligner que, là aussi, le travail a été très collectif. Et rappeler qu’il reste du chemin à faire pour obtenir l’adoption du texte par l’assemblée générale des Nations Unies, mais l’impulsion est donnée.

Q : Et en ce qui concerne votre intervention en tant que président de la FIJ dans des situations conflictuelles ou complexes…

PL : Je retiens les manifestations de soutien plus ciblées que j’ai pu apporter à nos associations membres et aux journalistes en général, en Colombie, en Mauritanie, en Palestine, pour citer quelques exemples concrets.

Q : L’exercice de la profession est menacé par des turbulences en tout genre: la sécurité des hommes et des femmes de la presse dans leur travail; la concentration des médias (avec des ajustements de personnel et la détérioration des conditions de travail); les attaques contre les lanceurs d’alerte et le service public d’information, pour ne citer que quelques exemples. Quels sont, à votre avis, les défis majeurs auxquels la FIJ est confrontée ?

PL : Les défis de la FIJ pour l’avenir sont immenses mais pourraient se résumer en une phrase : garantir le rôle sociétal et démocratique des journalistes.

Cela suppose garantir leur sécurité et leur liberté partout dans le monde, mais une liberté globale. Quand les textes légaux garantissent cette liberté, c’est évidemment parfait, mais si les journalistes ne sont pas rémunéré-es pour leur travail, cette liberté est illusoire. Dans certains pays, notamment en Afrique subsaharienne, il faut se battre pour obtenir un salaire pour les journalistes. En Europe, il faut assurer, par exemple, un moyen de garantir les revenus des journalistes sur le Web, notamment par la rétribution des droits d’auteur. Eviter le démantèlement des rédactions et assurer le maintien des droits économiques et syndicaux essentiels.

Mais ce défi, la FIJ ne peut l’affronter seule et une de ses tâches essentielles est de former les journalistes à la défense de leurs droits, de les aider à se structurer et de rappeler à tous que l’action syndicale de base postule la mise en commun de moyens de se défendre. Par exemple, par le simple paiement d’une cotisation à son syndicat ou son association. Et aussi en se mobilisant pour défendre ses droits et obtenir ainsi le soutien de la FIJ plutôt que d’attendre une impulsion venue de notre siège à Bruxelles.

Pour la FIJ elle-même, cela exige de retrouver la stabilité financière pour poursuivre cette mission.

P : Dans le préambule du programme 2019-2022 qui sera débattu lors du 30ème Congrès qui se tiendra à Tunis ces prochains jours, il est question de « journalisme professionnel et éthique dans son rôle de pierre angulaire de la démocratie et la liberté ». Qu’est-ce que cela signifie en termes concrets, dans le contexte mondial actuel ?

PL :  Cette phrase renvoie au contexte global où l’information gratuite et non vérifiée circule sur le Web qui répand également sans le moindre contrôle fausses nouvelles et rumeurs.

Face à cela, l’avenir des journalistes ne peut passer que par la valeur ajoutée qu’ils et elles apportent à une information vérifiée et fiable, qui trouvera toujours un public prêt à payer pour cette information sûre dont il a besoin. Mais le public qui ne paie pas a droit à la même information en vertu même de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui place le droit à l’information au nombre des droits humains. C’est une responsabilité collective à laquelle les journalistes, les entreprises de presse et les pouvoirs publics doivent réfléchir car, comme la monnaie, la mauvaise information chasse la bonne. Des formules comme celles de consommateurs payants d’information offrant des accès à des usagers non payants est une des formules à explorer.

Sergio Ferrari, de Berne, Suisse

Edition finale, Rosemarie Fournier

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