Haïti: la reconstruction imparfaite

« L’aide internationale manque d’un plan global » et paie le prix « d’un Etat fragile », relève le médecin suisse Francesco Ceppi. Francesco Ceppi vient de rentrer de l’île antillaise où il a travaillé durant 5 mois jusqu’en février 2011 dans le cadre d’un programme de « Médecins du Monde/Suisse ». Coopérant dans plusieurs nations du Sud – tant d’Afrique que d’Amérique latine -, le Dr. Ceppi suit actuellement une nouvelle formation spécialisée en hémato-oncologie pédiatrique et exerce la fonction de chef de clinique dans ce secteur de l’Hôpital universitaire de Lausanne (CHUV).

Q: Plus d’un an s’est écoulé depuis ce tremblement de terre dévastateur… Quelle est votre appréciation de la coopération internationale ?
Francesco Ceppi (FC) : Le grand problème d’Haïti, c’est la faiblesse de l’Etat. L’aide d’urgence, l’une des plus importantes de l’histoire contemporaine, est devenue structurelle. Elle remplace fortement le pouvoir politique et mène à une perte de la responsabilité citoyenne collective. Circonstance aggravante, 90 % du système d’éducation et de santé est privé.
Le pays n’a pas de ressources publiques pour faire fonctionner l’Etat. Alors, Haïti vit de l’influence significative de la communauté internationale, des ONG et de la charité… Des aides qui souffrent d’un grand problème de base : elles n’ont aucun plan global, elles sont très peu supervisées par le fragile Etat haïtien.
 
Q : Pourriez-vous néanmoins identifier les aspects les plus positifs de cette coopération ?
 
FC : Dès le début, on a créé des systèmes de coordination entre les différentes ONG dans chaque région. Cela se passe dans le cadre de réunions des acteurs présents dans chaque zone et sur les différents champs d’intervention, par exemple : la santé, l’éducation, la logique, l’assainissement de l’eau, etc. Cette coordination a permis une meilleure distribution des ressources et une meilleure réponse aux besoins.
 
Q : Et quels sont les aspects les plus déficients de la coopération ?
 
FC : Ce que j’estime le plus négatif, c’est que la majorité des projets ont été réalisés parce qu’il y a de grands moyens à disposition et qu’il était nécessaire de les utiliser. Je pense que la métrologie devrait être différente, pour ne pas dire contraire : élaborer des projets d’après les besoins sur le terrain et ensuite chercher leur financement.
 
Q : Qu’en est-il de la coopération suisse ?
 
FC : J’ai eu la chance de participer à un projet très intéressant : la construction et le fonctionnement du Centre de traitement du choléra (CTC) de Grand-Goâve, 50 km au sud de la capitale, Port-au-Prince. Y collaborent des ONGS suisses comme Médecins du Monde (MdM), Terre des hommes/Lausanne, la Direction du développement et de la coopération (DDC), la Croix-Rouge suisse et quelques ONG internationales, dont OXFAM et Handicap International. Cette construction a pu être effectuée en 10 jours grâce à cette participation conjointe.
Il est aussi intéressant de constater la coopération harmonieuse dans le fonctionnement du CTC. Un phénomène assez unique et rare : il démontre que la collaboration est possible si l’objectif principal est le développement et non pas les intérêts particulier ou le prestige individuel de chaque institution.
Généralement, la coopération suisse rencontre les mêmes difficultés que les autres acteurs internationaux. Elle dispose d’un grand capital, mais elle est confrontée à la réalité complexe qu’il n’est pas si facile de reconstruire en Haïti. Par exemple, la majorité des écoles sont privées, elles n’entrent donc pas dans les critères de subvention. La reconstruction des hôpitaux est difficile, parce que le ministère de la santé retarde les processus d’autorisation ou ne donne aucune garantie sur le fonctionnement de la structure, une fois celle-ci terminée.
 
Q : Quelles réflexions vous suggère votre expérience haïtienne ?
 
FC : Je suis triste de constater que l’opinion publique se borne à définir Haïti comme l’un des pires pays de la planète ; mais personne ne cherche à comprendre les raisons pour lesquelles Haïti se trouve dans une telle situation. Je voudrais citer une excellente réflexion de Ricardo Seitenfus, représentant de l’Organisation des Etats américains dans ce pays durant les années 2009-2010. Elle reflète mon point de vue sur la situation : « Il faut aller vers la culture haïtienne. Je crois qu’il y a trop de médecins au chevet du malade, et la majorité de ces médecins sont des économistes. En Haïti, on a besoin d’anthropologues, de sociologues, d’historiens, de politologues et aussi de théologiens. Haïti est trop complexe pour des gens pressés, et les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps, ni n’a l’envie de comprendre ce que l’on pourrait appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien compris, ils nous considèrent, ils considèrent la communauté internationale, simplement comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et ils le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement en fonction de l’argent que nous amenons dans leur pays, c’est parce que nous nous sommes présentés de cette manière ».
 
Propos recueillis par Sergio Ferrari
Traduction H.P.Renk
Service de presse  E-CHANGER
 
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Une coopération différente
 
« S’il fallait souligner un fait significatif, ce qui m’a peut-être le plus impressionné durant ce séjour en Haïti, ce sont la présence et le travail de la Brigade cubaine », souligne le docteur Francesco Ceppi.
« Il ne s’agit ni d’une ONG, ni d’institutions internationales, mais d’une coopération entre Etats ». Francesco Ceppi rappelle que cette aide a une histoire très ancienne qui date d’avant le séisme, mais qui s’est accentuée et consolidée après celui-ci.
Selon Ceppi, « les hôpitaux appuyés par Cuba intègrent un personnel mixe et son très fonctionnels : ils assurent un suivi médical d’excellente qualité par rapport à la réalité moyenne du pays ».
De plus, « le personnel de la Brigade cubaine effectue un séjour de deux ans, ce qui lui permet d’apprendre la langue locale (le créole) ; il reçoit une rémunération ridicule, en comparaison avec les salaires, parfois exagérés, de nombreux coopérants. Ils ne disposent pas non plus de grandes commodités (transports par des chauffeurs, habitations avec personnel domestique, etc.).
Malgré l’impact de cette coopération inter-caribéenne, les médias européens l’ignorent. Pour Ceppi, la raison est claire : «Cuba ne dispose pas de la même force médiatique que les grandes machineries humanitaires européennes et étatsuniennes».
«Pour moi», insiste-t-il, «les Cubains sont les véritables humanitaires : humbles et grands travailleurs, qui ont pour seul objectif de renforcer le faible Etat haïtien, en se mettant à son service».
Un plus significatif pour Ceppi: «Cuba a formé plus de 500 médecins haïtiens à La Havane. Mais il est triste de constater que la moitié d’entre eux au lieu de travailler à Haïti, après avoir terminé cette formation professionnelle hautement qualifiée, émigrent aux Etats-Unis, au Canada ou en France». (SFi)
 

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