Honduras: « On ne peut pas voter sous la menace des fusils »

 
Sergio Ferrari (SF) : Quel est l’objectif principal de votre visite en Europe ?
Betty Matamoros (BM) : Le Front national de résistance au coup d’Etat (FNRG) est très préoccupé par la pression interne qu’exerce l’armée sur nous, par une énorme répression. Personne ne garantit notre sécurité : nous n’avons pas de Cour suprême, ni de Ministère public qui arrête la répression. Durant tout ce temps, nous n’avons pas pu rompre l’encerclement médiatique. Raison pour laquelle nous sommes sortis du pays. La résistance continue à l’intérieur, mais elle a besoin d’un soutien international. Sans cet appui, sans yeux ni oreilles hors du Honduras, nous ne pourrons pas contrecarrer ce putsch si néfaste pour le peuple.
 
SF : Que se passe-t-il aujourd’hui au Honduras ?
BM : Un phénomène notable : plus le peuple est réprimé, plus la résistance se renforce.
 
SF : Malgré cette résistance tenace, il y a un « pat » avec les putschistes…
BM : Le putsch s’affaiblit face à la résistance pacifique. Nos adversaires souhaiteraient des réponses violentes de notre part pour ensuite justifier la leur, mais ce n’est pas le cas. Personne ne reconnaît la légitimité du gouvernement de Roberto Micheletti. D’autre part, les militaires ont considérablement baissé le ton, ils savent qu’ils n’ont pas pu venir à bout de la résistance pacifique Le peuple est en train de donner une grande leçon : il veut des changements conformes à ses initiatives et à sa sensibilité. En face, ils s’attendaient à un scénario de « telenova » : 15 jours d’opposition et ensuite les rues redeviendraient tranquilles. Mais le peuple continue à se mobiliser et leur dit : « Attention ! nous pensons, nous sommes informés, nous voulons des changements ». Il n’y a maintenant aucune chance de consolidation du putsch.
 
SF : Le FNRG estime donc que la méthodologie de résistance pacifique est positive…
BM : Sans aucun doute. Le peuple résiste et souffre, il y a eu des morts. Les putschistes apparaissent aux yeux du monde entier comme des tyrans.
 
SF : Comment en finir avec l’impasse actuelle ?
BM : Par la mobilisation continue. La résistance démontre une grande créativité, elle est toujours dans la rue, de manière disciplinée ; elle continue de s’exprimer de manière non-violente.
 
SF : Le retour clandestin du président Manuel Zelaya au Honduras, le 21 septembre, et son installation à l’ambassade du Brésil, à Tegucigalpa favorisent-ils ou compliquent la solution du conflit ?
BM : Mel Zelaya est revenu lorsqu’il a constaté que le Honduras n’était plus un thème de débat international. Toute perspective de dialogue et de négociation – même le plan de San José (Costa Rica) – s’éloignait. Comme président, il devait donc agir. Son retour fut un geste cohérent
 
SF : Quant au président Zelaya, justement… Pourriez-vous nous expliquer s’il incarne effectivement un projet populaire ou sa situation, comme victime d’un putsch, a été le détonateur de la réaction populaire.
BM : Ce n’est pas la figure de « Mel » comme tel, mais les succès populaires durant sa présidence qui nous donnent un argument plus que valide pour l’appui. Le peuple reconnaît certaines conquêtes : par exemple, la non-privatisation des services publics, le retour de certains services privatisés au secteur public. Cette exigence fut une bannière historique de notre lutte comme mouvement populaire. S’y ajoute le fait d’avoir refusé des concessions pour l’exploitation de ressources naturelles et minières.
Mel Zelaya a réussi à garantir une offre publique pour l’achat du combustible – ce qui en a réduit le prix, très élevé – et il a conclu un contrat positif avec PetroCaribe (1). Autre décision importante : l’augmentation du salaire minimum de 2800 à 5500 lempiras (2).
Zelaya a pris à son compte la proposition de l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique), une autre revendication du mouvement populaire. Il a obtenu sa ratification par le parlement. Ces succès ont montré au peuple la possibilité d’obtenir certaines conquêtes grâce à la présidence de Zelaya. Que celui-ci se soit tourné vers le peuple, le différencie des autres politiciens..
Autre point essentiel : Zelaya était d’accord d’organiser une consultation sur le thème d’une Assemblée nationale constituante – ce qui fut l’un des prétextes du putsch. Il faut rappeler que le mouvement populaire a mis en avant cette proposition depuis 2005, suite à la lutte contre le « traité de libre commerce ». Nous avons considéré qu’il était nécessaire de renforcer la Constitution, face au poids croissant pris par les traités commerciaux.
 
SF : L’Organisation des Etats américains (OEA) préconise depuis plusieurs semaines un plan de paix élaboré par le président du Costa Rica, Oscar Arias. Est-ce une proposition viable ?
BM : Bien que cette proposition maintienne l’idée d’un dialogue possible, nous n’en approuvons que le 1er point : le retour au pouvoir du président Zelaya et à l’ordre constitutionnel, brisé le 28 juin. Mais nous n’acceptons pas l’amnistie : le putsch fut un délit, qui doit être sanctionné. D’autre part, le plan Arias ne prend pas en compte la proposition d’une Assemblée constituante – une revendication populaire en faveur de changements à plus long terme.
 
SF : Le président de facto a convoqué des élections générales pour le 29 novembre 2009. Est-ce un apport à la normalisation institutionnelle ?
BM : Vu la répression, il est inimaginable de participer à des élections illégitimes. Nous ne pouvons voter sous la menace des fusils ! D’autre part, nous n’avons pas confiance dans les garants de cette convocation, les forces armées qui ont violé tous nos droits. Le peuple a déjà non à ces élections. Nous n’irons pas voter.
 
SF : Votre message à la communauté internationale ?
BM : Nous demandons aux gouvernements une plus grande fermeté envers le régime de facto et des sanctions plus claires. Il faut mettre fin à l’ambigüité entre la rhétorique et les faits. Bien que l’Amérique latine ait pris des positions claires et cohérentes, les Etats-Unis et l’Europe ont une position ambigüe par rapport au putsch. Nous avons donc trois demandes concrètes :une aide au rétablissement de l’ordre constitutionnel ;pas de financement d’un processus électoral illégal ; une plus grande cohérence, avec des mesures fortes pour faire reculer les putschistes.
Je voudrais remercier le mouvement social et la solidarité internationale – européenne, latino ou nord-américaine – de leur engagement. Sans cet appui si décidé, nous aurions peut-être disparu de la scène mondiale, nous n’aurions pas pu maintenir notre résistance.
 
SF : Comment les militant-e-s de la Résistance vivent-ils la répression quotidienne ? Affrontent-ils une situation limite en matière de sécurité?
BM : Le risque existe toujours. Nous savons que les putschistes peuvent agir à tout moment. Mais nous n’avons pas peur. Lorsque nous faisons cette tournée et que nous parlons au nom d’un peuple réprimé, nous assumons une obligation. S’il fallait donner notre vie pour ce peuple, nous le ferions volontiers. Ce serait un sentiment de fierté de tout donner pour un peuple qui ressent qu’il se trouve dans un moment de changement et qui a décidé d’en être protagoniste.
 
*Propos recueillis par Sergio Ferrari
Traduit de l’espagnol par Hans-Peter Renk
Collaboration de Presse E-CHANGER
 
1)     PetroCaribe : alliance entre les pays de la Caraïbe et le Venezuela, garantissant l’approvisionnement de ceux-ci en pétrole par PVSA (Compagnie pétrolière nationale, Venezuela).
2)     Lempira : monnaie nationale du Honduras.
 
  
 
Une femme en lutte
 
Betty Matamoros – âgée de 47 ans – est éducatrice populaire. Depuis 15 ans, son activité professionnelle consiste à promouvoir et à renforcer les organisations de femmes.
En 2006, elle a participé à l’école de formation politique de l’Institut hondurien spécialisé dans cette thématique. De mai 2006 à décembre 2008, elle a travaillé dans le cadre de l’Ecole méthodologique nationale en éducation populaire – liée à la Coordination nationale de résistance populaire (CNRP) qu’elle représente dans le réseau ALFORJA (siégeant à San Salvador). Actuellement, elle fait partie de l’Ecole sur le genre de la CNRP et elle est responsable du secteur international du FNRG.
 
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« La résistance, c’est le peuple, tout simplement »
 
« Le Front est né le 28 juin, vu la nécessité de contrecarrer le putsch. Il est consolidé par les organisations populaires : les enseignants, les paysans, les ouvriers, les indigènes, les noirs, les artistes…, tous ces secteurs qui sentent que leurs droits ont été violés. Il faut comprendre que le peuple a rejoint en masse le Front sans organisation préalable.
Un élément nouveau : au Honduras sur 1,5 millions de personnes ayant un emploi, seuls 7 % sont organisées. Que cela signifie-t-il ? La majorité des gens qui participent à la résistance, c’est le peuple tout simplement. Un peuple qui n’était pas organisé, mais qui s’organise en voyant que ses droits sont violés. Tous s’organisent maintenant : les quartiers en résistance, les avocats en résistance, les travailleurs de la santé en résistance… C’est un très grand enseignement pour les mouvements populaires : quand le peuple a besoin de se rassembler, les gens isolés commencent à s’agglutiner. Et ils exigent une participation directe : chaque dimanche, se tiennent des assemblées générales départementales pour discuter les actions, leur évaluation et les initiatives à mettre en route. C’est une décision collective, des pas qui se font à toute vitesse. Les gens eux-mêmes nous disent ce qu’il faut faire. Nous avons par exemple ce que l’on appelle le « chahut », une forme très sympathique de résistance : dans chaque quartier, les gens font du bruit, utilisent des sifflets, très tard dans la nuit pour protester contre le putsch. Comment la police va-t-elle contrôler tant de gens en même temps ? Impossible ! ».
S’agit-il d’une sorte de situation insurrectionnelle, demandons-nous à Betty Matamoros.
« Depuis le putsch, nous menons une tâche essentielle : dire aux gens que leur action n’est pas illégale. La Constitution de la République le permet. Dans son article 3, il est dit qu’on ne doit pas obéissance à un gouvernement usurpateur et surtout lorsque ce dernier a pris le pouvoir en utilisant les armes : les gens ont donc le droit de se soulever. Les gens le savent, ils connaissent cet article et ils assument cette protestation comme étant essentiellement la leur ». (Sergio Ferrari)
 
 
 

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