Iran: pas de victoire sans une presse libre

Une tribune de RSF publiée dans le quotidien français Le Monde
Les gouvernements des Etats démocratiques ne doivent pas reconnaître la victoire de Mahmoud Ahmadinejad en Iran. Une élection suppose des médias libres d’en observer le bon déroulement et d’enquêter sur les fraudes supposées. Or, à Téhéran et dans le reste du pays, la situation est tout autre. La presse étrangère ne peut plus travailler. Les correspondants ont reçu l’interdiction de sortir dans la rue pour exercer leur métier. Les médias iraniens, eux, ont pour consigne de publier les seules informations qui félicitent le président sortant pour sa « belle et large » victoire. Les journalistes récalcitrants sont menacés, battus ou emprisonnés. Une bonne dizaine d’entre eux n’ont donné aucune nouvelle depuis l’élection de jeudi dernier. Dans le meilleur des cas, certains ont trouvé refuge quelque part, attendant des jours meilleurs. Au pire, ils sont déjà sous les verrous, rejoignant leurs confrères détenus de longue date. Avant même le scrutin, l’Iran était la plus grande prison du Moyen-Orient pour les journalistes, avec 12 détenus.
Il est pourtant indispensable que les correspondants de la presse étrangère restent en Iran et poursuivent leur travail. Car une fois partis, il y a fort à parier que les forces de l’ordre abandonnent toute retenue et redoublent de répression contre les opposants. Si le président Mahmoud Ahmadinejad ne consent pas à respecter la liberté de la presse, il faut lui faire entendre raison. Et une contestation claire et nette des résultats électoraux par les chefs d’Etat européens pourrait contraindre le président iranien à fléchir. Barack Obama, enthousiasmé par la défaite du Hezbollah libanais, s’était mis à rêver à un vrai changement au Moyen-Orient. Lui non plus ne doit pas céder sur les valeurs qu’il affirme défendre.
L’enjeu lié au nucléaire iranien ne doit pas servir d’excuse pour rester silencieux. L’heure n’est plus aux déclarations timides et prudentes, quémandant plus de temps pour « analyser le scrutin ». Berlin a lancé le mouvement en convoquant, dès lundi matin, l’ambassadeur d’Iran en Allemagne. La France a suivi quelques heures plus tard. Il faut poursuivre dans cette voie et exiger que la population iranienne accède à l’information dont elle est privée.
Il ne devrait pas être possible de remporter une élection à coup d’arrestations de journalistes et de censure. La liberté d’exercice des médias est une composante essentielle du processus électoral. Certes, il y a eu, pour la première fois, des débats télévisés en direct et les candidats ont pu s’exprimer plus librement qu’à l’accoutumée. Mais ce n’est pas suffisant. Les médias devraient être en mesure aujourd’hui de relayer les positions de ceux qui contestent les résultats. Les reporters devraient avoir l’autorisation d’interviewer ceux qui expriment leur indignation et leur colère. Il est, par exemple, inacceptable que le journal de Mehdi Karoubi, autre candidat malheureux à l’élection, n’ait pas le droit de publier des informations sur son propre parti. Les hommes de Mahmoud Ahmadinejad sont dans les rédactions pour veiller au bon respect des consignes.
Si les envoyés spéciaux étrangers échappent à la prison, ils doivent franchir les mêmes obstacles que leurs confrères iraniens pour recueillir et transmettre leurs informations. Les réseaux téléphoniques sont contrôlés, Internet est filtré et parfois rendu inaccessible. Les e-mails passent difficilement, les SMS également. Dans ces conditions, transmettre des images, qui plus est en direct, ressemble à une gageure. Mêmes les ondes de la prestigieuse BBC sont brouillées.
Mais le régime réserve encore bien d’autres traitements à la presse étrangère. Ainsi, la fermeture pour une semaine du bureau de la chaîne par satellite Al-Arabiya, l’assignation à résidence – c’est-à-dire dans sa chambre d’hôtel – du correspondant de la chaine allemande ARD, ou encore l’expulsion de plusieurs envoyés spéciaux de télévisions européennes. Les autorités iraniennes vont tenter d’éviter par tous les moyens une couverture médiatique massive des fraudes électorales et des manifestations en cours. Le ministre de la Culture et de l’Orientation islamique a annoncé, mardi, l’interdiction à la presse étrangère de couvrir les rassemblements non autorisés, dont ceux des partisans du candidat Mir Hossein Moussavi. Le pouvoir craint une contagion rapide des revendications et une extension des mouvements de protestation à tout le pays.
L’Union européenne et les Etats membres ne doivent pas faillir dans leur défense de la liberté d’expression. Aucun gouvernement n’accepterait de reconnaître les résultats d’une telle mascarade si elle s’était déroulée sur le vieux continent. Ces exigences doivent-elles être revues à la baisse parce qu’il s’agit de l’Iran ? Ce serait un coup de poignard dans le dos de ceux qui, en Iran, ont cru que leur bulletin de vote pouvait modifier leur destin. Il ne faudrait pas que les Etats démocratiques, rompus aux élections transparentes et équitables, participent, à leur tour, au bourrage des urnes iraniennes.
Jean-François Julliard
Secrétaire général de Reporters sans frontières
Thérèse Obrecht Hodler
Présidente Reporters sans frontières Suisse

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