Présente en Colombie depuis plus de 20 ans, Terre des Hommes Suisse soutient des partenaires qui travaillent avec des familles déplacées. En effet, le conflit armé qui sévit depuis les années soixante a poussé plus de trois millions de personnes à migrer à l’intérieur du pays. Echos suite à une récente visite sur le terrain.
Du haut de ses trois ans, Juanita m’observe. Avec sa mère, son père et ses quatre autres frères et sœurs, elle a fui son village il y a sept mois par crainte des paramilitaires qui sèment la terreur dans les populations rurales, en vue de récupérer des terres intéressantes pour l’élevage intensif ou la culture de coca. Un voisin assassiné, une bombe qui éclate dans la rue la nuit, tous ces événements trop risqués et difficiles à supporter. La famille a donc tout quitté pour trouver refuge dans la périphérie de la petite ville de Baranoa où elle s’est installée tant bien que mal.
Nous sommes sur la côte atlantique de Colombie, une région tropicale humide, carrefour métissé de peuples préhispaniques, européens et africains. Si la côte accueille à nouveau un certain tourisme balnéaire, joindre les villages à l’intérieur des terres n’est raisonnable que de jour, après avoir pris la température auprès de nos coordinateurs nationaux mieux à même d’évaluer l’actualité du conflit armé dans la région.
Juanita me montre le chemin de sa maison, sa mère la précède, portant dans ses bras sa dernière-née de cinq mois. Un chemin de terre, régulièrement envahi par les eaux et la boue. Une barrière de bois et des fils de fer barbelés entourent la maison de fourtune construite de tôles et de planches. Une seule pièce où se concentre un unique grand lit pour l’ensemble de la famille. Une chaise de plastique, un hamac, des bassines. La chaleur à l’intérieur est simplement étouffante. Pas d’électricité bien sûr, ni d’eau courante… La famille se lave, cuisine, et boit l’eau du puits du quartier, une eau non potable, salée, car elle ne peut se permettre d’acheter de l’eau en bouteille. «Je me lève tous les jours à 4h du matin pour préparer du peto, un plat à base de maïs que mon mari vend plus tard au marché. Le reste de la journée, je m’occupe des enfants et de la maison. J’essaie de ne pas trop penser. J’ai tout perdu.» Et Leila, une voisine, d’ajouter: «On a tous des histoires de vie difficiles. Moi je me retrouve seule avec mes six enfants, mon mari a été assassiné il y a quelques années. Mais dites-leur, là-bas dans votre pays, que la Colombie, ce n’est pas seulement la drogue et la guerre, c’est aussi des gens qui travaillent et veulent vivre en paix!» Et elle ajoute: «Nous nous sommes organisées entre femmes, on nous a donné des semences et expliqué comment s’occuper d’un jardin potager, et cette année j’ai pu mieux nourrir mes enfants et même vendre quelques légumes. On va s’en sortir.»
Dans les ruelles, des gamins jouent à la ronde, au «fusillé»… Ils ont le sourire de tous les enfants du monde et seuls les parents peuvent témoigner des peurs nocturnes, des retards scolaires, des angoisses relationnelles.
Pour Juanita comme pour les autres membres des 140 familles concernées par ce projet, les associations locales colombiennes soutenues par Terre des Hommes Suisse sont d’abord de vraies bouées de sauvetage, puis des tremplins pour reconstruire l’avenir. Accompagnement psychologique et scolaire de plus de 600 enfants, organisation des jeunes, micro-finance de projets générant des revenus, promotion des droits des enfants et des femmes, travail en réseau: cette approche globale menée par des professionnels du pays est une motivation incroyable pour nous tous qui, depuis la Suisse, faisons connaître leur vie et leurs luttes pour un quotidien décent.
Souad von Allmen, chargée d’information à Terre des Hommes Suisse