La f®acture afghane

Du 2 au 21 novembre 2004, une exposition photo à la Maison des Associations de Genève présentait des images du quotidien de l’Afghanistan. Micheline et Pierre Centlivres-Demont réussissaient à sensibiliser le grand public à un pays méconnu grâce à leurs nombreux voyages (de 1966 à 2002). Les quelques curieux croisés aux abords de leurs photos semblaient unanimes. La justesse de la nuance, l’authenticité des scènes de vie présentées immergeaient le spectateur aux confins d’un pays passionnel.
 
L’engouement créé, il ne me restait qu’à fouiller les méandres du web pour y approfondir mon point de vue. De quoi prendre de la hauteur en quelque sorte. Petit récapitulatif des infos trouvées :
 
« 1919. L’Afghanistan obtient son indépendance, officialisée par le traité de Rawal-pindi en 1921.
 
17 juillet 1973. Chute de la monarchie après le coup d’Etat de Mohammad Daoud Kahn, cousin du roi Muhammad Zaher Chah, qui s’exile en Italie. Proclamation de la République d’Afghanistan.
 
27 avril 1978. Coup d’Etat du Parti communiste afghan (PDPA).
 
25 décembre 1979. Invasion soviétique et nouveau coup d’Etat militaire : les Soviétiques installent M. Babrak Karmal au pouvoir.
 
Février-mars 1989. L’armée rouge se retire ; le régime communiste reste en place, malgré les offensives des moudjahidins.
 
16 avril 1992. Président depuis 1986, Najibullah démissionne : chute du régime communiste. M. Rabbani est nommé président ; une guerre civile éclate entre factions moudjahidines rivales.
 
Eté-automne 1994. Emergence politique et militaire des talibans, « étudiants en religion » (taleb) du pays pachtoune. Armés par le Pakistan, ils s’emparent de Kandahar.
 
26 et 27 septembre 1996. Maîtres des deux tiers du pays, les talibans prennent Kaboul.
 
9 septembre 2001. Assassinat du commandant Massoud par des membres d’Al-Qaida, deux jours avant les attentats contre les Etats-Unis.
 
7 octobre 2001. Moins d’un mois après les attentats contre les Etats-Unis, l’Afghanistan est attaqué par une « coalition internationale contre le terrorisme », formée sous l’égide américaine.
 
Automne 2001. L’opération « Liberté immuable » chasse les talibans. Kaboul tombe le 13 novembre.
 
Novembre 2001. L’ONU (le 14), la Conférence de Washington (le 20) et la Réunion interafghane de Bonn (le 27) organisent la transition démocratique du pays.
 
22 décembre 2001. Quinze jours après la capitulation des talibans, M. Hamid Karzaï, ancien collaborateur de la CIA, est nommé président par intérim.
 
4 janvier 2004. Les 502 membres de la Loya Jirga adoptent la nouvelle Constitution afghane, qui prévoit un régime présidentiel fort.
 
9 octobre 2004. Election présidentielle », (cf. cit. : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/10/A/11585).
 
L’article de M. Farhad Khosrokhavar, Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur des Nouveaux martyrs d’Allah, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 2003, qui s’en suit m’a amené à rédiger ses quelques lignes. D’une part parce que l’article est accrocheur et d’autre part parce qu’il illustre parfaitement les dérives du droit d’ingérence.
 
« L’Afghanistan abandonné aux seigneurs de la guerre » dénonce l’implantation malvenue des Afghans occidentalisés, des «sag chouyan, des « laveurs de chien », animal impur pour l’islam ». Dans un univers de chaos, ou de renouveau politique- choisissez, l’empire américain et ses acolytes occidentaux se sont implantés générant un nouveau marché faisant la part belle aux Afghans émigrés qui, flairant la bonne affaire, sont revenus pour louer leurs terrains et leurs services au plus offrants de la communauté internationale. Au final de quoi, les Afghans de l’intérieur se sentent quelque peu dépossédés.
 
Une nouvelle fracture s’inscrit dans un pays propice aux extrêmes, celui d’un univers cossu opposé à celui de la misère afghane. L’humanitaire s’inscrit donc dans cette fracture, tentant tant bien que mal de réduire les disparités économiques et sociales. Mais n’est-elle pas une mesure pour donner bonne conscience à un système occidental voué au libéralisme économique?
 
« Dans le bazar de Kaboul, la misère éclate ; des gens en guenilles vivent chichement de presque rien. Certes, les organisations non gouvernementales – quelque deux mille ONG occidentales y ont pignon sur rue – donnent du travail à une partie de la ville… tout en la parasitant : ils en font un immense chantier pour l’humanitaire. Les tâches nobles reviennent évidemment à des Occidentaux ou à des Afghans venus d’Occident, les menus travaux – chauffeurs, guides, distributeurs d’aide, etc.– aux Afghans de l’intérieur. » (Farhad Khosrokhavar, L’afghanistan abandonné aux seigneurs de la guerre)
Nous leur donnons du travail tout du moins, me diront certains. Mais à quoi bon ? A construire un univers proche du nôtre sans impliquer les locaux. Cette ingérence-là ressemble plus à une sorte d’inquisition politique qu’à une démarche censée aider les populations autochtones. Au contraire, l’inflation étouffe les plus pauvres. Le morcellement géopolitique tue tous les petits commerces liés à l’Iran ou au Pakistan. La haine du riche étranger, incarnant la cause des malheurs afghans, envenime les langues et les cœurs. Dans ce contexte délétère, les Talibans n’ont qu’à alimenter les peurs pour cristalliser leur idéologie extrême et malveillante autour d’un retour à des valeurs soi-disant islamiques contre l’ennemi occidental. Quadrature du cercle, plus Al Quaïda et les Talibans menacent la sécurité des pays occidentaux, plus ces mêmes pays ont les moyens d’investir la nation afghane en se reposant sur le droit d’ingérence. A qui cela profite-t-il ? Aux hommes d’affaires, aux terroristes ou aux leaders de la guerre ?
 
A croire que pour certains que le spectre de Ben Laden est une aubaine et qu’il aurait encore intérêt à se balader en toute liberté pendant quelques années… le temps peut-être que la CIA finisse de construire son immeuble sur la plus grande avenue de Kaboul.
 
 
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Olivier Grobet

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