La violence augmente dans les campagnes

Dix ans après la signature des accords de paix, la situation agraire au Guatemala reste explosive. Et les droits humains dans les campagnes, fragiles. Bilan décourageant d’un processus de justice agraire postposé et d’une transition démocratique qui, en tout cas pour les paysans, attend des jours meilleurs.
 
Tels furent les propos, dans une interview exclusive, d’Alma Noser, responsable pour l’Amérique centrale et le Mexique d’Amnesty International Suisse, pour qui « il n’y a pas eu de changements positifs en ce qui concerne l’activité en milieu rural. La violence dans les campagnes ne cesse d’augmenter ».
 
Noser a une longue expérience dans cette région du continent latino-américain puisqu’elle a travaillé pendant dix ans comme responsable de projets pour Caritas-Suisse et continue à  la visiter régulièrement.
 
« Pour une véritable politique agraire »
 
Le 3 septembre dernier, au terme d’une visite de deux semaines au Guatemala, une délégation de Amnesty International a rendu public un communiqué où elle « exprime sa profonde préoccupation pour les graves irrégularités, les violations des droits humains et le traitement discriminatoire auxquels sont soumis les paysans guatémaltèques ». Le document fait mention des procès judiciaires qui finissent par des ordres d’expulsions.
 
« Ces pratiques sont très autoritaires et souvent violentes  », souligne Alma Noser qui dénonce en même temps « l’impunité totale dans laquelle sont exécutés les expulsions ».
 
Selon la mission d’inspection de l’organisme international, sa dénonciation se fonde sur au moins onze anomalies et irrégularités significatives. Entre autres, le non-paiement de salaires ni d’indemnisations légales dans les exploitations agricoles du Guatemala ; les mandats d’arrêts et d’expulsions contre des centaines de familles qui occupent leurs terres depuis des générations ; le manque de réponse des autorités compétentes face aux dénonciations des délégués des services de la
Procuraduría de Derechos Humanos [1], etc.
 
Si l’organisation « reconnaît l’importance donnée aux processus de médiation et de conciliation  », elle voit cependant « avec préoccupation que ces processus soient souvent interrompus par la mise en oeuvre d’une expulsion ». Ce qui provoque plus de violence comme le signale le communiqué et le confirme Alma Noser.
 
Le rapport « appelle les autorités à développer une politique agraire spécifique pour prévenir et résoudre les cas de conflits agraires centrée sur la protection et la défense des droits humains  ».
 
Un aspect sur lequel insiste la responsable pour l’Amérique centrale de Amnesty International-Suisse qui est convaincue que « sans une véritable réforme agraire et si l’on ne freine pas les expulsions, il n’ y a pas de vraie solution dans les campagnes ».
 
La tension et la protestation sociale sont visibles. En dépit de la répression historique subie par la société guatémaltèque [2], « il est significatif de constater que de nombreux secteurs sont toujours mobilisés  », dit-elle. « Je suis allée là-bas en avril et j’ai vu de mes propres yeux des protestations citoyennes significatives contre la signature du traité de libre-échange [3] qui était en débat au parlement à ce moment-là », soutient-elle.
 
Le poids de la répression historique
 
La réalité actuelle et complexe est la conséquence directe « de toute l’histoire vécue par mon pays  », souligne, pour sa part, Hugo Cabrera, physicien guatémaltèque résidant en Suisse depuis trois ans et qui suit des études supérieures à Zurich. Au cours des années 90, il a occupé des postes à responsabilité dans différents organismes de défense des droits humains et d’investigation au Guatemala.
 
Cabrera raconte rapidement l’histoire de son pays, depuis la conquête jusqu’à aujourd’hui. Il souligne les époques de gouvernements populaires (1945-1954) ou de mobilisations sociales (80-90) au cours desquelles d’importants acteurs sociaux ont tenté de promouvoir la transformation de la propriété foncière.
 
Comme réaction à chacune de ces expériences participatives, les coups d’Etat et les gouvernements militaires se sont succédés avec l’appui des Etats-Unis. Le Guatemala, selon Cabrera, paie aujourd’hui le prix d’une politique contre-insurrectionnelle qui s’est imposée dans le sang, par les balles et la politique de la « terre brûlée ».
 
En corollaire d’une telle politique, le Guatemala est aujourd’hui l’une des nations les plus martyrisées du continent : 130.000 personnes assassinées, 45.000 disparus, 626 massacres et plus d’un million de réfugiés [4] au cours de la dernière confrontation armée.
 
Pour le jeune analyste guatémaltèque, le processus de solution négociée du conflit qui s’est achevé en 1996 est, cependant, « une chance manquée » parce que les accords conclus au cours de cette négociation n’ont pas été appliqués. Bien que certains secteurs politiques dirigeants voudraient réactiver ces accords, « il semble qu’il soit déjà trop tard  », affirme-t-il.
 
En ce qui concerne la situation actuelle et les changements successifs de gouvernements démocratiques vécus par ce pays d’Amérique centrale, « il faut les comprendre comme la confrontation entre deux forces ou projets électoraux de pouvoir qui se succèdent l’un à l’autre  », mais avec « un peuple qui n’a pas vraiment de capacité d’influencer la politique  » et dans une réalité « où il n’existe pas d’option de gauche nationaliste avec des perspectives claires sur la scène électorale ».
 
Réactiver la solidarité
 
Face à cette réalité fort complexe, « il est important que l’on n’oublie pas la solidarité avec le Guatemala », souligne Alma Noser.
 
Le pire qui puisse arriver « c’est que nous oubliions le Guatemala, qui continue à être une des nations d’Amérique centrale présentant les plus graves problèmes en matière de droits humains  ».
 
Les citoyens du monde doivent être attentifs aux appels, aux actions urgentes lancées par différentes organisations de défense des droits humains et de solidarité, insiste Noser, pour qui l’autre grand problème auquel peut être confronté le mouvement de solidarité déjà ancien avec le Guatemala « est la fatigue ». « Si la communauté internationale se fatigue, cela est à la fois terrible et grave. En dépit du fait que les gouvernements ne soient pas toujours sensibles à la pression extérieure, le poids  de l’action de la communauté internationale est toujours aussi important  », conclut la coordinatrice d’Amnesty International, section suisse.
 
Sergio Ferrari
 
 
NOTES:
 
[1] Organisme public de défense des droits humains.Joue un rôle de médiateur.
Pour en savoir plus, lire La funccion del procurador de los derechos humanos sur NIZKOR (ndlr).
 
[2] Lire Robert Parrry, L’histoire des « escadrons de la mort » guatémaltèques, RISAL, 26 janvier 2005 (ndlr).
 
[3] En mai 2004, les gouvernements du Costa Rica, du Salvador, du Guatemala et du Honduras signaient un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, auquel
s’est joint la République dominicaine en août 2004. Pour entrer en vigueur, l’accord devait être ratifié par les parlements nationaux. Ce qui est maintenant
chose faite après la ratification de justesse de l’accord à la Chambre des représentants états-unienne le 28 juillet dernier. Consultez le dossier « Amérique centrale : sous la coupe du libre-échange » sur RISAL (ndlr).
 
[4] Lire Lisa Viscidi, Le difficile retour des réfugiés guatémaltèques, RISAL, 9 mars 2004 (ndlr).
 
Traduction : Anne Vereecken & Isabelle Dos Reis,
pour RISAL (http://www.risal.collectifs.net/), en collaboration avec E-CHANGER

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