Les Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU en 2015 ne sont pas en voie d’être réalisés, constate un rapport. L’organisation tire la sonnette d’alarme.
Réunis à New York du 14 au 23 juillet 2025, les Etats membres de l’ONU ont tiré un bilan préoccupant de la mise en œuvre des objectifs du développement durable (ODD), aussi appelé Agenda 2030: seuls 20% des cibles sont en voie de réalisation.
Un rapport de l’organisation publié le 14 juillet1 fait un bilan détaillé de ce programme adopté en 2015, souvent cité en référence par les organisations de la société civile.
Pour 47% des objectifs, les progrès n’ont été que rares (29%), voire inexistants (18%). «ll est alarmant de constater que, pour 18% des cibles, la trajectoire accuse un repli par rapport aux niveaux de référence de 2015», commente l’ONU. Comme l’a relevé à la mi-juillet, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, «nous faisons face à une véritable urgence mondiale en matière de développement».
Quelques avancées
Les Nations unies relèvent quelques avancées. Par exemple, 92% de la population mondiale bénéficie de l’électricité (contre 87% en 2015) et l’accès à Internet est passé de 40% à 68%. La couverture protection sociale s’est étendue: «Pour la première fois, en 2023, plus de la moitié de la population mondiale (52,4%) bénéficiait d’au moins une prestation de protection sociale, contre 42,8% en 2015».
Mais cela n’a pas été le cas pour les pays à bas revenus qui «n’ont pratiquement pas progressé à cet égard depuis 2015».
Autre progrès: l’accès des filles à l’école a progressé et le nombre de mariages infantiles (moins de 18 ans) a régressé, bien qu’on compte toujours chaque année 12 millions de mariages de jeunes filles mineures. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a été réduit modérément, 43 à 37 pour 1000 naissances, tout comme le taux de mortalité maternelle (de 228 à 197 pour 100 000 naissances).
9% d’«extrême pauvres»
Ces avancées ne suffisent pourtant pas à masquer la pauvreté persistante, la croissance des inégalités et l’accélération du dérèglement climatique. 700 millions de personnes souffrent d’une situation d’extrême pauvreté. Le rapport pointe une très légère amélioration: «Les dernières données révèlent que 9% de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté en 2022, chiffre en légère baisse par rapport aux 10,5% de 2015». Mais les critères retenus par l’ONU pour calculer ce chiffre sont critiqués par certaines organisations de la société civile et des universitaires qui observent pour leur part une hausse de la misère. 2
Plus d’un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles, sans services de base. La faim et l’insécurité alimentaire se sont exacerbées: plus de 750 millions de personnes souffrent de la faim et plus de 2,3 milliards de personnes, soit environ 29% de la population mondiale, se trouvent en situation d’insécurité alimentaire. «Bien que les dépenses publiques consacrées à l’agriculture aient atteint un niveau record de 701 milliards de dollars en 2023, elles représentent encore moins de 2% des dépenses publiques totales, ce qui témoigne de la nécessité d’investir davantage et de prendre des mesures d’urgence pour renforcer les systèmes alimentaires», précise le rapport.
Simultanément, selon la Banque mondiale, les pays en développement ont affecté, en 2023, le chiffre record de 1400 milliards de dollars de dollars au titre du service de leur dette extérieure. Le paiement des intérêts a cru de près d’un tiers et s’est élevé à 406 milliards de dollars, grevant, dans de nombreux pays, les budgets pouvant être alloués à des domaines critiques tels que la santé, l’éducation et l’environnement. Plus de 60 pays – comptant plus de 3 milliards d’habitants – consacrent davantage d’argent au remboursement de leur dette externe qu’à l’éducation ou à la santé.
«De l’argent, il y en a»
Dans une déclaration rendue publique à la fin de la 4e conférence internationale sur le financement du développement, au début juillet, à Séville, la Coordination espagnole des organisations actives dans la coopération au développement constate qu’il reste très peu de temps pour parvenir à concrétiser l’Agenda 2030. Cette plateforme a coordonné, durant cet événement, la présence critique de la société civile internationale: plus de 1500 représentant·es ont pris part à des activités parallèles, y compris des protestations symboliques, dans les locaux de la conférence.
Il ne s’agit nullement d’un manque de ressources, mais d’un problème de priorités, dénonce la Coordination des ONG. «De l’argent, il y en a, comme le prouvent l’augmentation démesurée des budgets militaires, qui ont dépassé, en 2024, le montant global de 2700 millions de dollars, les subventions déguisées aux énergies fossiles, ou les 25 milliards de dollars – selon des estimations crédibles – dissimulés dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt.» Et d’ajouter que, pendant ce temps, «des millions de personnes n’ont pas accès à des services de base comme l’eau potable, la nourriture ou l’éducation».
Cette analyse est partagée par Alliance Sud, plateforme suisse d’ONG, dont les représentants étaient présents à Séville. Cette coordination de la société civile souligne que la déclaration finale issue de la conférence est très insuffisante pour répondre aux Objectifs du développement durable. Dans son blog couvrant quotidiennement le sommet de Séville, elle fait un bilan guère reluisant de l’événement: «Des réponses aux innombrables crises n’ont pas été apportées: le Nord réduit ses aides au développement et continue de priver les pays du Sud global de ressources considérables, alors que ces derniers croulent sous le poids de la dette.»
De jour en jour, l’inquiétude de la société civile ne cesse de croître, constate Isolda Agazzi, porte-parole d’Alliance Sud. Particulièrement préoccupants, de ce point de vue, sont le déclin significatif des fonds destinés à promouvoir le développement durable et la réduction constante, sur toute la planète, de ceux consacrés à la coopération internationale. Sans oublier «le climat mondial délétère, où les guerres, la baisse des financements consacrés au changement climatique et les dures attaques contre le multilatéralisme laissent présager une plus grande lenteur ou même un recul dans l’application de l’Agenda 2030 au cours des cinq prochaines années».
Christophe Koessler et Sergio Ferrari (traduction Hans-Peter Renk)
Le Courrier
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«Les 1% détiennent plus que les 95% les plus pauvres»
Oxfam n’hésite pas à qualifier d’échec le bilan de l’Agenda 2030. «Près de la moitié de la population mondiale (soit plus de 3,7 milliards de personnes) vit dans la pauvreté, tandis que l’injustice de genre, la faim et d’autres violations des droits humains fondamentaux sont monnaie courante», constate l’ONG dans un rapport précédent le sommet sur le financement du développement à Séville1. Pourtant les ressources sont là.
Les revenus et fortunes des plus aisés ont tellement progressé depuis dix ans qu’il suffirait de consacrer une fraction de ces capitaux au développement: «Depuis 2015, les 1% les plus riches ont amassé au moins 33 900 milliards de dollars en termes réels, soit 22 fois le montant requis chaque année pour mettre fin à la pauvreté dans le monde», indique Oxfam. Ces individus détiennent désormais plus de richesses que les 95% les plus pauvres. Trois mille personnes, soit l’ensemble de milliardaires dans le monde, ont gagné 6500 milliards de dollars en termes réels, soit plus que le coût annuel pour atteindre les ODD, estimé à 4000 milliards de dollars.
Pour l’ONG, l’échec de la lutte contre les inégalités est au cœur du problème: «L’Objectif de développement durable (ODD) 10, qui porte sur la réduction des inégalités, est parmi ceux sur lesquels nous sommes le plus à la traîne. Alors même que le monde n’est pas parvenu à éradiquer la pauvreté au cours de la dernière décennie, il a réussi à générer 1202 nouveaux et nouvelles milliardaires et est actuellement en passe de compter cinq super-milliardaires d’ici dix ans.»
Les deux phénomènes sont, selon elle, intimement imbriqués: «Les pays qui devraient peser dans la réalisation de ces objectifs de développement ont cédé un pouvoir considérable à des acteurs privés et restreint leur propre assiette fiscale. Le déclin de la fiscalité des grandes fortunes et des multinationales au cours des dernières décennies combiné à une augmentation désastreuse du remboursement de la dette souveraine ont considérablement affecté la capacité des Etats à fournir des services publics comme l’eau potable, l’éducation et les soins de santé.»
L’implication des grands acteurs capitalistes dans le «financement du développement» est aussi vertement critiqué: «Diverses institutions multilatérales et bilatérales influentes œuvrant dans le domaine du développement font pression en faveur d’une plus grande implication du secteur privé dans la fourniture des services publics. Divers instruments tels que les ‘partenariats public-privé’ (PPP) et des concepts comme le ‘financement mixte’ et la ‘réduction des risques’ se sont généralisés, malgré les critiques selon lesquelles cela revenait à un simulacre de financement du développement pour en réalité servir les intérêts des capitaux privés.»
La chercheuse Daniela Gabor parle de «consensus de Wall Street», qui reformule le consensus de Washington dans le langage des Objectifs de développement durable et identifie la finance mondiale comme l’acteur essentiel à la réalisation des ODD27. De la poudre aux yeux pour enrichir les investisseurs selon Oxfam.
Christophe Koessler