L’anthropologie au service de l’aide humanitaire

Chaque communauté, chaque population a une vision du monde différente. Celles-ci se rencontrent sans cesse lors des interventions humanitaires. Les différences de points de vue socio-culturels sont au cœur des approches anthropologiques qui peuvent bénéficier à chaque étape d’un projet. Anthropologue, Julie Cassard a accompagné les équipes de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL au Myanmar.

En général, et tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un contexte de populations déplacées, la réponse humanitaire se confronte de fait à une situation et un ensemble humain marqués par une très forte hétérogénéité. Dans le cas d’une épidémie ou d’un terrain d’intervention caractérisé par un contexte sanitaire précaire, les travailleurs humanitaires cherchent à identifier les pratiques à risque des populations affectées relatives à la santé et l’hygiène. Les populations bénéficiant des programmes mis en œuvre pour réduire les risques sanitaires peuvent néanmoins percevoir ces actions comme une analyse remettant en cause leurs pratiques intimes et personnelles. Si l’objectif des programmes humanitaires n’est jamais celui-ci, il apparait donc très important voire crucial que les réponses puissent s’appuyer sur une compréhension des pratiques des populations ainsi que sur les perceptions de ces dernières. Inévitables et intrinsèques, cette compréhension et cette analyse d’un projet d’aide humanitaire sont parties intégrantes d’une approche anthropologique et participent à la réussite du projet. En effet, une démarche anthropologique permettra non seulement de mieux appréhender les différents contextes mais aussi une meilleure appropriation des activités par les populations qui les identifieront comme étant la solution au(x) problème(s) au(x)quels elles sont confrontée(s).

Comprendre les différences socio-culturelles …

Au Myanmar, dans la région du Rakhine, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL intervient dans des camps de déplacés dans lesquels 13600 personnes cohabitent dans des espaces restreints, insalubres et dépourvus de tout. En 2012, alors expulsés de leurs lieux d’origine, ces gens ont ramené avec eux le peu qu’ils possédaient, mais aussi leurs croyances et leurs pratiques culturelles. Ces dernières, très éloignées de celles « occidentales » et dont la lecture n’est pas facile, peuvent donc être difficile à intégrer dans un projet humanitaire et aboutir à l’échec de celui-ci. Par une étude précise des réalités et comportements socio-culturels en jeu, la pertinence et l’efficacité de la réponse apportée aux bénéficiaires s’en trouveront renforcées.

… pour une meilleure réponse humanitaire.

Il devient crucial de comprendre les comportements et les croyances des bénéficiaires dans le but de répondre aux problèmes à travers leurs visions et leurs perceptions. Cette approche passant par des temps privilégiés d’écoute et des méthodes davantage participatives et tournées vers l’humain évite de nous mettre en situation d’échec vis-à-vis des attentes des communautés pour et avec lesquelles nous travaillons. C’est ce à quoi contribue l’approche anthropologique.

« Les 5 mois que j’ai passés dans le camp de déplacés de Pauktaw dans l’Etat du Rakhine au Myanmar ont prouvé l’utilité de l’anthropologie dans une mission humanitaire, explique Julie Cassard. Le projet rencontrait toujours quelques difficultés d’appropriation des activités par les bénéficiaires et SOLIDARITÉS INTERNATIONAL a rapidement compris qu’il était primordial de renforcer cette compréhension des bénéficiaires. Mon rôle était de discerner la perception culturelle des déplacés concernant les pratiques d’hygiène, de déceler les potentiels blocages socio-culturels, et d’essayer d’analyser les différents impacts (positifs comme négatifs) qu’avaient pu avoir le projet et la présence d’ONG auprès de ces personnes.»

« Par exemple, au sein d’une des communautés auprès de laquelle le projet intervient, traditionnellement les femmes ne sortent pas de chez elles le jour, poursuit Julie Cassard. Ce sont aussi elles qui collectent l’eau, mais le soir. Nous distribuions l’eau potable dans le camp, en journée seulement, car nous n’avions pas perçu cette particularité culturelle. Les femmes allaient donc chercher de l’eau plus loin, prenant parfois des risques liés à un environnement difficile. Grâce à l’étude nous pouvons ajuster nos programmes et nos pratiques humanitaires, pour tenir compte de ces paramètres et fournir dans ce cas cité de l’eau à des heures acceptées par ces femmes concernées. C’est pourquoi écouter les bénéficiaires et les intégrer au projet permet de renforcer leur approbation, et donc leur adhésion au projet. »

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L’approche anthropologique doit s’inscrire durablement dans les projets humanitaires

En raison de la nature le plus souvent interculturelle de l’action humanitaire, les acteurs de l’aide, s’ils le font déjà depuis de nombreuses années devraient se pencher plus souvent et plus en profondeur sur la réalité anthropologique des interactions qu’ils produisent. Ils doivent être encouragés à relever ces défis d’analyse et à intégrer systématiquement l’aspect anthropologique en le considérant comme une force intrinsèque à chaque étape d’un projet, dans le but que celui-ci soit une réussite du point de vue des bénéficiaires d’abord, puis de l’ONG.

1 réflexion sur « L’anthropologie au service de l’aide humanitaire  »


  1. Merci pour cette excellente contribution! La prise en compte des diversités culturelles et les droits culturels est essentielle dans l’approche humanitaire. Dans notre ong, nous avons centré notre travail sur la formation des intervenants et l’éducation populaire à ces droits. L’approche anthropologique en est un aspect essentiel. Elle ouvre un regard neuf, non jugeant, désireux d’ApprenTissages, c’est à dire une façon de collaborer qui permette de tisser des liens de sens, de mémoire, de compréhension, qui transforme à la fois les intervenants et les personnes accompagnées et favorise la résilience et l’empowerment.
    Nous avions vécu une expérience concernant l’eau très similaire à celle racontée ici. Et bien d’autres encore. L’humanitaire doit retrouver le sens de l’humain, celui des relations entre les personnes. Commencer par l’écoute, observer en changeant de regard, porter de l’attention à ce qui se passe, construire une relation de confiance réciproque. Accepter de ne pas arriver avec des solutions, reconnaître l’autre dans ses compétences et ses savoirs. Julie Cassard donne la force de cette approche dans cet article.
    Cette semaine, à l’Est du Congo, 78 personnes réfugiées dans les camps de déplacement internes et formées à la médiation par les cultures, ont monté un projet qu’elles financent elles-mêmes pour travailler avec les habitants des villages d’accueil avoisinants.
    Pour en savoir plus sur les fondements des droits culturels, nous vous renvoyons à la Déclaration de Fribourg, dont nous sommes signataires: https://www.unifr.ch/iiedh/assets/files/fr-declaration10.pdf et en particulier à son article 2 qui en énonce le fondement.

    Nous nous réjouissons de savoir que d’autres organisations pratiquent des approches similaires et serions heureux d’un échange. Avec toute notre gratitude et notre respect

  2. C’est en effet un très bel article qui suppose une longue réflexion sur l’intervention d’urgence versus de développement durable.

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