Le Nicaragua aujourd’hui : impressions de voyage

 
Version des medias de chez nous
 
Les medias ne parlent presque plus du Nicaragua, depuis longtemps, depuis les années de la révolution. Et quand ils en parlent, c’est en s’alignant sur les dépêches de l’AP, l’AFP ou EFE qui dénoncent le président Ortega et sa «dictature familiale».
 
Pourtant, quel contraste entre les critiques européennes contre les « dérives » du gouvernement Ortega et la sensibilité bienveillante d’une grande partie des Nicaraguayens/ennes à l’égard de son gouvernement sandiniste, revenu au pouvoir depuis 2007. Mais où ont donc passé les affiches géantes à l’effigie du « dictateur » et les placards traînant dans la boue les leaders de l’opposition, Aleman ou Montealegre? Rien de tout cela n’est visible, à part les quelques restes délavés qui ont dû donner prétexte à une ennième campagne de désinformation médiatique
 
Alors pourquoi une telle manipulation médiatique? Que cherchent les organismes officiels de coopération des pays européens, les ONG internationales et même certaines petites ONG, autrefois solidaires avec les sandinistes ? Pourquoi sont-ils à l’unisson avec les campagnes de l’opposition de droite ? Pourquoi sont-ils à l’écoute des discours de leurs seules « contreparties », la fine couche sociale des cadres et employés des nombreuses ONG internationales et nationales?
 
La controverse est née autour de la victoire sandiniste aux élections municipales de 2008 (1) et elle a été prolongée depuis, sans temps mort:
–          par une paralysie du parlement,
–          par un moratoire des programmes de coopération d’appui au budget,
–          par des campagnes médiatiques inouïes contre les mesures réalistes prises par le gouvernement (2) pour permettre le fonctionnement des différentes institutions, entre autres la cour suprême de justice ou le conseil suprême électoral.
 
 
Rencontre avec une autre réalité
 
Les medias se seraient-ils engouffrés dans une lecture des évènements dictée par la droite, uniquement? Pendant mon voyage, j’ai rencontré une autre réalité.
 
Il y a toute une liste de programmes sociaux déjà relativement connus en Europe : « Hambre Cero », «Usura Cero » «Bonos Productivos » en faveur des familles paysannes pauvres. Des efforts sont faits aussi pour réhabiliter des chemins et des routes dans la campagne ; toujours dans les zones rurales, des petits projets d’énergie propre ou de distribution d’eau potable sont en train de naître; la réhabilitation de rues dignes pour les quartiers pauvres des villes sont en voie de réalisation; un millier de postes « ENABAS » (centres de distribution) pour la vente des aliments de base à des prix subventionnés pour les moins favorisés ont été ouverts.
 
Nous connaissons moins, par contre, l’effort stratégique en faveur des petits et moyens paysans pour accroître l’agriculture vivrière. Ou l’effort fait en direction des coopératives, actrices-clés de l’agriculture d’exportation durable, café et viande principalement. Ainsi, malgré la crise et au contraire des pays environnants, en ce premier semestre 2010, la production d’aliments de base a augmenté significativement et le Nicaragua est en passe de devenir autosuffisant pour la plupart de ces produits.
 
Reprise de la participation populaire
 
Il existe sans conteste un renouveau de la participation populaire, accentué par le dynamisme des jeunes. De nombreux sandinistes, qui s’étaient retirés durant les 17 années de gouvernement néo-libéral faisant suite à la défaite électorale de 1990, se mobilisent à nouveau.
 
Les jeunes qui ont entre 18 et 25 ans aujourd’hui n’ont vécu ni la lutte anti-somoziste, ni la révolution sandiniste. Ils n’ont connu que le néo-libéralisme dévastateur qui a enfermé leurs familles dans la pauvreté et la survie individuelle. J’ai pu observer que, dans le département rural de Matagalpa, depuis le retour du gouvernement sandiniste en 2007, ils sont témoins de changements substantiels pour eux, notamment en ce qui concerne l’éducation.
 
Les bourses et les carrières techniques sont désormais accessibles jusque dans certains chefs-lieux ruraux. Des jeunes hommes et femmes ont vu leur horizon s’élargir, leurs besoins de formation pris en compte, leurs aspirations à participer à la vie démocratique facilités. Le changement est rapide et les jeunes respectent ce gouvernement qui est proche de leurs besoins et qui leur a facilité l’innovation technologique: dans les bibliothèques rurales et dans certaines mairies, désormais, l’accès à Internet est courant et facile.
 
Il n’est pas rare que les CPC (Conseils de Pouvoir Citoyen), existant dans chaque quartier et dans chaque village, soient investis par des jeunes pour servir la communauté ou exiger des autorités locales le respect des plans d’investissements communaux.
 
Mais pourquoi la campagne médiatique de dénigrement a-t-elle si facilement fait mouche en Europe? Pour les medias, les CPC ne sont que des structures clientélistes, aux mains des sandinistes les plus orthodoxes, pour distribuer les « lettres de recommandation » indispensables pour l’accès à un travail, à un logement ou à une bourse. On finit par y croire à force de l’entendre répéter. Bien sûr que cela existe, comme cela a existé et existe dans des pays bien plus riches que le Nicaragua, mais les CPC sont aussi bien autre chose: une structure de pouvoir citoyen et de participation populaire.
 
Alors, vous avez dit « dictature »?
 
Lorsque certains dirigeants de l’opposition ou de la société civile, parfois ex-sandinistes, comparent Ortega à Somoza, on croit halluciner. Car la décence interdit la moindre comparaison pour qui a eu connaissance de la dictature des Somoza, mise en place par les USA, munie d’une garde nationale qui assassinait, torturait et violait des milliers de Nicaraguayens/ennes.
 
La Revue « Envio » appartenant aux jésuites progressistes, proche du MRS (Mouvement de Rénovation Sandiniste), très critique contre le FSLN, commence enfin à adoucir le ton, s’apercevant qu’il n’est pas du tout crédible de qualifier un gouvernement de dictatorial sans qu’aucune des caractéristiques de la dictature ne soit présente.
 
Sans détenus politiques, sans militarisation, sans musellement des medias, où est la dictature? Il n’y a pas de militarisation et le Nicaragua est le pays le moins policé d’Amérique centrale. J’ai parcouru la moitié du pays, de la zone pacifique à la zone centrale montagneuse et je n’ai jamais été contrôlé par une quelconque autorité. Liberté et tranquillité dont tous les voyageurs peuvent témoigner. Il n’y a pas d’opposants emprisonnés et, surtout, la majorité des medias (journaux, tv) qui sont aux mains des grandes familles et de l’opposition sont libres de critiquer fortement Daniel Ortega ou Rosario Murillo, son épouse.
 
Ce que l’observateur retiendra donc, c’est, d’un côté, une campagne médiatique insensée contre le gouvernement sandiniste; et de l’autre, une réalité en mouvement, qui donne espoir. Ne faudrait-il pas avoir le courage de demander des explications, voire des comptes, à la coopération des pays européens (dont la Suisse) et aux ONG grandes ou petites (dont les ONG suisses) elles qui véhiculent cette campagne de désinformation?
 
Gouverner autrement demain?
 
Attitudes autoritaires et personnalistes, arrangements politiques à visée électorale, peu de changements encore quant aux grandes options économiques: les choses ont-elles si peu changé? Il est vrai que le pays respecte, année après année, les accords imposés par le FMI, au grand soulagement de l’oligarchie traditionnelle et de la nouvelle bourgeoisie sandiniste. Mais, sans majorité sociale qui lui donnerait une légitimité à la fois politique et populaire (enjeu des élections de fin 2011), il est impossible d’entreprendre les grandes réformes structurelles qui pourraient changer le système.
 
Le principal point faible aujourd’hui est à mettre au compte d’un déficit idéologique important, après toutes ces années de néolibéralisme. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une limite du gouvernement, mais bien du FSLN, du sandinisme. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on retrouve l’allant collectif pour construire des campagnes d’idées, pour mener des débats de fond permettant la conscientisation du plus grand nombre sur des thèmes d’intérêt collectif.
 
Le gouvernement sandiniste a ses contradictions, mais il a mis les intérêts du peuple au centre de ses priorités et il bataille ferme pour concrétiser à nouveau un projet sandiniste social pour lequel ont donné leur vie des milliers de Nicaraguayens/ennes. Personne ne pourra nier non plus qu’il est, en ce sens, et de loin, le meilleur gouvernement qu’ait eu le Nicaragua depuis 1990.
 
L’ALBA à l’horizon
Au niveau de la politique extérieure, le Nicaragua a repris naturellement sa souveraineté et sa dignité, dès la prise de pouvoir sandiniste de janvier 2007. Daniel Ortega est devenu la figure de proue centre américaine quant à l’intégration latino- et centraméricaine. L’adhésion à l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques) a redonné sens à la politique extérieure et a permis de résoudre la grave crise énergétique (il y avait des coupures de courant qui pouvaient durer 8 heures par jour), grâce à l’accord sur le pétrole solidaire passé avec le Venezuela. En échange, cette année, le Venezuela est devenu le deuxième pays d’exportation des produits nicaraguayens, après les USA.
 
Le Brésil et le Nicaragua ont été les acteurs principaux de l’unité latino-américaine, tout au long de la crise hondurienne suivant le coup d’état de juin 2009. Pragmatiques et solidaires, Lula et Ortega ont pu soutenir Manuel Mel Zelaya et le Front de Résistance; ils ont aussi réussi l’unité latino américaine rendant illégitime l’élection de Lobo. Ils imposeront des négociations incluant le retour de Mel Zelaya et la fin de la répression pour mettre fin à l’isolement du Honduras. Bref, cette politique pragmatique et solidaire a réussi, et un coup d’Etat en Amérique latine est désormais impensable pour longtemps.
 
 (1) Certains analystes parlent de fable à propos de la prétendue fraude électorale. Mauvaise perdante lors des élections municipales de 2008, une partie de l’opposition, derrière Montealegre et le MRS, a réussi à propager sa version des élections truquées dans environ 30 municipalités sur 153, dont Managua. Mais elle n’a jamais apporté la documentation et les preuves de cette fraude devant les autorités compétentes où sont représentés tous les partis politiques qui ont participé aux élections.
 
(2) Une vingtaine de hauts magistrats sont arrivés au terme de leur mandat. Le parlement étant bloqué, il ne pouvait pas renouveler leurs mandats ou réélire ces magistrats. L’exécutif a donc dû publier d’abord un décret pour prolonger ces mandats, jusqu‘à l’élection de nouvelles autorités, pour permettre le fonctionnement de ces institution. Simple bon sens de fonctionnement démocratique qui aurait été salué comme tel dans tout autre pays.
 

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