Le Tchad et son pétrole. Quelle place dans la nouvelle géopolitique énergétique internationale du début du XXIème siècle ?

La nouvelle mondialisation économique post-guerre froide a plusieurs conséquences. Notons parmi elles la course, voire la guerre feutrée, que se livrent depuis les puissances industrielles pour contrôler les régions productrices et/ou regorgeant les matières premières stratégiques indispensables pour leurs économies d’une part. Et de l’autre la guerre pour contrôler et/sécuriser les routes qui en permettent l’acheminement. C’est dans ce dernier contexte que se comprends ainsi la guerre militaire (quoique asymétrique) que des marines militaires occidentales ont entrepris depuis décembre 2008 contre les pirates somaliens aux larges des côtes de l’Etat effondré somalien et particulièrement à l’entrée du golfe d’Aden. Où ils attaquent régulièrement depuis quelques temps les navires commerciaux empruntant ces eaux.

Ouvrons la parenthèse pour rappeler que cette mobilisation militaire occidentale contre les pirates a émergé après l’opération aéronavale française de mi-2008, après que deux navires français furent capturés, contre des pirates jusqu’en terres somaliennes. Où une dizaine des pirates du jour furent arrêtés et transférés en France pour être jugés. Une partie de la rançon qu’ils avaient empochée ayant été aussi reprise par les forces spéciales françaises qui étaient mobilisés dans l’opération. Cette mobilisation est devenue internationale car une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies autorise depuis novembre 2008 la répression militaire des pirates somaliens sur mer et sur terre, avec l’autorisation et la collaboration de l’Etat somalien qui dans la réalité n’existe plus depuis la fin des années 1980. Un consensuel international qui s’est dégagé après l’enlèvement successif le 24 septembre 2008 du cargo ukrainien Faïna qui transportait des armes et munitions (dont 33 tanks T-72) vers le Kenya. Une rançon de 20 millions était alors exigée par les flibustiers de mer somaliens. Puis vint la capture le 15 novembre 2008 du supertanker pétrolier saoudien Sirius Star, avec 25 hommes d’équipages, qui valait plus de 150 millions de dollars et transportait une cargaison valant plus de 100 millions. Pour cette dernière prise les pirates exigeaient une rançon de 25 millions[1]. A la fin de l’année 2008, il était estimé que les pirates somaliens détenaient au moins 15 bateaux étrangers et plus de 200 personnes d’équipages. Insécurisant le commerce international entre l’Occident et l’Asie utilisant cette route maritime, les pirates somaliens s’invitaient dans et élargissaient progressivement peut-être le cercle des acteurs combattus dans la « guerre sans limites » contre le « terrorisme ». Acteurs dont jusque là l’épicentre immédiat était encore limité à l’Irak, l’Afghanistan et les régions (dites) tribales pakistanaises. Fermons la parenthèse.

Les métaux et autres minerais rares, les ressources énergétiques notamment l’uranium et les hydrocarbures deviennent ainsi les enjeux d’âpres rivalités entre puissances industrielles installées d’Occident (USA, Grande Bretagne, France, Allemagne…), les nouvelles puissances industrielles émergentes (Russie, Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud….), mais aussi les pays en voie de développement relativement industrialisés et/ou à croissance économique soutenue. A ce propos il ne serait que pur aveuglement, dans un contexte où les stocks de ces ressources n’augmentent pas quotidiennement, d’ignorer que des pays ayant suffisamment des ressources financières et en quête d’équipements (les riches pays du golfe arabo-persique ou du sud-est asiatique par exemple, mais aussi d’autres pays qu’on peut identifier sur tous les continents si l’on se donne cette peine) sont aussi en compétition sur les marchés pour acquérir les mêmes ressources stratégiques convoitées par les économies industrialisées.
S’agissant des hydrocarbures, il s’observe que la sécurisation des approvisionnements en cette ressource stratégique a conduit les pays industrialisés d’élaborer des nouvelles stratégies pétrolières pour réduire leurs dépendances vis-à-vis du Moyen-Orient particulièrement après le 11 septembre 2001. Les principales puissances occidentales sous la bannière américaine n’y mènent-elles pas depuis une guerre contre le « terrorisme » al-quaïdiste ?

Des pays non moyen-orientaux producteurs du pétrole deviennent donc plus importants dans ces stratégies. C’est le cas des pays africains producteurs du pétrole qu’ils soient de l’Afrique du Nord (Libye, Algérie) ou du golfe de Guinée (Angola, Cameroun, Nigeria). Cette dernière sous-région est jugée par les stratèges géo-économiques occidentaux comme moins dangereuse car l’Occident n’y ferait pas l’objet de vives contestations et rejets. Comme c’est actuellement le cas dans les pays arabo-musulmans pétroliers. Même si ces contestations et rejets sont le fait des franges minoritaires mais radicales qui manipulent des références religieuses islamiques pour tenter de se construire un corpus idéologique.

Tout ce qui précède nous donne alors une idée sur l’importance stratégique que revêtirait pour les économies industrialisées un pays comme le Tchad qui est devenu un nouveau producteur pétrolier africain depuis le milieu des années 1990. Une décennie après l’entrée de ce pays dans le cartel fermé des pays producteurs du pétrole, force a été de constater que les évolutions et les conséquences induites par ce nouveau statut d’Etat pétrolier pour le Tchad et ses populations restent peu ou pas du tout documentées. Des questions essentielles restaient sans réponse pour les observateurs extérieurs. Ainsi les investissements pétroliers étrangers essentiellement occidentaux ont-ils amorcé une croissance économique durable du Tchad ? Dans quelle mesure ont-ils permis l’émergence d’un processus de développement ? C’est-à-dire, l’émergence des nouvelles conditions économiques, sociales et environnementales, mais aussi politiques et culturelles, qui permettent l’amélioration des conditions de vie des populations[2] tchadiennes ? Quels ont été les impacts et les coûts (sociaux et humains, économiques, environnementaux…) des changements sociaux qui ont été induits ou imposés dans le sillage de cette nouvelle donne ?
Autant des questions sur lesquelles un total déficit d’informations persistait si l’on excluait les quelques articles de presse qui sont parus lors des dernières controverses et conflits qui avaient opposé dès 2004 la Banque Mondiale et le gouvernement tchadien du président Idriss Déby Etno. Conflits qui portèrent sur l’utilisation ou non par le gouvernement tchadien des revenus pétroliers tchadiens bloqués par cette banque dans des banques occidentales pour le compte supposé des générations futures tchadiennes. Comme si désormais la Banque Mondiale se substituait, par la force et sans aucune légitimité (ce qui serait du néocolonialisme), à l’Etat tchadien s’agissant de la responsabilité de ce dernier à produire et à gérer le développement de son pays et de ses citoyens et habitants. Ces conflits se soldèrent ainsi le 11 janvier 2006 par la suspension par la Banque Mondiale de ses prêts au Tchad après qu’il ait adopté une loi supprimant l’affectation des revenus pétroliers à la « lutte contre la pauvreté », comme cela était entendu dans l’accord signé en 1999 avec l’entreprise américaine Exxon Mobil, maîtresse de l’exploitation pétrolière au Tchad[3]. En réalité le gouvernement tchadien affectait une partie de ces revenus à l’équipement de ses forces armées dans un contexte où le pays était menacé par 6 rebellions simultanées soutenues depuis le Darfour par le Soudan. Et était aussi en arrière fonds la Chine qui depuis ce pays lorgnait sur le pétrole tchadien et entendait pousser sa nouvelle avancée africaine en damant le pion à la France dans son ex-colonie. La sécurité et la stabilité politique comme dimensions du développement tchadien n’auraient donc pas été privilégiées par la Banque Mondiale. Pourquoi ?
C’est à ce déficit d’informations et de connaissances sur ce sujet que veut pallier, tant soit peu, le livre L’impact du projet pétrole sur la vie des populations locales de la Zone. Le cas du village de Kagpal (Tchad),que vient de publier Monsieur Zorrino Haroun, dans la collection études du développement aux Editions Publibook Université à Paris. Cet essai socio-économique a été réalisé surtout grâce à la démarche qualitative (enquête, entretiens). Il nous permet de prendre connaissance non seulement d’une facette de l’histoire mais aussi de la sociologie de l’actuelle ère pétrolière au Tchad. L’auteur du livre s’est particulièrement mis à l’écoute des groupes d’acteurs (associations, personnalités, collectifs paysans) engagés dès le début dans la défense des populations locales[4] touchées directement par le « Projet Pétrole Tchad-Cameroun »[5].

Cette écoute permet alors d’interroger de manière critique les transformations et les défis politiques, économiques, sociaux et environnementaux auxquels la société tchadienne est confrontée en s’engageant dans une nouvelle économie pétrolière. Et dont la maîtrise dépendra, ce qui se dégage à l’issue de cette analyse, durablement en partie d’au moins 3 facteurs conjugués en synergies. Primo, l’émergence et le renforcement dans la société politique tchadienne non pas seulement d’une « bonne gouvernance » mais surtout d’un bon gouvernement démocratique. Secundo, l’éveil constant de l’éveil des acteurs de la société civile tchadienne acquis à la démocratie et à un meilleur et équitable bénéfice pour toutes les populations tchadiennes des profits provenant des ressources pétrolières. Tertio, le travail en synergies avec les autorités publiques tchadiennes pour dégager toujours un consensus tchadien minimal mais solide vis-à-vis des intervenants extérieurs sur les dossiers pétroliers. Car le Tchad serait appelé à devenir encore un plus grand producteur pétrolier si l’on en croit les données fournies par ce livre. Données parmi lesquelles des cartes (longtemps tenues secrets) des gisements pétroliers confirmés. Des cartes qui ont été établies par différentes entreprises de prospection pétrolière. Des cartes qui montrent que les Tchadiens du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest ne vivent pas que d’un territoire à moitié désertique. Mais que ce territoire est une véritable galette pétrolière. Il était déjà l’enjeu des convoitises extérieures y compris d’un pays voisin comme la Libye jusqu’à la fin des années 1980, quand ce pays subira une défaite militaire cuisante dans la bande tchadienne d’Aouzou qu’il entendait annexer pour exploiter ses gisements pétroliers.

Pour comprendre non seulement les transformations internes au Tchad, à la faveur de sa propulsion dans la planète pétrole, mais aussi les enjeux internationaux auxquels désormais il fait face, la lecture de ce livre écrit dans un style aisé et précis ne peut qu’être très utile.

[1]Cfr. Manon Quérouil et Véronique de Viguerie, « Somalie. Dans l’antre des pirates », in : L’Hebdo, 27 novembre 2008, Lausanne, p.19-24 ; Jean-Hébert Armangaud, « Les pirates somaliens multiplient le montant des rançons », in : Le Courrier, jeudi 18 décembre 2008, Genève, p.9 ; Olivier Grivat, « Il ne reste que six marins de nationalité helvétique à bord. La marine suisse en eaux agitées », in : Le Courrier, jeudi 22 janvier 2009, Genève, p.11 ; Tanguy Verhoosel, « L’UE ne veut pas des sous mais des soldats », in : Le Courrier, mardi 27 janvier 2009, Genève, p.5.

[2]Olivier Nay (sous la direction de), 2008, « Développement », in : Olivier Nay (sous la direction de), Lexique de science politique. Vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, p.140-141.

[3]Cfr. aussi Serge Michel et Michel Beuret, 2008, La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent noir, Paris, Editions Grasset, p.221-235.

[4]Ces populations étaient en majorité rurales et analphabètes. Elles étaient donc vulnérables car ne possédant pas les outils intellectuels ni la proximité géographique avec les décideurs politiques ou économiques nationaux ou étrangers (Banque Mondiale, multinationales du pétrole) qui à travers l’exploitation pétrolière en scellaient à différents niveaux une partie de leur avenir.

[5]Ainsi s’appelle le projet industriel réalisé par un consortium des multinationales pétrolières sous la bannière de l’américaine Exxon Mobil. Les champs pétroliers sont dans le sud tchadien. Leur production est transportée par des pipelines traversant le Cameroun jusqu’au port de Kribi où les tankers viennent prendre livraison du brut. Une tension existe entre le Tchad et le Cameroun, car le Tchad estime avoir moins des royalties que le Cameroun où ne fait que transiter sa production. Jules Bagalwa

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