L’Equateur au centre de l’actualité politique

La mobilisation sociale explosive qui vient de se dérouler dans les rues de Quito, capitale de cet Etat sud-américain – avec une population d’un peu plus de 13 millions d’habitants et classé à l’indice 97 sur l’échelle du développement humain de l’ONU – a contraint le président Lucio Gutiérrez à démissionner, le lendemain, le mercredi 20 avril 2005.
 
A l’exemple du président argentin Fernando De La Rua, fin 2001, ou plus récemment du président bolivien Sánchez de Lozada, Gutiérrez s’est échappé du palais présidentiel en hélicoptère, par la petite porte, dans un climat de protestation et d’insurrection impossible à contenir.
 
Cette démission accélérée du colonel devenu politicien n’est pourtant pas une surprise. Il y a un peu plus de 3 mois, le 16 janier 2005, 200.000 personnes avaient manifesté dans les rues de la capitale pour rejeter les visées « dictatoriales » de Gutiérrez, son plan de gouvernement et exiger une gestion vraiment démocratique. Un avertissement clair lancé par le mouvement social équatorien.
 
En même temps, la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur, la puissante CONAIE, avait lancé un processus de manifestations, avec 3 axes: empêcher les nouvelles privatisations prévues par le gouvernement, rejeter le « Plan Colombie » et s’opposer ouvertement à l’adhésion de l’Equateur au Traité de libre commerce (1), exigée par les USA.
A la lumière de l’histoire récente de ce pays andin, on peut relever deux éléments d’interprétation essentielle non seulement pour l’Equateur, mais pour toute l’Amérique latine.
 
Premièrement, la réalité géopolitique continentale vit un moment important, comme on ne l’avait jamais vu depuis les années 60, avec des gouvernements clairement opposés à Washington: Cuba et le Vénézuela; avec des gouvernements qui mènent leur propre politique internationale: l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil. Ils défendent le droit à un développement continental (par exemple, dans le cadre du MERCOSUR), avec une meilleure marge de manœuvre face aux USA. Washington estime que ce rapport de force lui est peu favorable et tente de contre-attaquer en renforçant son propre axe d’alliés inconditionnels, avec pour épicentre la Colombie et les pays andins (où l’Equateur, gouverné par Gutiérrez, occupait une place-clé).
Cette politique irrite au plus haut point les mouvements sociaux de la régions qui réagissent à ces politiques économiques étouffantes, aux tentatives de faire avancer le néo-libéralisme et les privatisations. Il faut rappeler que l’un des principaux reproches faits à Gutiérrez, de la part des mouvements populaires, était sa servilité totale envers Washington, après qu’il se soit défini publiquement comme « le meilleur allié de Bush ».
 
 L’autre élément clé pour comprendre la réaction populaire équatorienne (et l’actuelle crise de pouvoir) est la situation géo-militaire régionale. Comme le signalait le commentateur équatorien René Baéz, « Gutiérrez a mis le pays à deux doigts d’une déclaration de guerre totale aux insurgés colombiens (3) ». Le « Plan patriote » – révélé en juin dernier – est l’offensive la plus ambitieuse contre la guérilla colombienne. Il s’agit d’une opération qui implique 17.000 soldats et couvre une surface de 260.000 km2 au sud de la Colombie, où l’on note une présence importante des FARC. Ce plan est complété par l’Initiative régionale andine (Equateur, Pérou, Bolivie et Panama) qui cherche à blinder militairement les frontières de ces pays avec la Colombie. Une seule étincelle peut faire exploser toute la région en l’espace d’une seconde.
 
« Nous exigeons que notre pays suspende les négociations du TLC avec les USA, ferme la base militaire de Manta (cédée par l’Equateur aux forces armées étatsuniennes) et refuse de s’impliquer dans le plan Colombie, financé par Washington et dirigée contre la guérilla, sous prétexte de lutte contre le trafic de drogue », a déclaré Luis Macas, dirigeant de la CONAIE, il y a quelques heures.
 
Derrière la crise équatorienne, un mouvement social intuitif et actif, qui ne supporte plus les ajustements structurels néo-libéraux et qui ne veut pas de la transformation du pays en chair à canon d’une guerre régionale. Même si tout reste ouvert et que la crise ne soit pas totalement terminée, des millions d’Equatoriens écoeurés revendiquaient la démission du président aux cris de « Que Lucio s’en aille ! ».
 
Sergio Ferrari
Trad. H.P.Renk, collaboration service de presse  E-CHANGER
 
 
1) les opposants à ce traité relèvent que ses initiales, TLC (= Tratado de libro comercio) correspondent bien plus au concept de « Total locura capitalista » (Folie capitaliste totale)…
2) L’ex-président équatorien (qui ne l’était pas encore) avait participé au 1er Forum social mondial de Porto Alegre en 2001. A cette époque, les médias le comparaient au président vénézuelien Hugo Chávez, dont l’évolution se situe au rebours de celle (parfaitement calamiteuse) de Gutiérrez…
3) les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC-EP) et l’Armée de libération nationale (ELN).
 

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