Les élections brésiliennes et les perspectives de changements sociaux

Lorsqu’en 2002 Luiz Inácio Lula da Silva a été élu comme premier président brésilien d’origine véritablement populaire, les vieilles oligarchies politiques se sont consolées en disant : “C’est bien que Lula et son parti des travailleurs (PT) gagnent une fois les élections afin qu’ils échouent une fois pour toute, et nous rendent la tranquillité pour diriger le pays” 
Huit ans plus tard, seulement 3% de la population brésilienne évalue le Gouvernement comme “mauvais” ou “nul” et plus de 80% le considère comme “bon” ou “très bon”.  De plus, toutes les enquêtes électorales donnent à la  candidate du PT pour la présidentielle, Dilma Rousseff, coordinatrice politique du gouvernement Lula durant les six dernières années, pratiquement le double des intentions de vote qu’au candidat de l’opposition, José Serra, du parti de la démocratie sociale brésilienne – PSDB, qui a déjà été évincé en 2002 par Lula. La probabilité est importante que Dilma dépasse le processus électoral déjà au premier tour des élections le 3 octobre.
 
Au contraire des autres présidents élus récemment, Lula a commencé son premier mandat avec un indice de popularité relativement bas. Fidèle à son raisonnement oligarchique et élitiste, la presse brésilienne n’a accordé aucun jour de trêve au nouveau gouvernement. De plus, si la spécificité de la société brésilienne est l’inégalité, il est important de savoir qu’elle ne s’exprime pas seulement dans la distribution des revenus ou l’accès à la propriété de la terre. Le secteur qui subit le plus de concentration et de monopole est sans aucun doute la propriété des moyens de communication. Les vagues de dénonciation contre le gouvernement se sont succédées et les attaques frontales n’ont pas cessé. Malgré tout, Lula a résisté. De plus, il a réussi à se faire réélire en 2006 et arrive à la fin de son gouvernement avec un appui populaire jamais vu auparavant dans l’histoire du Brésil.
 
Il est clair que Lula est un excellent négociateur avec un flair politique extraordinaire.  Il est un leader charismatique qui sait communiquer avec le peuple. Il a négocié des quotas de pouvoir avec les partis traditionnellement infiltrés par la corruption et par l’usage corporatiste du pouvoir. Tout cela est vrai, mais pas suffisant pour expliquer l’impressionnante facilité qu’a Lula de garantir les intentions de votes et la continuité de son gouvernement même si, pour la première fois depuis la fin de la dictature militaire, il ne soit pas lui même candidat au poste de Président de la République. Sans aucun doute quelque chose d’important s’est produit durant les huit dernières années.
 
La clef d’interprétation de l’actuelle conjoncture brésilienne se trouve dans la perception, par la masse populaire,  de l’amélioration indéniable de ses conditions de vie. Alors que le consensus hégémonique durant le Gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (prédécesseur de Lula, de 1995 à 2002, du même parti PSDB que José Serra, l’actuel candidat de l’opposition) tournait exclusivement autour de la stabilité monétaire et de la réduction de l’implication étatique, Lula a débuté la transition par un consensus. Celui-ci n’attendait pas la distribution des revenus comme résultat mécanique de la stabilité monétaire, mais confiait à l’Etat la fonction essentielle d’induire le développement comme activité distributrice de revenu.
 
Un exemple de cette transition est le programme “Bourse familiale” qui concerne actuellement 40 millions de personnes afin de leur assurer une rente minimale de 95 Reais en moyenne (correspondant à un peu plus de 40€). En parallèle, Lula a déterminé une augmentation systématique du salaire minimum, supérieur à l’inflation en consolidant le “Système unique d’assistance sociale” qui tend vers l’universalisation de l’accès aux services sociaux. Il a rendu opérationnel le premier projet de loi d’une initiative populaire, présenté au début des années nonante par le collectif des mouvements populaire urbains, qui exigeait la création d’un fond national d’encouragements à la construction d’habitations populaires.
 
Dans le fond, Lula a accompli l’essentiel. Il a rompu avec le consensus néolibéral et a mis en priorité l’augmentation des droits sociaux et l’extension accélérée du marché interne. Ainsi, non seulement il a réussi à réduire les inégalités sociales, mais il a dépassé la stagnation économique et a blindé le Brésil contre la crise actuelle globale du capitalisme. Avec une impressionnante habileté politique, Lula a réalisé les actions du gouvernement avec le potentiel existant au Brésil. De même sur un plan extérieur, il a enterré l’”Aire de libre commerce des Amériques – ALCA”. Il a dépassé l’importante dépendance du commerce avec les Etats Unis et a fortifié l’intégration régionale latino-américaine.
 
La réalité sociale brésilienne a commencé à changer. Pour cette raison, Dilma Rousseff est en train de gagner les élections.  Jusque là, le processus de changement initié s’est appuyé sur le potentiel compensatoire existant et n’a utilisé aucune réforme structurelle, ni agraire, ni judiciaire, ni politique. Ce dilemme politique brésilien, qui coïncide avec d’autres réalités latino-américaines, est démontré clairement par les mouvements sociaux les plus actifs, parmi eux, le Mouvement des Sans Terre – MST. Dans leur perspective, les réformes structurelles s’effectueront seulement si la mobilisation populaire fait pression sur l’état. La transformation sociale ne peut pas être assurée uniquement par la voie électorale. Elle exige des mouvements sociaux forts et une société civile mobilisée, consciente et capable de proposer un nouveau projet pour le Brésil.
 
 
Beat Tuto Wehrle, secrétaire général E-CHANGER
Traduction Isabelle Plomb
 
 

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