ONU: Les jeunes portent leurs revendications sur la scène internationale

Les enfants et les jeunes étaient non seulement présents, mais particulièrement actifs dans les festivités organisées autour des 30 ans de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE). 

Il y a deux ans, Terre des Hommes Suisse initiait des actions pour fêter dignement le 30e anniversaire de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE). Durant des mois, sur le terrain comme en Suisse, les équipes partenaires et les jeunes se sont préparés pour récolter les avis des enfants. Enfin du 14 au 26 novembre, sept membres du Conseil international des jeunes de Terre des Hommes Suisse sont venus témoigner auprès de la communauté locale et internationale, avec comme point d’orgue le mercredi 20 novembre 2019 à l’ONU et sur la place des Nations à Genève. 

Ce Conseil international réunit 16 jeunes défenseurs des droits de l’enfant issus de différentes régions du monde. Ils sont bénéficiaires des projets menés par les associations partenaires de Terre des Hommes Suisse sur le terrain au Brésil, en Colombie, en Inde, au Pérou et Sénégal. Âgés de 17 à 25 ans, ils ont été élus par leurs pairs pour partager expériences et expertises, et développer leurs propres projets en réponse aux problèmes locaux. En Suisse, quatre jeunes engagés ont été associés. L’idée de ce Conseil est née en 2018 dans le but de valoriser et de soutenir les jeunes acteurs du changement.


Le Conseil international des jeunes de TdH

© TdH / Souad von AllmenLe Conseil international des jeunes de TdH

Participation active des jeunes aux Nations Unies
Les revendications des enfants et des jeunes de leur pays ont notamment été transmises durant les trois jours de conférences – du 18 au 20 novembre – au palais des Nations, siège européen des Nations Unies. Cette conférence avait comme double objectif d’établir une synthèse des 30 années écoulées pour voir quelles leçons en tirer, et de réfléchir à la façon de poursuivre le processus. Car si la CDE a eu des impacts fondamentaux pour améliorer le respect des droits de l’enfant dans le monde, il reste encore beaucoup à faire! 

“La participation des enfants n’est pas un luxe, mais une nécessité!” a rappelé Najat Maalla M’jid, représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question de la violence à l’encontre des enfants, lors de la table ronde sur la participation des enfants. En effet, pour la première fois une trentaine de jeunes étaient invités à cette conférence. « Cette participation n’est pas un one shot, car elle consiste à consulter, écouter, restituer, informer, c’est un processus qui peut débuter dès la petite enfance.” De cette table ronde est ressorti également le fait que les jeunes n’ont plus confiance dans les politiques et les organismes internationaux, mais s’engagent par d’autres biais comme les réseaux sociaux. 

Pour D*: “Tout devrait commencer au sein de la famille. Les adultes devraient réfléchir à l’éducation qu’ils donnent. La surprotection empêche la participation des jeunes, c’est une sorte de rideau qui protège les peurs des parents, mais nous, les jeunes, nous n’avons pas peur. S’il vous plaît, ne construisez pas des barrières autour des jeunes, mais des plateformes!” 

Tous les intervenants, quels que soient leur fonction, leur âge ou leur pays d’origine, s’accordent sur l’aspect fondamental de la participation, également comme moyen de favoriser d’autres droits. La compréhension de la notion de participation a évolué: elle n’est plus simplement consultative, il est désormais acquis qu’elle doit être au cœur de chaque loi, de chaque acte. Elle doit être pertinente, respectueuse et responsable, et concerner tous les enfants. 

En fin de discussion, Washington, 17 ans, membre péruvien du conseil international des jeunes de Terre des Hommes Suisse, s’avance vers le pupitre sous une salve d’applaudissements: il rappelle l’importance du droit à l’alimentation, à la protection et à la famille, et donne des exemples d’initiatives menées par des enfants dans les Andes : « Je fais partie d’un groupe de reporters radio, nous diffusons des émissions chaque semaine dans plusieurs provinces de Cusco. Nous y donnons notre opinion sur ce qui se passe dans la communauté et dans le pays. Nous prenons des photos et informons sur nos droits et notre réalité.” Il présente des photographies en grand format, récemment exposées à la 40e Assemblée de l’UNESCO à Paris. “Ces photos cherchent à faire reconnaître les efforts de nos parents pour extraire la nourriture de la terre à plus de 3800 mètres d’altitude. Pour nous, leurs enfants. Je ne sais pas s’ils savent que la pomme de terre est une culture que le Pérou a transmis au monde.”


La photo, un des moyens pour revendiquer ses droits

© TdH / La photo, un des moyens pour revendiquer ses droits

Témoignages d’Inde, du Sénégal, de Colombie
C’est notamment lors du groupe de travail sur la migration que s’exprime à la table Jui, 24 ans, membre indienne du conseil international des jeunes de Terre des Hommes Suisse. “Dans les villages dont je m’occupe vivent environ 5700 familles… et 70% d’entre elles migrent régulièrement vers le Népal pour chercher du travail temporaire. Les enfants sont alors obligés de suivre et donc de quitter l’école. Sur le lieu de destination, ils ne peuvent intégrer les classes car ils ne parlent pas la langue. Et quand ils rentrent en Inde, ils ne peuvent plus être scolarisés. Les filles, alors, restent chez elles ou deviennent employées domestiques. Parfois les enfants migrent seuls. Ils sont victimes d’exploitation, payés moins que ce qu’ils devraient. Les usines qui recrutent des enfants de moins de 18 ans les cachent en cas d’inspection du travail et les logements ne correspondent pas aux normes d’hygiène minimum.” La pauvreté, les changements climatiques et les conflits sont trois éléments qui entraînent les enfants sur les routes de la migration. L’association Smokus dont Jui fait partie, partenaire de Terre des Hommes Suisse sur le terrain, sensibilise les jeunes aux dangers de la migration, et met l’accent sur l’importance de l’éducation et de la formation. “Si chaque enfant voit ses droits respectés, l’avenir sera meilleur pour tous.” 


Droits à l'éducation pour les enfants en situation de migration

© TdH / Droits à l’éducation pour les enfants en situation de migration

Les jeunes témoignent, mais sont aussi force de proposition. “Au Sénégal, signale Ibrahima, il faudrait installer des bureaux d’état civil pour que tous les enfants soient enregistrés, même si leurs parents ne le sont pas. Tout enfant a droit à une identité, l’inscription à l’état-civil est indispensable, c’est une base pour les autres droits! Et tout enfant a droit au loisir.” 


Droit à une identité et droit aux loisirs!

© TdH / Droit à une identité et droit aux loisirs!

Et Sokhna d’ajouter: “Beaucoup d’enfants vivant dans la banlieue de Dakar et dans les villages ne vont pas à l’école parce qu’ils n’ont pas de pièce d’état civil. Malgré la loi interdisant le châtiment corporel à l’école, la punition par le bâton est fréquemment utilisée par les enseignants. Cette situation traumatise les enfants et la plupart d’entre eux finissent par abandonner l’école. Enfin un nombre important d’enfants n’ont pas encore la possibilité d’exprimer leur opinion pour une meilleure prise en compte de leurs droits. Pour stopper tous ces problèmes, nous recommandons l’installation de bureaux d’état civil dans toutes les structures santé du Sénégal pour faciliter l’enregistrement automatique des enfants à la naissance; de former les enseignants sur des alternatives pour promouvoir la pédagogie douce et d’installer des espaces de participation partout dans le pays à l’image du modèle utilisé par Eden, partenaire de Terre des Hommes Suisse. Ils permettent aux enfants de bénéficier de formations sur leur droit, la participation et l’autoprotection. Cela pourra servir de base pour la mise en place du parlement national des enfants qui pourra quant à lui influencer les politiques publiques notamment la Stratégie Nationale de la protection de l’enfance.” 


Une pièce d'état civil: la base pour tous les droits

© TdH / Une pièce d’état civil: la base pour tous les droits

Les participant-e-s ont vécu des moments forts comme celui où D*, 25 ans, termine sa prise de parole par: “Nous ne devons pas oublier une chose: pendant cette célébration, des enfants souffrent, et même meurent. J’aimerais vous poser une question: lorsque vous quitterez cette salle, quelle est la première chose que vous ferez, en tant qu’ONG mais aussi en tant qu’être humain? Bonne chance pour trouver la réponse!” 

Les questions de sécurité et d’environnement à l’ordre du jour
Lors de la session sur les enfants défenseurs des droits humains, Michel Forst, rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, intervient: “Les enfants défenseurs sont actifs, ils défendent leurs droits et ceux des autres, mais on ne les écoute pas assez. Ils risquent la menace, la torture, la disparition… À l’heure actuelle, les mécanismes de protection ne sont pas prévus pour eux. Les enfants sont souvent invisibles, rarement invités aux conférences ou aux réunions, souvent pour des problèmes logistiques ou de sécurité.” 

La session sur le passé, le présent et le futur des droits environnementaux des enfants, organisée par Terre des Hommes Allemagne, a donné l’occasion de rappeler que la CDE fait référence explicitement à l’environnement. 

Pour Reshma, du Conseil international des jeunes de Terre des Hommes Suisse en Inde, “on ne peut pas séparer les droits de l’enfant et l’environnement. La plupart des gens utilisent les ressources naturelles sans penser aux générations futures. Beaucoup d’usines polluent sans prendre aucune mesure. Les jeunes doivent être acteurs de changement et s’occuper de la sécurité de l’environnement. En tant qu’êtres humains, nous devons changer nos pratiques.” 


Nous sommes les acteurs de changement de demain

© TdH / Nous sommes les acteurs de changement de demain

“Au Brésil, des forêts sont rasées, les eaux sont polluées par des pesticides. Le gouvernement actuel a libéré des centaines de pesticides qui avaient été interdits. La nature peut subvenir à tous les besoins, sauf la cupidité. Si chacun ne consommait que ce dont il a besoin, il n’y aurait pas de faim dans le monde!” s’exclame Dieuzene, membre brésilienne du Conseil international des jeunes. 


Consommons uniquement ce dont nous avons besoin!

© TdH / Consommons uniquement ce dont nous avons besoin!

Un hackathon organisé par Terre des Hommes Suisse a permis aux participants, s’intégrant dans différents groupes durant 20 à 30 minutes, de discuter par exemple sur les comités de quartier ou sur leurs actions (conférences de presse, campagnes de sensibilisation, plaidoyer, formations aux droits de l’enfant. Une discussion s’engage sur la responsabilité et la maturité des enfants.

Les adultes s’engagent à tenir compte des propositions
Lors de la cérémonie officielle de clôture, Philip Jaffé, membre suisse du Comité des droits de l’enfant rappelle qu’”il y a 5 ans, nous parlions d’une révolution silencieuse. Aujourd’hui, c’est une révolution que l’on entend. La conférence a essayé d’intégrer les enfants. Ce n’est sans doute pas encore assez, mais nous ferons de mieux en mieux.” 

Et Michèle Bachelet, Haut-commissaire aux droits de l’homme, de préciser: “Sur le terrain, dans chaque pays, il faut que les enfants puissent faire entendre leur voix. Il y a encore beaucoup de mesures à prendre, dans les parlements de jeunes, les écoles, les conseils municipaux. Au fil des anniversaires, l’engagement progresse, même si nous n’avons pas encore atteint l’objectif ultime. Je garantis que nous tiendrons compte de toutes les propositions qui nous sont faites.”  

A cette occasion, les jeunes se sont mis d’accord pour prendre la parole, davantage que ce qui était prévu au départ. Leurs revendications in-extenso ci-dessous:

Messages clés transmis aux Etats et la société civile à l’issue des deux jours de Conférence à l’occasion de l’anniversaire des 30 ans de la Convention relative aux droits de l’enfant. Palais des Nations, Genève, 19-21 novembre 2019
Recommandations finales des enfants et des jeunes lues notamment par Deuzène, Ibrahima et Washington.

1. Nous, les enfants et les jeunes, nous recommandons aux États d’assurer l’accès à une éducation de qualité pour tous les enfants, filles et garçons sur un pied d’égalité, sans discrimination d’aucun type et jusqu’à l’âge de 18 ans. L’éducation doit être gratuite, publique, inclusive, égalitaire, libératrice, ainsi que permettre le développement de la pensée critique.  

2. Pour atteindre cet objectif, nous demandons que les organismes internationaux mettent en place un mécanisme efficace pour forcer les États à créer des politiques qui permettent un meilleur investissement public pour la réalisation des droits de l’enfant, en particulier le droit à une éducation de qualité et inclusive pour tous et toutes, sans discrimination d’aucune sorte. Aussi, nous demandons une meilleure garantie de mise en œuvre de code/politique pour l’enfance et la jeunesse en phase avec la Convention des droits de l’enfant.

3. Nous recommandons que les Etats mettent en œuvre des mécanismes appropriés de participation des enfants et des jeunes à tous les niveaux de la société, à travers par exemple la création de parlements d’enfants au niveau national, de clubs/conseil d’enfants au niveau des écoles ou sur le plan communautaire, et de comités d’experts constitués d’enfants jusqu’à l’âge de 18 ans, au niveau international avec un accent sur les filles. Dans le cadre de ce processus, les enfants et les jeunes devraient être traités comme des experts de leurs droits et pas seulement comme des participants ou des invités.  

4. Nous recommandons aux États de créer des mécanismes de protection ou de renforcer les mesures déjà existantes des enfants défenseurs des droits humains et de veiller à ce que le droit de l’enfant à la liberté d’association soit encouragé et respecté.  

5. En ce qui concerne l’environnement, nous voulons que les États et les familles promeuvent l’éducation à l’environnement et sensibilisent tout un chacun à être un consommateur responsable. Les États devraient réglementer les entreprises pour réduire l’impact négatif sur l’environnement afin de respecter le droit des enfants à vivre dans un environnement sain. Nous demandons également que toutes les entreprises s’engagent à respecter les droits de l’enfant.  

6. Nous recommandons que les États veillent à ce que les enfants aient accès à une justice et protection équitable et intégrale et ce, sans aucune discrimination (religion, origine raciale, sexe, orientation sexuelle et langue) avec une approche de genre).  

7. Enfin, nous recommandons que les budgets destinés aux institutions chargées à promouvoir et garantir les droits des enfants soient utilisés de manière transparente. 

D*, Deuziene, Jui, Reshma, Ibrahima, Sokhna et Washington se sont non seulement exprimés lors de ces sessions onusiennes, mais ils ont également témoigné durant leur séjour genevois à de nombreuses autres reprises: lancement en avant-première suisse-romande du film documentaire Demain est à nous, projections à Filmar en America latina, échanges avec des jeunes suisses, rencontres avec des autorités ou des institutions partenaires de Terre des Hommes Suisse. Un programme chargé, intense, passionnant. 

Par Souad von Allmen et Catherine Ojalvo, novembre 2019

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Depuis 30 ans, Terre des Hommes Suisse développe un programme de sensibilisation et d’éducation à la solidarité en Suisse, et vise aussi localement à rendre les jeunes acteurs de changement. Elle considère que le travail d’information, de sensibilisation et d’éducation à la citoyenneté et au développement durable en Suisse est indissociable des programmes de développement menés au Sud. Cette éducation à la citoyenneté touche chaque année plus de 35’000 écoliers, dont 75% des enfants du primaire public genevois. Le département de l’instruction publique de l’État de Genève, ainsi que les départements de l’éducation de plusieurs cantons romands, soutiennent ce programme.   

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