Préoccupée par la situation humanitaire en République Centre Africaine, ACTED – qui est déjà présente dans plusieurs pays frontaliers (RDC, Congo, Tchad, Soudan) – a dépêché deux équipes d’évaluation sur place afin d’évaluer la faisabilité d’une intervention dans ce pays d’Afrique Centrale. Une première mission, conduite en juin 2007, a permis de mieux comprendre la situation actuelle du pays. Une seconde mission terrain, menée en juillet 2007 par le directeur pays ACTED Tchad accompagné d’un ingénieur civil et d’un logisticien, s’est focalisée sur la préfecture de Nana-Gribizi, dans le nord de la Centrafrique. Cette zone a été choisie en raison du nombre élevé de déplacés et d’un manque d’acteurs humanitaires présents sur place. L’étude a permis d’évaluer la situation d’un point de vue humanitaire et d’identifier les principales pistes d’interventions possibles en fonction des besoins des populations et des secteurs d’intervention des intervenants déjà présents sur le terrain.
Indépendante depuis 1960, la République Centre Africaine est un pays de la taille de la France (environ 622 000 km2), peu densément peuplé (aux alentours de 4 millions d’habitants), en plein cœur de l’Afrique Centrale entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan, le Congo et la RDC. Son histoire se caractérise par une instabilité chronique due à des coups d’Etats successifs et à de nombreux affrontements entre factions rebelles rivales et entre groupes rebelles et gouvernement. La dégradation actuelle de la situation en terme de sécurité implique de graves exactions effectuées à l’encontre de la population civile telles qu’exécutions sommaires et destructions systématiques de villages. On estime le nombre de personnes déplacées dans le nord du pays à 250 000 (2/3 à l’intérieur du pays et 1/3 au Tchad et au Cameroun). Globalement, 1 000 000 de personnes sont directement touchées par le conflit.
Les problèmes de sécurité engendrent et s’accompagnent d’une situation socioéconomique critique. Bien que le pays jouisse de nombreuses richesses naturelles, celles-ci ne sont pas convenablement exploitées. L’agriculture, par exemple, représente 55% du PIB mais la faiblesse des infrastructures et du soutien à la production limite très fortement les rendements, largement inférieurs à ceux des pays voisins. De même, l’activité minière (or et diamants), qui pourrait constituer une ressource importante du pays, est rongée par la contrebande. Quant au tissu industriel, qui n’a jamais été très développé par rapport aux pays voisins, il a souffert des troubles militaires et politiques successifs, et est aujourd’hui quasiment inexistant. Par ailleurs, le poids important de la dette, qui rend la gestion de l’État difficile, et l’enclavement du pays demeurent des handicaps majeurs pour l´économie. Tout ceci se traduit par, entre autres, un taux d’espérance de vie à la naissance particulièrement faible, de graves problèmes de malnutrition, un manque d’alphabétisation accru et un revenu par habitant de seulement 350 dollars en 2007. Selon le Rapport Mondial sur le Développement Humain publié par le PNUD, la RCA se classe en effet 172ème sur 177 pays classés.
La Préfecture de Nana-Gribizi est composée de deux sous-préfectures Mbrés et Kaga-Bandoro. L’évaluation s’est focalisée sur la sous-préfecture de Kaga-Bandoro où le nombre de déplacés est élevé (environ 35 000 personnes, c’est-à-dire 30% de la population de la préfecture). Il ne s’agit cependant pas de regroupements de masse en camps de déplacés mais de personnes éparpillées aux alentours de leur village d’origine à proximité de leur champ ou dans la brousse et qui ont fui les villages lors des attaques commencées en décembre 2006 par les différents belligérants (FACA, rebelles et coupeurs de route).
La zone nord-ouest du pays, où viennent d’avoir lieu les incidents militaires des dernières semaines, se caractérise par une forte présence humanitaire (MSF, Coopi, PU, CICR, Caritas, IPHD, UNICEF, PAM, FAO, Union Européenne) dont la concentration s’étiole au fur et à mesure que l’on monte vers le nord. Les acteurs humanitaires présents en République Centrafricaine prennent en charge en priorité les urgences liées aux déplacements de population et notamment la distribution de biens non alimentaires et alimentaires et la prise en charge médicale. Cependant, la communauté internationale est actuellement encore partagée entre la réponse d’urgence aux déplacements de population et la relance d’un plan de développement plus ambitieux, solution aux problèmes d’instabilité que le pays rencontre actuellement.
Au cours de l’évaluation, les équipes ont constaté que les villages de la zone d’étude ne sont pas touchés de façon homogène par les destructions. Il faut, en effet, distinguer trois types de situations. Dans le premier cas, il s’agit de la ville de Kaga Bandoro caractérisée par des destructions limitées et par une présence massive de villageois résidant dans leur maison. Il s’agit de la seule zone accueillant réellement des déplacées et entièrement contrôlée par le gouvernement de Bozizé. Le deuxième cas est composé des axes de Ouandago, Fah Pilote et Kotamgobé où les besoins sont très importants et les zones sont contrôlées par les rebelles, d’où une insécurité accrue pour les populations déplacées et victimes du conflit. Les villages sont presque entièrement détruits et les habitants ont en majorité fui dans la brousse. Le troisième cas concerne l’axe de M’biti qui est en situation plus sécurisée. Les villages y sont partiellement détruits et environ 50 à 60% de la population vit chez soi. Les zones sont entièrement contrôlées par les rebelles et ne se situent pas sur la ligne de front entre les différents belligérants. Cependant les villageois ne se sentent pas en sécurité et sont prêts à retourner en brousse dès la moindre dégradation de la situation sécuritaire.
La République Centre Africaine traverse une zone de turbulences qui pourrait durer jusqu’au prochain coup d’Etat. Mais la présence permanente des bandits coupeurs de route « zaraguinas » risque de perturber sérieusement et pour longtemps le déroulement des opérations humanitaires. Bien que les chefs rebelles tiennent un discours sécurisant pour les ONG en promettant la libre circulation et le soutien aux populations, le principal problème réside dans la discipline des hommes armés et les combats permanents. Comme le prouve l’assassinat tragique d’Elsa Serfass, logisticienne de MSF, ainsi que les fréquentes agressions contre des staffs humanitaires, la situation est extrêmement tendue et il est indispensable d’accorder aux questions de sécurité une importance essentielle.
Les entretiens avec les différents partenaires humanitaires et les autorités locales ainsi que les focus group et les entretiens individuels auprès des populations déplacées et victimes du conflit ont permis de faire le point sur les besoins à couvrir. ACTED pourrait intervenir auprès des personnes déplacées dans la zone de Kaga-Bandoro afin d’apporter une réponse aux besoins suivants :
– Nutrition et sécurité alimentaire :
Avant la période de coups d’Etat successifs, la République Centrafricaine était en autosuffisance alimentaire. Or, depuis 10 ans, le pays a beaucoup souffert et la zone est désormais identifiée par la FAO comme étant en état de crise nutritionnelle forte. Les déplacés, notamment, sont totalement dépendants des solidarités horizontales et de l’aide humanitaire. La distribution de vivres effectuée par Caritas permet de nourrir une famille 3 jours par semaine (avec 3 repas par jours). Toutefois, les habitants partagent leurs ressources avec les déplacés (qui eux s’alimentent au mieux 1 seule fois par jour) et cette pression sur les ressources disponibles peut à moyen terme aboutir à des tensions entre les deux types de populations. Un appui à la sécurité alimentaire est donc vital, non seulement par le biais de la relance des activités de subsistance, mais aussi grâce à la distribution de vivres et à la création de centres nutritionnels permettant d’assurer les besoins alimentaires des populations.
– Activités socio-économiques :
Les déplacés n’exercent pas d’activité économique particulière, seuls les jeunes et les valides sont employés comme journaliers agricoles. La rémunération est souvent faite en nourriture et ces activités ne peuvent donc pas être considérées comme génératrices de revenu. Alors que le pays est essentiellement rural, peu d’actions sont entreprises dans le domaine de l’agriculture en raison des problèmes de sécurité et par manque d’intrants disponibles. L’obstacle majeur réside en effet dans la pénurie de semence et il existe un réel risque de crise alimentaire pour 2008 pour cette raison. ACTED s’efforcerait donc de développer des activités génératrices de revenu, notamment en palliant cette pénurie d’intrants, afin de rendre les communautés moins dépendantes vis-à-vis de l’aide humanitaire. Il serait en outre nécessaire de remédier au problème du bétail, les bestiaux ayant pour la plupart été perdus lors de la fuite des villages ou volés par les rebelles, coupeurs de routes et autres bandits.
– Infrastructures :
La plupart des villages ayant été brûlés et détruits, les besoins en abris et infrastructures sont forts. La reconstruction des habitats individuels, avec la participation des bénéficiaires pour l’approvisionnement en matériaux locaux, s’avère donc nécessaire. ACTED souhaiterait aussi participer activement à la réhabilitation des infrastructures routières. En effet, le désenclavement de la zone de Nana-Gribizi est une priorité incontournable si l’on veut affronter les problèmes de malnutrition et favoriser l’accès de l’aide humanitaire. Ces travaux permettraient également d’apporter un soutien aux moyens de subsistance des populations, notamment à travers des activités de travail contre paiement ou nourriture.
La crise humanitaire qui sévit actuellement en République Centre Africaine est reconnue par la communauté internationale seulement depuis quelques mois. La volatilité de la situation en terme de sécurité continue à produire des déplacements de population et à limiter l’apport de l’aide humanitaire, notamment dans la préfecture de Kaga-Bandoro où ACTED a identifié des vulnérabilités très fortes, spécialement celles liées à l’insécurité alimentaire et au manque de moyens de production. ACTED, grâce à son expertise en Afrique centrale sur le traitement des personnes déplacées, en situation d’urgence et de post-urgence, souhaite contribuer à soutenir ces populations vulnérables. Au-delà, de la situation d’urgence qui a été diagnostiquée, et à l’instar d’autres acteurs humanitaires présents en Centrafrique, ACTED considère également que la relance d’un plan de développement plus ambitieux peut contribuer à résoudre les problèmes que rencontre actuellement la RCA. En attendant, suite à ces 2 missions exploratoires, ACTED a soumis à des bailleurs de fonds des concepts de projets d‘urgence focalisés autour de la sécurité alimentaire et de l’amélioration de l’accès de l’aide humanitaire.