« Ouvrir le débat sur la coopération au développement »

LE NORD ET SES ENGAGEMENTS

Sergio Ferrari (Q): L’exigence d’attribuer 0,7 % du produit national brut (PNB) des pays du Nord à la coopération au développement n’est pas un objectif nouveau. On la trouve dans la déclaration du sommet de Rio, en 1992. Qu’en est-il aujourd’hui de cette promesse faite par les pays industrialisés ?

Peter Niggli (R): A vrai dire, cette promesse avait déjà été faite par une déclaration de l’ONU en 1970. Depuis longtemps, seul cinq pays européens affectent plus du 0,7 % de leur PNB à la coopération au développement: la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et le Luxembourg. Pour les autres, peu de choses ont été faites. Néanmoins, cette revendication a été réactualisé, depuis la « Déclaration du Millénaire » lancée par les Nations Unies, avec huit points essentiels et dont l’objectif est de réduire la pauvreté de moitié jusqu’en 2015. Dans ce document, les pays industrialisés ont promis d’augmenter leurs budgets de coopération. 5 ans plus tard, en 2005, les ministres des finances de l’Union Européenne ont franchi un pas supplémentaire en acceptant le chiffre de 0,7 % comme clause contraignante, devant être atteint d’ici 2015. Hormis les Etats européens, le Canada et le Japon ont accepté l’objectif de 0,7 %, mais sans fixer de délai. Seuls, trois pays industrialisés ont clairement rejeté cet objectif: les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Mais ils ont augmenté leur coopération et il faut reconnaître qu’ils ont fait des pas importants dans cette direction… C’est dans ce cadre international que le gouvernement suisse devra définir sa propre position.

Q: Cela signifie-t-il qu’il existe aujourd’hui une conjoncture internationale relativement favorable pour augmenter le budget de la coopération ?

R : D’une certaine manière, je pense que oui. Initialement, nous étions nombreux à penser que les objectifs de la « Déclaration du Millénaire » ne seraient qu’un papier de plus… Une déclaration parmi tant d’autres faites systématiquement dans le cadre de l’ONU. Mais il faut reconnaître la naissance d’une dynamique intéressante, tant au Nord qu’au Sud. Par exemple, de nombreux pays du Sud ont commencé à affecter davantage de ressources à la santé et à l’éducation primaire. C’est le constat que fait l’UNESCO en Afrique. Même limitée, cette dynamique n’existait pas quelques années auparavant.

PRENDRE L’OFFENSIVE

Q: En ce qui concerne la situation suisse, pourquoi lancer maintenant une campagne pour le 0,7 % ?

R: Cette campagne a deux objectifs: la coopération au développement suisse pourrait renforcer encore plus son action pour atteindre les objectifs du Millénaire. D’autre part, le gouvernement suisse – compte tenu de la position des autres Etats européens – devrait faire des pas en avant par rapport au budget à la coopération.
Quelle fut jusqu’ici la position de l’exécutif helvétique ? En 2005, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, le président du conseil fédéral Samuel Schmid annonça que le gouvernement va « envisager d’accroître, au-delà de 2008, le pourcentage qu’elle consacre à l’aide publique au développement de manière à augmenter sa part dans les efforts internationaux en la matière ». Même si cette déclaration était un peu vague, c’était tout de même une promesse faite à la communauté internationale. Mais, de manière contradictoire, en novembre 2006, le Conseil fédéral a pris une autre décision. Il a annoncé que toutes les dépenses de la Confédération, ces prochaines années, n’augmenteront que de 2 % (y compris la coopération au développement). Il n’y aura qu’une exception, l’éducation, vu la forte pression du législatif pour de meilleurs budgets. Si cette décision de novembre 2006 est appliquée, d’ici à 2015 la Suisse va, en fait, diminuer sa contribution à la coopération…Nous pensons donc que c’est le bon moment pour lancer cette campagne. De plus, les élections fédérales auront lieu en octobre 2007 et nous pourrons ainsi présenter notre pétition à un nouveau parlement.

GÉNERALISER LE DÉBAT

Q: L’idée des participants à cette campagne consiste donc à prendre l’initiative à un moment où le gouvernement devra se prononcer ?

PN: Oui. Et il n’y a rien d’improvisé dans notre réflexion. Nous préparons cette proposition depuis 2005. Il existe des tendances politiques en Suisse qui voudraient diminuer le budget de la coopération. Christophe Blocher (conseiller fédéral SVP-UDC) voudrait même aller jusqu’à une coupe de 30 %. Dans un tel cadre, il est important d’avoir un instrument, c’est-à-dire cette pétition qui demande une augmentation claire et ouvre le débat sur ce thème. Sans aucun doute, cette campagne suscitera un débat public sur la coopération au développement, si celle-ci sert à quelque chose ou non, sur les priorités, les conditions… Elle occupera une partie de la scène politique à partir de la seconde moitié de cette année et l’année prochaine.

Q: La proposition repose sur la conviction que les acteurs de la société civile qui lancent la campagne auront l’énergie nécessaire pour la mener à bien…

R: Oui, c’est en tout notre point de départ. Les premiers signes sont vraiment intéressants. Auparavant, nous n’avions jamais pu constituer une coalition si large et avec des composantes si diverses. Si on compare cette campagne ave celle menée en faveur du désendettement des pays du Sud (par rapport à leur dette envers la Suisse), y avaient participé moins des secteurs qu’aujourd’hui. Mais il reste à voir, si notre plus large plateforme actuelle aura la même force mobilisatrice.

Q: Comment vont se positionner les différents acteurs politiques par rapport à cette campagne ? Le gouvernement, l’entreprise privée, les partis politiques ?

R: Je ne voudrais pas me risquer à prévoir les comportements possibles. Je pense que, tant dans l’économie privée que dans tous les partis politiques, des voix se prononceront en faveur de notre initiative. Néanmoins, nous aspirons à un débat de fonds réellement pluraliste et constructif.

UNE « UTOPIE » POSSIBLE

Q: Une question que beaucoup de gens se poseront par rapport à la pétition: économiquement parlant, est-il réaliste d’affecter 0,7 % du PNB à la coopération ? Ou cette idée restera-t-il au niveau de l’utopie ?

R : Vu la force économique du pays, le 0,7 % pourrait être mis en oeuvre. Si nous tenons compte des conditions politiques actuelles, des pressions de la droite, etc., il me semble possible d’imaginer une augmentation de l’aide au développement. Dans quelle proportion ? Ce sera un thème à discuter… En fait, d’ici peu de temps, avec un nouveau législatif, nous allons commencer à discuter avec les uns et les autres sur ce que chacun estime possible dans cette sphère. Nous essayerons d’identifier le consensus susceptible d’obtenir une majorité. En tout cas, nous aurons une pétition en main. Et chaque acteur politique devra se positionner face à cet instrument.

Q: En politique, toute offensive implique de prendre un risque. Cette pétition – et plus généralement la campagne – est une carte délicate à jouer. Que se passera-t-il si, par exemple, les promoteurs n’obtiennent pas suffisamment de signatures? Ne court-on pas le risque, dans ce cas, que le monde de la coopération au développement se trouve dans une situation défensive plus complexe que la situation actuelle ?

R: Ce risque existe, mais nous sommes confiants dans la possibilité d’obtenir un nombre de signatures et un appui public significatifs. Je suis convaincu que nous ouvrions le débat, que nous réussirons une mobilisation consistante, que nous obtiendrons de nombreuses signatures. Et nous savons que nous devons agir… Il vaut la peine de prendre des risques.

*Sergio Ferrari
Trad. Hans Peter Renk
Collaboration UNITE/Plateforme des ONG suisses d’échange de personnes
Distribution : service de presse E-CHANGER

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« La pauvreté est un scandale »

C’est avec cette consigne que de nombreux acteurs de la société civile suisse mènent campagne en faveur d’une augmentation considérable de l’aide helvétique pour la coopération au développement. La pétition, que les promoteurs de cette campagne ont déjà commencé de diffuser à des milliers d’exemplaires, demande au gouvernement et au parlement de s’engager plus activement pour accomplir les « objectifs du millénaire » et réduire de moitié la pauvreté jusqu’en 2015. Elle demande que, d’ici cette échéance, le budget de la coopération atteigne le 0,7 % du produit national brut et réclame davantage de moyens en faveur des plus pauvres et de la protection de l’environnement.
La campagne touchera la capitale suisse, à l’occasion d’une action symbolique – le samedi 07.07.07 – qui se tiendra sur la place fédérale, devant le siège du gouvernement, sous forme d’une manifestation et fête populaire. Cet après-midi, 7 personnalités des divers cantons de Suisse romande arriveront par wagon spécial à Berne. Hormis la récolte de signatures (possible aussi via Internet), durant les douze prochains mois, des activités auront lieu dans toute le pays: des actions dans les églises aux conférences publiques, en passant par des journées de réflexion et de débat, des manifestations culturelles, des activités dans la rue, etc. A mi-2008, les pétitions seront officiellement déposées auprès du gouvernement et du parlement.

Plus de 60 organisations de coopération, de défense de l’environnement, de femmes, de jeunes et des syndicats figurent parmi les promoteurs de cette initiative. UNITE (plateforme suisse pour l’échange de personnes en matière de coopération internationale) appuie cette campagne. Parmi ses 25 membres, 14 soutiennent directement la campagne: Aiuto Medico al Centro America, Mission de Bethléem (Immensee), Département missionnaire-Echange et mission, E-CHANGER, Eirene, Groupe Volontaires Outre-mer, Inter-Agire, Interteam, Mission 21, -SolidarMed. Quatre autres – Armée du Salut, Interserve, Service missionnaire évangélique et Mission mennonite suisse – appuient la campagne via l’initiative Stop Armut 2015/Stop Pauvreté 2015. (Sergio Ferrari/Unite/E-CHANGER)

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