Pérou :  « Nous résisterons jusqu’au bout »  

Depuis l’arrestation, du président Pedro Castillo, le 7 décembre dernier, une forte mobilisation populaire secoue le pays. Malgré une répression brutale, l’indignation ne faiblit pas. Entretien avec Lourdes Huanca, leader paysanne et féministe.

« Nous exigeons la destitution de Dina Boluarte, la libération du président Castillo, la fermeture du Congrès, l’installation d’une Assemblée constituante, la levée de l’état d’urgence et la justice pour les 62 héros de notre peuple qui ont été assassinés au cours des dernières semaines ». D’une voix énergique, Lourdes Huanca, leader paysanne et féministe péruvienne, résume les revendications portées par d’importants secteurs sociaux de son pays.

Lourdes Huanca est la présidente de la Fédération nationale des femmes paysannes, artisanes, indigènes, autochtones et salariées du Pérou (FEMUCARINAP), qui compte 160 000 membres. À la mi-janvier, elle est arrivée en Europe pour rendre compte de la situation dans son pays et renforcer la solidarité internationale avec la lutte de son peuple.

Paysannes et féministes 

Fondée en 2006, la FEMUCARINAP est aujourd’hui une « organisation en plein essor », explique sa présidente. Elle promeut deux tâches principales : l’autonomisation des femmes, par la défense et le respect de leur corps en tant que territoire propre; et leur autonomisation sociopolitique et culturelle, en tant que paysannes et féministes. Sans oublier la lutte pour la souveraineté alimentaire – c’est-à-dire pour protéger la terre, l’eau et les semences.

Lourdes Huanca poursuit sa réflexion : « Nos mères, nos grands-mères, nous ont tout appris sur la terre : comment semer, comment survivre à la campagne.  Mais elles n’ont pas pu nous apprendre comment être heureuses, comment décider si nous voulons avoir un ou deux enfants, ni nous enseigner que nous avons le droit de tomber amoureuses. Nous avons appris ces choses essentielles avec les féministes. C’est pourquoi notre essence paysanne et féministe est inséparable ». Cette double identité pousse la FEMUCARINAP à participer activement à la vie politique et sociale. Au premier tour des élections présidentielles, en avril 2021, ses membres ont voté pour Verónika Mendoza; au second tour, en juin de la même année, elles ont élu Pedro Castillo, un enseignant rural et paysan, comme eux, qui se présentait contre la droitière Keiko Fujimori, fille de l’ancien dictateur.

« Il nous a ouvert sa porte »


Dès que Pedro Castillo a pris ses fonctions de président, « il nous a ouvert les portes de son bureau pour écouter nos demandes », affirme la leader paysanne péruvienne. Le passage de M. Castillo au gouvernement a ainsi amorcé un processus riche qui « nous a permis d’avancer avec de nombreuses propositions et réalisations concrètes », notamment le soutien aux femmes paysannes dans le cadre de la deuxième réforme agraire et l’admission gratuite à l’université pour les filles et fils de la paysannerie pauvre.

Cependant, poursuit Huanca, la droite et les grandes transnationales ont été furieuses lorsque le président Castillo a annoncé son intention de revoir les concessions pétrolières et minières – dont certaines arrivent à échéance en 2023 – en tenant compte du respect ou non des droits humains et environnementaux des populations locales. « Cela les a mis en colère. Car nous, les peuples originels, pouvons prouver que, dans de nombreux endroits du Pérou, la Terre Mère est très malade. Nos communautés souffrent de cette exploitation et nos enfants sont malades. Beaucoup ont du plomb dans le sang », explique Huanca. Et de souligner les nombreux obstacles auxquels l’administration du président Castillo a dû faire face : « Tout au long de cette année et demie, la droite et le pouvoir oligarchique traditionnel ne l’ont pas laissé gouverner; il y a eu plusieurs tentatives de le destituer pour incapacité supposée; ils l’ont sous-estimé et constamment rabaissé».

La résistance face aux massacres

À la lumière de la longue histoire de lutte des mouvements sociaux péruviens, « il était impossible pour nous de ne pas descendre dans la rue lorsque le président a été enlevé et arrêté le 7 décembre », explique Lourdes Huanca. L’attaque et l’arrestation du président ont été suivies de la trahison de sa vice-présidente, Dina Boluarte : « Aujourd’hui, elle parle de dialogue et de pacification. Mais en même temps, elle ordonne l’assassinat de nos enfants ».

« Il est impossible de dialoguer avec quelqu’un qui massacre son peuple, continue la leader paysanne. Soixante-deux femmes et hommes, jeunes pour la plupart, ont été assassinés dans différentes régions du pays.

La répression est brutale et augmente chaque jour. S’ils veulent nous massacrer, qu’ils essaient… Ils trouveront en face d’eux un peuple qui ne cessera de se mobiliser jusqu’à ce qu’il obtienne justice et que ses revendications soient entendues ».

« Arrêter notre résistance maintenant ? C’est inimaginable », conclut Huanca. « Nous transmettrions cette douleur à nos enfants et petits-enfants, qui continueraient à souffrir parce que nous aurions abandonné notre combat ».

Sergio Ferrari,
traduction, Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics
Publié dans le journal Services Publics, Suisse, le 3-02-2023

Laisser un commentaire