Prise de position de la FGC sur le projet de Message 2021-2024 sur la coopération internationale de la Suisse

La Fédération genevoise de coopération (FGC) et ses 60 organisations membres se réjouissent de participer à cette première consultation publique qui leur permet de contribuer à la réflexion visant à redéfinir les objectifs stratégiques de la coopération suisse au développement.

Dans le contexte de la mise au point de la présente prise de position, une séance de travail s’est déroulée le 4 juillet dernier regroupant 25 personnes représentant nos organisations membres. C’est dire si cette consultation suscite un réel intérêt – et de tout aussi réelles inquiétudes sur le devenir de la coopération de notre pays. Outre cette prise de position de la FGC, validée par notre Conseil, un certain nombre de nos organisations membres s’exprimeront aussi en leur nom propre, selon leur expertise et leurs spécificités.

Rappelons tout d’abord que la coopération de la Suisse jouit, tant sur le plan international que national d’une excellente réputation, basée sur une longue et stable pratique au service des populations les plus démunies. Dès ses débuts, la coopération suisse s’est fixée comme objectif la lutte contre la pauvreté, principe consacré dans la loi de 1976 qui la définit, et dont la mise en œuvre est confiée à la Direction pour la coopération au développement et au Secrétariat d’Etat à l’économie : une stratégie, mais deux approches clairement définies.

Dès le début, les organisations non gouvernementales helvétiques ont joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre des programmes de coopération dans les pays du Sud, tout en s’appuyant sur une opinion publique favorable. La population suisse se reconnaît dans les principes de solidarité portés par la coopération au développement et se montre très généreuse dans ses contributions financières à l’égard des ONG : 540 millions de francs ont été récoltés en 2017.

En guise d’introduction, nous souhaitons faire trois remarques préliminaires :

A la lecture du rapport explicatif au projet de message sur la coopération internationale 2021-2024, il ressort que le Conseil fédéral propose une nouvelle hiérarchisation des objectifs stratégiques pour la coopération, dont il revoit aussi les critères et les régions d’intervention. Certains de ces critères nous interpellent quant à leur pertinence par rapport aux objectifs stratégiques définis. Nous estimons que la conception même du développement s’appuyant sur une croissance économique telle que présentée dans le présent projet de message, peut entrer en contradiction avec les valeurs propres à la coopération au développement basées sur la défense des droits humains et la préservation de l’environnement, voire puisse les occulter fortement. De plus, alors qu’ainsi la coopération internationale de la Suisse devrait désormais répondre à des attentes plus larges – parfois contradictoires -ses moyens financiers se retrouveraient au contraire restreints. Enfin, il est loin d’être démontré qu’il soit possible de répondre aux besoins des populations les plus vulnérables tout en assurant la promotion des intérêts de la Suisse en matière économique, migratoire et sécuritaire, comme le laisse entendre la proposition de message. Le soutien aux populations démunies doit dans tous les cas être prioritaire, au risque de dénaturer sinon la coopération et de ne plus respecter la loi qui la définit.

Plus généralement, on ne peut pas définir la défense des intérêts d’un pays, et le nôtre ne saurait faire exception, indépendamment de ses liens et de ses responsabilités par rapport à un ensemble plus large et au monde ; l’intérêt de tout pays doit être vu dans son cadre d’interdépendance et sur fond d’inégalités croissantes entre pays et au sein de ceux-ci. Le destin de chaque pays est fondamentalement tributaire de l’équilibre global du monde, qui lui-même dépend de facteurs comme l’égalité de chance et de droits, ainsi que de la préservation des systèmes naturels, base de toute activité humaine. Nous ne pouvons pas admettre une vision qui concevrait un intérêt national suisse en-dehors de ces réalités. Nous avons à participer à la gestion globale du monde, au sein du système multilatéral des Nations Unies et de l’ordre juridique qui en découle, matérialisé dans les nombreux traités ratifiés par la Suisse.

Rappelons enfin, que dès les années 90, après la chute du mur de Berlin, les agences bilatérales de coopération, sous l’influence du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, sont passées progressivement d’une politique de coopération à une politique de développement. Cette nouvelle approche permet d’appréhender l’ensemble des moyens et des divers plans (politiques, économiques, sociaux et écologiques) pour organiser le développement de manière à améliorer durablement les conditions de vie et de prospérité générale des pays en développement et en transition (ancien bloc de l’Est). Depuis près de 30 ans, la Suisse s’est inscrite dans ce nouveau paradigme. La loi de 1976 sur la coopération au développement et l’aide humanitaire, en ciblant les pays, région et groupes de population les plus vulnérables, était prémonitoire à cet égard et reste parfaitement adéquate. La Constitution fédérale (1999) a ensuite confirmé cette approche, son article 54, al. 2 définissant le cadre de la politique extérieure mettant sur pied d’égalité la prospérité de la Suisse et ses obligations internationales[1]. Or le présent projet de message ne s’inscrit plus dans cette tendance ; en mettant les intérêts de la Suisse vus de manière étroite au centre de la coopération au développement, il marque une rupture dans la conception de notre coopération, qui peut être lourde de conséquences en termes d’efficacité de l’aide et d’image de la Suisse.

Nous estimons préoccupant également le flou qui se dégage de la proposition de message, quant à l’opérationnalisation de l’aide publique au développement, notamment eu égard au rôle mal défini attribué au secteur privé et à la confusion entretenue quant à la répartition des tâches entre divers offices fédéraux.

A lire ici la version intégrale de la prise de position de la FGC sur le projet de Message 2021-2024 sur la coopération internationale de la Suisse. Une analyse critique du projet accompagnée de recommandations pour 10 domaines choisis qui rappelle les points forts de la coopération suisse au développement et les met en perspective avec les nouvelles orientations proposées. 

[1] Constitution suisse, art. 54, al. 2 : « La Confédération s’attache à préserver l’indépendance et la prospérité de la Suisse; elle contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles. »

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