Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 108 – Genève, le 9 février 2016

Odieux assassinat d’un enfant Kaingang de 2 ans

Le 30 décembre, aux alentours de midi, la gare routière d’Imbituba, une localité située sur le littoral sud de l’État brésilien de Santa Catarina, a été le théâtre d’un crime particulièrement odieux : installée sous un arbre, Sônia da Silva, la maman du petit Vitor Pinto, âgé de deux ans, nourrissait son fils quand un jeune homme s’est approché, a caressé le visage de l’enfant avant de lui trancher la gorge et de s’enfuir. L’incident n’a duré que quelques secondes. Vitor est mort avant son arrivée à l’hôpital. Les cameras de surveillance ont permis d’identifier le criminel de 23 ans qui a été arrêté le lendemain de son forfait. Il a avoué, et dit avoir agi inspiré par des esprits et non par haine des Indiens. Le 26 janvier, au terme de l’enquête de police, il est accusé d’homicide doublement qualifié, c’est à dire commis pour un motif futile sur un être sans défense. L’avocat de la défense souhaite que son client soit soumis à une expertise médicale. S’il est condamné, il risque entre 12 et 30 ans de prison. La famille de Vitor s’était déplacée à Imbituba pour vendre l’artisanat de sa fabrication aux nombreux touristes qui fréquent les plages de l’Atlantique en cette période de fêtes.

La sépulture de Vitor a eu lieu dans sa communauté située dans la Terre Indigène Aldeia Kondá, dans la municipalité de Chapecó. Une semaine plus tard, deux manifestations ont eu lieu à Imbituba et Chapecó pour demander que justice soit faite.

La Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI, le Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI et le Ministère de la Culture – MinC ont exprimé leur indignation. Pour le Ministère, « Ce crime terrible est une attaque de plus contre les peuples indigènes qui souffrent de violences, persécutions et tout type d’irrespects à leurs droits constitutionnels, comme le droit à la terre, à la santé et à l’éducation entre autres« .

 

Première Conférence Nationale de Politique Indigéniste

Plus de 2’000 personnes, indigènes, membres d’ONG et de représentants d’organismes publics ont participé à la 1ère Conférence nationale de politique indigéniste qui s’est tenue à Brasilia du 14 au 17 décembre 2015. Cette réunion a été convoquée en juillet 2014 déjà. Elle a été préparée dans tout le pays par de nombreuses réunions locales et 26 rencontres régionales. Les discussions ont porté sur six axes thématiques : 1.- Territorialité et droit territorial indigène; 2.- Autodétermination, participation sociale et droit à la consultation; 3.- Développement durable des terres et des peuples indigènes; 4.- Droits individuels et collectifs des peuples indigènes; 5.- Diversité culturelle et pluralité ethnique et 6.- Droit à la mémoire et à la vérité.

Lors des discours d’ouverture de la Conférence, Sônia Guajajara, représentante de l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB a été claire : « Nous avons besoin d’actes et non seulement de discours« . En raison des menaces qui pèsent sur leurs droits, pour marquer leur volonté de les faire respecter des participants sont allés protester devant le parlement.

L’après-midi du dernier jour de la Conférence a été consacré à la lecture des propositions urgentes, rassemblées après les étapes locales et régionales. Au total ce sont 866 propositions qui ont été approuvées et 216 d’entre-elles considérées comme urgentes. Pour l’heure, ces propositions n’ont pas encore été rendues publiques. Leur nombre montre bien la diversité et l’ampleur des besoins exprimés par les différents peuples indigènes de tout le pays. Elles devraient refléter les critiques adressées ces dernières années par les peuples indigènes aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

La Présidente de la République s’est adressée à la Conférence le 15 décembre. Elle a redit son hostilité à la Proposition d’Amendement Constitutionnel qui transfère au Parlement le pouvoir ultime de la démarcation des Terres Indigène (La PEC 215/2000). Elle a annoncé la création d’un Conseil (consultatif) National de Politique Indigéniste (qui remplace la Commission Nationale de Politique Indigéniste créée en 2006) et la démarcation de plusieurs Terres Indigènes – TI*.

Cette Conférence s’est déroulée dans un contexte de profonde crise économique et politique. Le 13 janvier dernier, dans une interview, João Pedro Gonçalves, le président de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI a fait connaître son intention de solliciter l’aide de plusieurs pays pour compléter le budget de la Fondation pour 2016 qui a été sensiblement réduit par le Congrès par rapport à 2015.

Cette année 2016 s’ouvre dans un climat d’incertitude pour les peuples indigènes du Brésil.

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* Effectivement, le Décret No 8.593 créant le Conseil a été signé le 17 décembre 2015, et ceux homologuant quatre Terres Indigènes : Arary (405,48 km2), Banawá (1’926,59 km2), Cajuhiri-Atravessado (124,55 km2) et Tabocal (9,07 km2) on tété signés à la même date. Elles sont toutes situées dans l’État d’Amazonas, hors des zones où il y a des conflits territoriaux.

 

Après la catastrophe écologique de novembre, Samarco et Vale sous la pression des Indiens

Les médias ont largement diffusé l’information. Dans l’après-midi du 5 novembre 2015, un gigantesque torrent de boue a submergé la petite localité de Bento Rodrigues, située dans la municipalité de Mariana dans l’État brésilien du Minas Gerais (MG), provoquant la mort de 17 personnes et de graves dégâts à l’environnement. Un barrage retenant des millions de tonnes de déchets de minerai de fer d’une mine de la compagnie Samarco, filiale de BHP Biliton et de Vale, avait cédé. La boue s’est écoulée par le Rio Doce jusqu’à l’Atlantique dans l’État de Espírito Santo (ES). Le fleuve est considéré comme mort sur plus de 600 km. Vient maintenant l’heure du bilan chiffré, des responsabilités et du coût des réparations de ce qui est considéré comme la pire des catastrophes écologiques du pays.

Près d’une trentaine de localités ont été affectées par la catastrophe. Parmi les riverains touchés, les Indiens de la Terre Indigène Krenak sur les rives du rio Doce. Le 13 novembre, ils ont occupé, près de Resplendor, la voie ferrée de la compagnie « Estrada de Ferro Vitória a Minas – EFVM » qui appartient à Vale. Depuis le 5 novembre ils demandaient, en vain, de l’aide à la Compagnie, notamment la fourniture de nourriture et d’eau potable. Il a fallu l’intervention de la FUNAI pour que Vale apporte une aide d’urgence à 126 familles. Les Krenak ont levé leur occupation le 16 novembre.

Plus récemment, le 13 janvier, ce sont les Tupinikim et Guarani de Aracruz de l’État du Espírito Santo qui ont occupé la voie ferrée du EFVM à Comboios. Eux aussi demandent des mesures pour faire face aux dégâts causés par les rejets de minerai. Ils ont cessé leur occupation deux jours plus tard après une médiation du Ministère Public Fédéral. Dans la même région, près de la localité d’Aracruz, le 4 février, les indigènes ont établi des barrages filtrants sur deux routes du même État pour obliger Vale à apporter une compensation aux graves impacts qu’ils ont à subir du fait de la catastrophe. Là encore, c’est après une intervention des responsables locaux de la FUNAI que les Indiens ont levé leurs barrages le lendemain 5 février.

En Suisse, la catastrophe a eu un écho jusqu’au Grand Conseil vaudois. Le 8 décembre 2015, une résolution – non contraignante – du député Raphaël Mahaim est acceptée par 67 oui, 66 non et 3 abstentions. Après avoir exprimé son soutien aux victimes, le parlement cantonal souhaite « que les amendes et dédommagements payés par le groupe Vale dans le cadre de la réparation des préjudices environnementaux causés par la catastrophe ne soient d’aucune manière, par quelque montage que ce soit, déductibles fiscalement en terre vaudoise par l’intermédiaire de Vale International à Saint-Prex. »

Ailleurs au Brésil, dans l’État du Pará, Vale est en conflit avec les Indiens Xikrin et Kayapó qui lui reprochent de polluer le rio Cateté sur le site minier de Onça Puma. Le 7 décembre 2015, ils ont manifesté à Ourilândia do Norte pour demander la suspension de l’exploitation minière jusqu’à ce que des mesures soient appliquées pour protéger la rivière. Cette pollution a de graves effets sur la santé de ces Indiens. Une situation dénoncée depuis des années par le Dr João Paulo Botelho Vieira Filho*.

*Voir « AYA Info No 98 » du 29 novembre 2014

 

Guyane : une accusation de biopiraterie contre l’IRD

Le 23 octobre 2015, la Fondation Danielle Mitterrrand « France Libertés » s’est adressée à l’Office Européen des Brevets – OEB pour faire opposition à l’attribution d’un brevet à l’Institut de Recherche pour le Développement – IRD dont le siège est à Marseille. Ce dernier a sollicité la protection (Brevet EP2443126) d’une recherche sur une molécule, la Simalikalactone E (SkE) destinée à entrer dans la composition d’un médicament antipaludique. Cette molécule a été isolée d’une plante médicinale amazonienne, le Quassia amara, appelée Couachi en Guyane. France-Libertés fonde son opposition sur les articles 52 à 57 de la Convention sur le brevet européen qui traitent de la brevetabilité d’une invention. Pour elle, les conditions de l’invention sont caractéristiques d’actes de biopiraterie; de plus, l’invention n’est pas nouvelle en raison de l’existence de nombreux savoirs traditionnels connus et antérieurs à la demande.

France-Libertés a rendu publique sa demande à l’OEB le 25 janvier dans un article, publié sous le titre « Des chercheurs français s’approprient des savoirs guyanais ancestraux », la Fondation souligne que : « Le brevet, s’il venait à être délivré, offrirait à l’institut un monopole d’exploitation de la propriété antipaludique de la molécule SkE extraite de la plante Quassia Amara pour une durée d’au moins 20 ans. Les populations autochtones et locales ayant contribué au développement de l’innovation pourraient se voir interdire l’exploitation de leurs propres remèdes ancestraux. » L’information a été reprise par de nombreux médias. L’Organisation des Nations Autochtones de Guyane – ONAG dénonce la pratique de l’IRD. Le Président de la Collectivité Territoriale de Guyane tient à rappeler que « l’utilisation abusive des connaissances traditionnelles des populations sans leur consentement préalable, ainsi que l’absence totale de retour pour le territoire ne peuvent plus être tolérées« .

Le 26 janvier, l’IRD a réagi en publiant la lettre adressée par son directeur à celui de France-Libertés : « C’est une accusation qui me heurte car elle va à l’encontre de la vocation et des valeurs portées par l’IRD. » (…) « L’IRD prendrait évidemment soin dans l’hypothèse où ce brevet serait, comme d’autres, valorisé dans le cadre d’un partenariat public/privé, de garantir les conditions d’accès le plus large possible pour les populations. » (…) « Les procédures administratives et juridiques vont suivre leur cours s’agissant du brevet de la molécule SkE. Je suis pour ma part ouvert à la discussion avec France Libertés sur ce sujet, mais cela ne pourra être possible que dans le cadre d’un respect mutuel. »

Ce à quoi la Fondation répond le 27 janvier : « Selon les principes internationaux, les populations locales et autochtones doivent être considérées comme de véritables partenaires dépositaires de droits, notamment sur leur patrimoine culturel immatériel et matériel qu’elles sont appelées à communiquer dans le cadre de projets scientifiques.« (…) « Nous cherchons par notre action à sensibiliser sur ce point tant le monde de la recherche que celui du secteur économique privé afin que les pratiques évoluent rapidement dans un souci d’équité et de justice. » (…) « Dans le cadre d’un respect mutuel, nous sommes ouverts à une rencontre afin d’approfondir avec vous nos accords et désaccords sur ce dossier afin de trouver ensemble une possible sortie par le haut« .

Le 5 février, l’IRD a annoncé qu’il va proposer aux autorités guyanaises un protocole d’accord conjoint pour le partage des avantages issus du brevet SkE. Le débat n’est pas clos.

 

« Les Indiens d’Amazonie face au développement prédateur »

« J’ai commencé cette préface en disant que rien n’a changé. En fait, je crois que tout est pire que jamais. » C’est ainsi que Manuela Carneiro da Cunha clôt la préface de l’ouvrage qui vient d’être édité chez L’Harmattan* : « Les Indiens d’Amazonie face au développement prédateur – Nouveaux projets d’exploitation et menaces sur les droits humain. » Il s’agit, à l’aide d’exemples concrets, d’un état des lieux des dangers qui pèsent sur les populations indigènes de l’Amazonie brésilienne, de l’Amazonie du plateau des Guyanes et des Piémonts andins.

Dans l’introduction, Irène Bellier décrit les nouvelles caractéristiques du « développementalisme » amazonien : l’ouverture de routes, les mégaprojets industriels, les barrages poussent les Indiens vers des bourgs qui se développent dans une relative pauvreté, se traduisent par une augmentation de la déforestation et des conflits sur l’usage des terres. Elle montre comment ce phénomène menace les droits des peuples autochtones, même quand les États amazoniens ont adopté des législations favorables à ces peuples. Un non respect des droits, souvent commis au nom de « l’intérêt général » du pays. Les peuples concernés développent des résistances qui témoignent d’une capacité d’adaptation « toujours remarquable, mais celle-ci pourrait bien se fracasser contre le caractère proprement démesuré des initiatives de développement et d’aménagement qui se multiplient en Amazonie« .

Une quinzaine de contributeurs de huit pays amazoniens ont apporté leur concours à cet ouvrage dû à l’initiative du Groupe International de Travail pour les Peuples Autochtones – GITPA**. À leur manière, ils tirent la sonnette d’alarme : l’Amazonie et ses peuples premiers sont en danger !

 

* Editions L’Harmattan, 2015 / 5, rue de l’Ecole-Polytechnique ; 75005 Paris – 355 pages – ISBN : 978-2-343-07940-0 – EAN : 978234307940-0

** Groupe International de Travail pour les Peuples Autochtones – GITPA 3, Rue de la Châtaigneraie 92310 Sèvres. Ouvrage édité Sous la direction de Simone Dreyfus-Gamelon et Patrick Kulesza

 

 

Bernard Comoli

 

Important : L’activation des liens hypertextes (en orange) renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s’agit d’anciens « AYA Info ».

PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch

 

AYA – Appui aux indiens Yanomami d’Amazonie

15 Chemin de la Vi-Longe – CH – 1213 Onex / Genève – CCP 17-55066-2

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