Quelques brèves concernant l’Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info – No 120 Genève, le 27 décembre 2017

« AYA Info » est en ligne sur deux sites Internet : Humanitaire.ws et MCI

 Violence contre les peuples indigènes en 2016

« La question indigène au Brésil: entre omission et cynisme« . C’est le titre de la présentation, faite par Dom Roque Paloschi, du onzième* rapport du Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI** sur la « Violence contre les Peuples Indigènes au Brésil » en 2016. Evoquant le cadre politique, Cleber Cesar Buzzato, le Secrétaire exécutif du Conseil relève que « La situation de violation et de violences contre les peuples Indigènes s’est profondément aggravée en 2016Avec le coup politico- juridico-médiatique qui a placé Michel Temer à la présidence de la République, l’idéologie « Un seul pays pour un seul peuple » a été renforcée et a commencé à se faire sentir dans les sphères du pouvoir exécutif brésilien. » L’introduction précise que : « Les disputes pour le pouvoir politique dans le pays causent l’augmentation de la violence contre les peuples. » Plusieurs articles détaillent les particularités de l’année écoulée, par exemple l’influence grandissante des « ruralistes »*** sur la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI et la réduction de son budget.

Pour l’essentiel, le rapport publié le 5 octobre dernier reprend les chapitres habituels des ces dernières années, ce qui permet des comparaisons : Violence contre le patrimoine, 907 cas (725 en 2015); violence contre la personne, 156 cas (182 en 2015); violence par omission du pouvoir public, 128 cas (137 en 2015) et violence contre les peuples isolés et de peu de contact. Tous les cas sont documentés : le lieu, les personnes concernées, etc. Un travail de collecte de l’information réalisé par les équipes du CIMI dans tout le pays.

À reprendre les données qu’il a collectées lui-même ces dix dernières années (2007 – 2016), le CIMI a compté 616 assassinats d’indigènes dont 56 en 2016. Le rapport qui vient d’être publié indique que 18 morts sont la conséquence de disputes et/ou de consommation d’alcool. Il revient à plusieurs reprises sur le conflit pour les droits territoriaux dont la municipalité de Caarapó, dans l’État du Mato Grosso do Sul, a été le théâtre au matin du 14 juin 2016 : un conflit entre fazendeiros et Guarani-Kaiowá qui s’est soldé par la mort de Clodiodi Aquileu Rodrigues de Sousa****, un jeune Agent indigène de santé de 23 ans. À relever que le rapport fait aussi état des décès suite à des agressions enregistrées par les Districts Sanitaires Spéciaux Indigènes – DSEI : 118 en 2016, dont 44 dans le DSEI Yanomami. L’État du Mato Grosso do Sul est celui qui compte généralement le plus d’assassinats d’indigènes.

À noter encore l’importance de la mortalité parmi les enfants de moins de cinq ans : 735 (599 en 2015), dont 103 (72 en 2015) dans le seul District Sanitaire Spécial Indigène Yanomami.

La présentation du rapport peut être visionnée sur Facebook. Le Cimi a aussi publié une carte des conflits.

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* Pour les années précédentes, voir « AYA Info » No 112 du 31 octobre 2016, No 105 du 19 août 2015, No 95 du 28 août 2014. ** Le CIMI est l’organe de la Conférence Nationale des Evêques du Brésil – CNBB en charge des questions indigènes. Dom Paloschi en est le président. Il est archevêque de Porto Velho, la capitale de l’État de Rondônia en Amazonie. Site internet : https://www.cimi.org.br/observatorio-da-violencia/relatorio-2016/ / *** Le lobby de l’agrobusiness. **** Voir « AYA Info » No 110 du 28 juin 2016.

 

La parole des Peuples autochtones au « Registre de la Mémoire du Monde »

L’UNESCO* a décidé d’inscrire à son Registre international « Mémoire du Monde » les archives du DOCIP** concernant les prises de parole des représentants des peuples autochtones aux Nations Unies entre 1982 et 2015. La décision a été prise le 30 octobre. L’annonce en a été faite le 14 novembre à Genève. Il s’agit de plus de 22’000 textes dont la plus grande partie (80%) ont été numérisés, donc largement accessibles en cliquant > ICI. Le Docip est le gestionnaire de cette documentation, il n’en est pas le propriétaire. L’utilisation non commerciale du matériel en ligne est libre pour autant que la source soit mentionnée.

La conservation « physique » des documents est assurée par la Ville de Genève. Une aide précieuse si l’on se rappelle qu’en 1987 un incendie avait dévasté le secrétariat du Docip, alors logé dans l’annexe, maintenant démolie, du Palais Wilson, le siège actuel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme – HCDH. Le Docip avait pu récupérer la totalité des documents détruits auprès des instances de l’ONU.

La décision de l’UNESCO est une reconnaissance du travail effectué par le Docip depuis sa fondation en 1978. Un service demandé par des leaders autochtones venus à Genève, en 1977*** et 1978 pour les premières grandes conférences à l’ONU portant sur les discriminations dont les peuples autochtones sont l’objet.

Lors des rencontres onusiennes à Genève et à New-York, le Docip met du personnel, un secrétariat et de la documentation à disposition des délégations pour leur permettre de rédiger, traduire, imprimer les documents dont elles ont besoin. Le Docip ne prend pas position dans les débats. Il ne fait pas de lobbying. Il reçoit l’appui de l’Union Européenne, du Parlement Saami de Norvège, du Canton et de la Ville de Genève.

Le Docip a vu le jour grâce à l’ouverture d’esprit dont ont fait preuve ses fondateurs. Parmi eux, Augusto Willemsen Diaz (décédé le 15 décembre 2014), juriste guatémaltèque au Centre pour les droits de l’homme de l’ONU, absorbé plus tard par le HCDH. Et Edith Ballantyne, alors membre de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté.

En septembre 2013, le Docip a organisé un symposium*** au titre évocateur : « Peuples autochtones aux Nations Unies : de l’expérience des pionniers à l’  »empowerment » des jeunes générations« . Réunion qui a permis aux jeunes leaders de rencontrer les anciens qui avaient lutté pour accéder aux instances de l’ONU. Une façon de donner une continuité à la mémoire autochtone.

La relation des Peuples autochtones avec l’ONU a suivi un parcours particulier, différent de celui des États et des ONGs. Un statut particulier qui a donné des résultats, même appliqués de manière très inégale, comme par exemple, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones de 2007. La situation des peuples autochtones est toujours précaire. Leur cheminement aux Nations Unies a été bien expliqué par Pierrette Birraux lors d’un débat, organisé en mars 2012, par le Mouvement pour la Coopération Internationale – MCI, à l’occasion de son 50e anniversaire. Une intervention que l’on peut visionner sur Youtube.

Par son geste, l’UNESCO donne une plus grande audience aux Peuples autochtones. Et bravo au Docip !

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* UNESCO > Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, dont le siège est à Paris. / ** Docip – Centre de documentation, de recherche et d’information des peuples autochtones, créé en 1978. Son siège est au :106, route de Ferney, CH-1202 Genève. Tél. : + 41 (0) 22 740 34 33. Courriel : docip@docip.org , Site : www.docip.org / *** Voir « AYA Info » No 86 du 28 septembre 2013.

Paradise Papers : de l’Amazonie à Genève…

Le 7 novembre dernier, la chaîne de télévision France 2 a diffusé un reportage sur les « Paradise Papers »*. Une partie de l’émission « Cash Investigation » est consacrée aux liens qui unissent une société brésilienne, Amaggi, dans laquelle l’actuel Ministre brésilien de l’Agriculture Blairo Maggi et sa famille ont des intérêts et la société de négoce de produits agricoles, Louis Dreyfus Comodities – LDC. Cette dernière a été fondée en 1851. Son siège est en Hollande. Elle est présente au Brésil depuis 1942. Mais elle a son centre névralgique à Genève. Les deux entités ont créé, en 2010, un joint-venture avec une filiale domiciliée au Cabinet d’avocats Appleby aux Iles Caïmans, territoire où la fiscalité sur les sociétés est nulle. Cela dans le but « d’optimisation » fiscale. L’enquête de France 2 est conduite et présentée par Elise Lucet et Edouard Perrin.

Le 23 octobre dernier, alors qu’il était à Campinas (État de São Paulo) pour l’inauguration du 24e Congrès International de l’Industrie du Blé, le Ministre a été interpellé par les journalistes. Questionné sur la société domiciliée aux Iles Caïmans, il les a renvoyés aux administrateurs en charge de la société. Sur les liens avec LDC, il a rappelé que ceux-ci sont anciens. Sur l’appui (250’000 RS – environ 100’000 Euros) reçu de LDC pour sa campagne électorale en vue de son élection au Sénat en 2010, il a répondu qu’il n’y a là rien d’illégal. En guise de conclusion, il déclare : « Je n’ai pas de compte bancaire hors du Brésil. Je n’ai pas de compte offshore ! »

Après avoir vainement sollicité des renseignements par courrier électronique, les deux journalistes ont fait le déplacement à Genève pour tenter d’interviewer la chargée de communication de LDC au niveau international. Il leur a été poliment demandé d’attendre une réponse donnée par écrit une heure plus tard. Ils n’ont rien appris de nouveau si ce n’est qu’en 2016, la société, maintenant appelée « Amaggi Louis Dreyfus Zen-Noh Grãos SA (ALZ Grãos) seule et unique propriétaire d’ALZ International, a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 174 millions de dollars. Accessoirement, on apprend que 400 personnes travaillent pour LDC à Genève. Une question concerne la société partenaire Amaggi à qui Greenpeace a attribué la « Tronçonneuse d’or » en 2005 pour dénoncer les déforestations provoquées par cette entreprise : « Considérez-vous la société Amaggi comme une société présentant un risque judiciaire ? » La réponse : « LDC sélectionne ses partenaires avec la plus grande attention, cependant toute question relative aux activités d’Amaggi devrait leur être posée directement. »

Blairo Maggi est l’un des plus grands producteurs mondiaux de Soja. Il a été Gouverneur de l’État du Mato Grosso de 2003 à 2010. Il en devient l’un des Sénateurs en 2011. Au Parlement brésilien, il est membre du « Front parlementaire mixte de l’agriculture et de l’élevage », la « Bancada ruralista », le puissant lobby de l’agrobusiness connu pour ses positions anti-indigènes. En mai 2016, après « l’impeachment » de Dilma Rousseff auquel il s’est déclaré favorable, il est devenu Ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de Michel Temer. Il a succédé à Katia Abreu qui avait voté contre la destitution. Mais, elle aussi, avait reçu la « Tronçonneuse d’or » en 2010**.

Au Brésil, le 5 novembre, c’est le média de Brasilia « Poder360« *** (partenaire de ICIJ), sous le titre « Blairo Maggi est bénéficiaire d’une entreprise aux Cayman, mais nie des irrégularités » qui a repris et détaillé les relations et les implications du Ministre de l’agriculture avec LDC. L’article, signé par cinq journalistes, contient l’organigramme des liens entre les deux sociétés. Il renseigne sur les filiales ou participation dans les sociétés qui contrôlent des infrastructures comme le très moderne « Terminal de Grains du Maranhão – TEGRAM (qui a exporté 726,5 tonnes de grains en avril 2017) du port d’Itaqui à São Luis, la capitale de l’État du Maranhão. Le média publie également la réaction des deux sociétés qui affirment agir en conformité avec les lois des Iles Cayman et celles du Brésil.

Elise Lucet, a interviewé Olivier Longchamp de l’ONG suisse « Public Eye » sur les pratiques de ces grands groupes internationaux: C’est la jungle ? « Non, je ne dirai pas que c’est la jungle, mais c’est un espace extrêmement libéralisé, peut-être un des espaces les plus libéralisés à échelle mondiale aujourd’hui, bien davantage que le secteur financier… C’est un monde extrêmement opaque, pratiquement entièrement exempt de régulation ! »

Les révélations des « Paradise Papers » vont-elles entraîner un changement dans les pratiques de ces grands groupes ? Les États vont-ils prendre des mesures pour y mettre un terme ?

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* « Paradise Papers » > Ensemble des documents révélés début novembre 2017 par l’International Consortium of Investigative Journalists – ICIJ basé à Washington, aux USA. Lien : https://www.icij.org

** Voir « AYA Info » No 56 du 20 décembre 2010. / *** Lien : https://www.poder360.com.br

PS : Pour des raisons de droits concédés à France Télévisions, l’émission n’a pu être vue que pendant sept jours.

Autochtones et scientifiques lancent un appel en faveur de la Terre-Mère

Du 12 au 16 octobre, à Brasilia, s’est tenue la 2e réunion de « l’Alliance des Gardiens de Mère Nature » qui a rassemblé près de deux cents leaders indigènes et alliés, originaires d’une vingtaine de pays des cinq continents. Cette Alliance s’est réunie une première fois en novembre 2015, lors de la COP 21, la Conférence de Paris sur le climat. Cela à l’initiative du Cacique Kayapó Raoni Metuktire et de l’association française « Planète Amazone« . Au terme de leur rencontre de Brasilia, les participants ont lancé un « Appel aux États et à l’humanité pour la préservation de la vie sur la planète et celle des générations futures. » Ils commencent par rappeler l’existence des 370 millions d’indigènes répartis dans plus de 70 pays des cinq continents.

Ils forment plus de 5’000 groupes et parlent plus de 4’000 langues. Partant du fait que les peuples autochtones ont toujours pris soin de la Terre Mère, ils affirment qu’il n’y a pas de séparation entre les droits des peuples autochtones et ceux de la Terre Mère.

L’Appel comprend dix-huit paragraphes touchant différents domaines. Plusieurs concernent l’application de textes existants : la Déclaration Universelle des droits de la Terre, adoptée à Cochabamba (Bolivie) en 2010, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007), la Convention 169 de l’OIT, celles de l’ONU contre la corruption et sur le droit de la mer. Mais aussi l’amélioration de l’Accord de Paris de 2015 jugé trop commercial. Le document revient à plusieurs reprises sur le droit au « Consentement Libre, Préalable et Informé » (y compris un droit de veto) des communautés indigènes avant toute décision concernant l’aménagement d’infrastructures dans leurs territoires. La protection de l’eau, des océans, des espaces forestiers et des savoirs traditionnels occupe une place importante. Le texte demande des mesures pour protéger les femmes indigènes et les peuples autochtones en situation d’isolement volontaire. Il est demandé à la Cour pénale internationale de sanctionner les éco-crimes. La conclusion du premier paragraphe de l’Appel en résume le sens : « La Terre Mère est vivante, elle est notre maison commune et nous devons la respecter, prendre soin d’elle pour le bien-être des générations futures. »

Le 13 novembre, un mois après la rencontre des autochtones à Brasilia, ce sont 15’000 scientifiques de 184 pays qui, après l’appel lancé en 1992, adressent un deuxième avis à l’humanité*. Les auteurs mettent en évidence l’évolution de neuf indicateurs montrant que, depuis 25 ans, l’humanité n’a pas réussi à faire des progrès suffisants en matière de développement durable. Ils citent la nécessité de prendre des mesures concrètes, par exemple de « prioriser la mise en place de réserves connectées, bien financées et bien gérées, pour une proportion significative des habitats terrestres, marins, d’eau douce et aériens dans le monde; de maintenir les services éco-systémiques de la nature en arrêtant la destruction des forêts, des prairies et d’autres habitats naturels« . La conclusion de leur avis rejoint les préoccupations des leaders indigènes : « Bientôt il sera trop tard pour dévier de notre trajectoire défaillante, et le temps s’épuise. Nous devons reconnaître, dans notre vie quotidienne et dans nos institutions gouvernementales, que la Terre avec toute sa vie est notre seul foyer. » Publié pendant la réunion de la COP 23 qui s’est tenue à Bonn en novembre dernier, cet appel a eu un très fort écho médiatique.

Autochtones et scientifiques appellent à ne pas attenter davantage à la vie de la Mère Nature – la Terre Mère – dont l’humanité est partie intégrante. Autrement dit, les uns et les autres pressent la communauté humaine à agir pour éviter un matricide potentiellement suicidaire. Les mesures qu’ils préconisent pour ne pas commettre un irréparable « matricide-suicide » ouvrent la voie à un avenir plus réjouissant, mais le temps presse !

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* Le texte original est accessible par ce lien : https://academic.oup.com/bioscience/article/4605229 – Voir l’original en français dans « supplemental file S1 » p. 17 et la liste des signataires dans « supplemental file2 »

Bernard Comoli

Important :

– L’activation des liens hypertextes (en marron) renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s’agit d’anciens « AYA Info ».

PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien « La Tribune de Genève » à l’adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch

2018

Ainsi, ce sont 15’000 scientifiques qui nous rappellent que « La Terre, avec sa vie, est notre seul foyer ». Pour éviter un cataclysme, ils proposent des mesures allant dans le même sens que celles préconisées par les Peuples Autochtones depuis longtemps : un appel à changer de modèle de développement. Au cours de l’année qui vient, AYA invite ses lectrices et lecteurs à multiplier les gestes concrets pour mieux protéger notre Terre-Mère.

A Toutes et à Tous, une bonne année 2018 !

Adresse : AYA 13, Rue des Bossons – CH – 1213 Onex / Genève – CCP 17-55066-2

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