« AYA Info » est en ligne sur deux sites Internet : Humanitaire.ws et MCI
Conformément à ce qui a été annoncé dans le bulletin No 123, cette édition est la reprise des notes publiées dans le blog que la « Tribune de Genève » nous a invités à tenir dans son édition électronique. Ces notes, et les précédentes, sont consultables avec ce lien :
Note du 24 janvier 2022
Brésil, la FUNAI veut réduire d’un tiers le nombre de Terres Indigènes qu’elle doit protéger
Fin décembre 2021/début janvier 2022, les organisations indigènes brésiliennes ont eu connaissance d’une circulaire signée par Alcir Amaral Teixeira, le Coordinateur général de la surveillance territoriale (des Terres Indigènes – TI) à la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI. Dans ce document, le Coordinateur demande à ses services subordonnés, qu’à l’avenir, les plans de protection territoriale ne devront concerner que les TI « homologuées », c’est à dire celles dont le processus de protection est finalisé. Selon l’Institut Socio-Environnemental – ISA, sur les 726 TI que compte le Brésil, seulement 487 sont homologuées. Ainsi la FUNAI abandonnerait la protection d’un tiers des TI du pays. Les organisations indigènes n’ont pas tardé à réagir.
Le 10 janvier, la COIAB* et l’APIB* se sont adressées au Ministère Public Fédéral, la première à Manaus et la deuxième à Brasilia, en demandant la suspension des effets de la circulaire et une enquête sur d’éventuels délits administratifs commis par Alcir Amaral Teixeira. L’APIB s’est également adressée au Tribunal Supérieur Fédéral pour demander que le gouvernement brésilien respecte les droits territoriaux constitutionnels des peuples indigènes. Ces derniers s’appliquent indépendamment du statut juridique des TI.
L’article 67 de l’Acte des dispositions constitutionnelles transitoires, adopté en même temps que la Constitution de 1988, prévoit que l’Union doit conclure la démarcation des TI dans un délai de cinq ans, soit en octobre 1993 !
L’actuel Président brésilien, en novembre 2018, avant même sa prise de pouvoir, avait annoncé qu’il n’y aurait plus de démarcation de Terres Indigènes !
La volonté des Constituants est loin d’avoir été respectée.
Á suivre !
***
*COIAB > Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne
**APIB > Articulation des Peuples Indigènes du Brésil
***
Note du 19 février 2022
Brésil : des menaces sur les indiens en situation d’isolement volontaire
Des indices montrent que la Terre Indigène (TI) Ituna/Itatá* est occupée par des indiens en situation d’isolement volontaire. Le contact avec un groupe jusque-là isolé, se traduit souvent par un choc microbien susceptible de mettre en cause l’existence même de celui-ci. Cette TI se situe dans la zone touchée par la construction du barrage de Belo Montesur le rio Xingu. Une région qui a vu l’arrivée massive de nouveaux habitants en recherche d’emploi. La déforestation y est importante, souvent conséquence de la présence de grileiros (occupants illégaux), venus surtout depuis la fin du chantier de l’usine hydro-électrique.
Pour protéger ces éventuels groupes indigènes isolés, la TI a fait l’objet d’une « restriction d’usage » par des arrêtés successifs de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI depuis janvier 2011. Cette protection a été renouvelée pour trois ans en janvier 2019… La prorogation devant ainsi intervenir en ce début 2022. Une démarche contestée.
Déjà, en septembre 2019, le sénateur de l’État du Pará, Zequinha Marinho, a contesté la présence d’indiens sur cette terre protégée. Il l’a fait en plénière du Sénat et dans un courrier à la présidence de la République. La FUNAI a organisé une expédition dans la région en août-septembre 2021. Dans une note de fin janvier dernier, elle affirme ne pas y avoir pas décelé d’indices prouvant la présence d’indiens isolés pouvant justifier la prolongation de cette protection. Cependant, sur injonction de la justice, elle a prolongé de six mois la validité de la restriction d’usage.
Ce résultat – provisoire – est le fruit de la pression des organisations indigènes et indigénistes qui se sont mobilisées pour maintenir cette protection. Le Conseil National des Droits Humains – CNDH, l’Observatoire des droits Humains des Peuples indigènes Isolés et de récent contact – OPI, la Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne – COIAB, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB ont publié des rapports, lettres ouvertes et pétition.
L’issue de ce bras de fer est incertaine. D’autres groupes isolés sont également en danger !
***
*Située dans l’État du Pará, elle a une superficie d’environ 1’424 km2
Note du 13 mars 2022
Brésil : la guerre en Ukraine, raison supplémentaire de Bolsonaro pour ouvrir les Terres Indigènes à l’exploitation minière !
Avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 11 février dernier, le Président brésilien a signé un décret instituant un programme d’appui au développement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle. L’Amazonie légale* est désignée région prioritaire pour la mise en œuvre de cette action. Il est prévu de simplifier et d’accélérer les procédures d’autorisations d’ouverture des chantiers.
Les premières réactions hostiles à ce décret sont venues de l’opposition au sein de la Chambre des Députés. Une demi-douzaine de Projets de Décrets Législatifs** (PDL) ont été déposés par des Députés. Ils ont tous pour objet de suspendre les effets du décret présidentiel. Joênia Wapichana – première femme indigène élue députée de l’histoire du Brésil – a déposé l’un de ces PDL. Elle y relève l’absence de définition de la notion « d’exploitation minière artisanale et à petite échelle. » Pour elle : « Ce Décret va renforcer les activités extractives tant à l’intérieur des Terres Indigènes de l’Amazonie que dans leur voisinage. Il pourra avoir des impacts irréversibles pour l’environnement et pour la vie des communautés traditionnelles. En résumé il pourra indirectement légaliser l’exploitation minière illégale ! » Ces textes doivent être discutés et adoptés par le parlement majoritairement défavorable aux peuples indigènes…
La pression du gouvernement pour favoriser l’exploitation minière en Terres Indigènes s’était déjà manifestée dans un Arrêté du 9 février, signé par le chef de la Maison civile de la Présidence de la République, Ciro Nogueira Lima Filho. Ce dernier y a dressé une liste de 45 projets de lois à être traités prioritairement par le parlement en 2022, dernière année de la législature. Parmi ceux-ci, le Projet de Loi N° 191/2020 qui ouvre les Terres Indigènes à l’exploitation minière. Un texte à propos duquel les organisations indigènes*** ont maintes fois manifesté leur hostilité, notamment à cause de la déforestation, de la pollution des rivières et de la violence accompagnant cette activité.
En raison de la guerre en Ukraine, les – peut-être – nécessaires changements de fournisseurs en engrais des agriculteurs brésiliens, ont donné l’occasion au Président Bolsonaro (par deux fois, le 2 mars, sur son compte Twitter) d’affirmer que l’approbation de ce Projet de Loi résoudra le problème. Le député Ricardo Barros, de la base gouvernementale à la Chambre des Députés a réuni le nombre de soutiens nécessaire pour engager le vote de cette loi en procédure d’urgence. Ce vote a eu lieu ce 9 mars par 279 oui, 180 non et 3 abstentions. Le président de la Chambre, Arthur Lira, annonce la création d’un groupe de travail avant que le projet soit traité en plénière dans la première quinzaine d’avril.
Le Ministère Public Fédéral a publié une note le 8 mars rappelant, une fois de plus, l’inconstitutionnalité du projet de loi.
L’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB (faîtière des organisations indigènes du pays) demande la fin du programme anti-indigène au Congrès national : « L’actuelle crise en Europe ne peut être utilisés comme excuse pour massacrer les droits des peuples indigènes et menacer le futur de la planète ».
Á Brasilia, ce 9 mars après-midi, de nombreux artistes, en collaboration avec de nombreuses entités de la société civile, ont organisé un « Acte pour la Terre » auquel ont assisté des milliers de personnes. Il s’agissait de protester contre les projets de lois qui mettent en danger l’environnement et les droits des minorités.
Une autre manifestation, le « Campement Terre Libre » est convoquée à Brasilia par l’APIB du 4 – 8 avril. Y sont attendus des délégations de tous les peuples et organisations indigènes du pays.
Récemment, le « Comité National de Défense des Territoires face à l’exploitation Minière », en lien avec l’APIB a publié un rapport « QUI EST QUI dans le débat sur l’exploitation minière dans les Terres Indigènes ». Il s’agit d’une étude détaillant les forces en faveur ou opposées au PL 191/2020. Sont passées en revue la position du Gouvernement, des fronts parlementaires au Congrès, des associations économiques, des organisations indigènes, du Ministère Public Fédéral et de la presse.
Toujours concernant l’exploitation minière, en collaboration avec Amazon Watch, l’APIB a publié en février dernier une quatrième version du rapport « Complicité dans la destruction » sur les entreprises minières et les investisseurs internationaux impliqués dans l’exploitation de l’Amazonie. Le Crédit Suisse, l’Union de Banques Suisses, Glencore, Vale, sont des noms qui apparaissent dans cette étude…
Les ressources minières du Brésil sont l’objet de nombreuses convoitises !
***
*L’Amazonie légale comprend neuf États : Acre, Amapá, Amazonas, Mato Grosso, Pará, Rondônia, Roraima, Tocantins et une partie du Maranhão.
**Un Projet de Décret Législatif – PDL peut être présenté par un député ou un sénateur, une Commission de la Chambre des députés, du Sénat ou du Congrès et par un message présidentiel. Il suit l’habituelle procédure parlementaire.
***Voir sur ce blog, la note du 17 février 2020.
***
Note du 22 mars 2022
Brésil : Bolsonaro reçoit la médaille du Mérite Indigéniste !
« Incroyable !» « Cela ressemble même à une blague ! » « Une grande blague. De très mauvais goût ! » « La médaille du mérite la plus absurde de l’histoire du Brésil ! » Voilà quelques réactions relevées dans la presse brésilienne après la décision du Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Anderson Torres, de décerner la « Médaille du Mérite Indigéniste » au président Jair Bolsonaro et à vingt-cinq autres personnes, dont plusieurs ministres, hauts fonctionnaires et indigènes. Cela « en reconnaissance pour les services rendus pour le bien-être, la protection et la défense des communautés indigènes. » La politique anti-indigènes conduite par le Président et son gouvernement est largement connue de l’opinion publique.
La Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne – COIAB a publié une note de protestation : « Un tel honneur devrait être accordé aux personnes qui se distinguent par leurs actions de protection et de promotion des peuples indigènes brésiliens, et non à ceux qui attaquent nos droits et promeuvent des discours de haine contre nous ! » L’Articulation des Organisations Indigènes du Brésil – APIB rappelle que, dès les premiers jours du gouvernement de Jair Bolsonaro, elle a dénoncé les menaces et violations commises contre les peuples indigènes du Brésil. Elle affirme qu’il en va de même dans cette dernière année de la législature : « Á tout coup, et avec cynisme ils utilisent les armes médiatiques et institutionnelles pour dire qu’ils nous appuient. Notre liberté, notre culture, notre ancestralité, nos territoires et nos richesses naturelles ne sont pas à vendre et ne sont pas négociables ! » […] « L’indigénisme est une tradition sérieuse et ne doit pas être utilisée par ceux qui ne respectent pas notre culture et mode de vie. L’APIB va prendre des mesures légales pour annuler cet Arrêté du Ministère de la Justice. »
Á la Chambre des Députés, le Front parlementaire mixte de défense des droits des peuples indigènes juge «… inacceptable que le Président de la République et ses ministres d’État soient décorés de la Médaille du Mérite Indigène alors que leurs positions et actions sont contraires à la défense des droits de peuples indigènes.» La leader du Front, Joênia Wapichana, a cosigné avec 13 autres députés, un Projet de Décret Législatif – PDL pour annuler la décision du Ministre de la Justice.
Autre réaction significative, celle de l’indigéniste Sidney Possuelo : il a rendu au Ministère de la Justice sa médaille du Mérite Indigéniste qui lui avait été décernée en 1987 par le Ministre de l’Intérieur d’alors, João Alves Filho. Sidney Possuelo a consacré de nombreuses années de sa vie à la cause indigène. En 1991, il a été nommé Président de la Fondation Nationale de l’Indien – FUNAI par le président Fernando Collor. Il y dirigeait déjà la Coordination des Indiens Isolés. Il a notamment œuvré à la démarcation de la Terre Indigène Yanomami. Il a été démis de la présidence de la FUNAI en mai 1993 par Itamar Franco alors Président de la République. Interrogé par l’agence UOL, il dit que cette décoration « a perdu sa raison d’être » et que c’est pour cela qu’il l’a rendue. « Cette médaille remise à qui que cela soit, transforme le bourreau en héros… »
***
PS : L’activation des liens hypertextes (en brun) renvoie à une partie des sources utilisées pour la rédaction de cette note. Ces sources, souvent en portugais, permettent d’en « savoir plus ».
***
INVITATION
AYA, vous invite à assister à une conférence qui aura lieu le 25 avril prochain, à 18h30 à Uni Mail, 40, Bd du Pont d’Arve /Genève (salle MR070) : Les Yanomami : gardiens de l’Amazonie en danger ? Quels sont les impacts de l’exploitation de l’or sur le territoire Yanomami au Brésil et quelles réponses y apporter ? Intervenants : Mauricio Iximaweteri, leader Yanomami et Silvio Cavuscens, Coordinateur du « Service et Coopération avec le peuple Yanomami – SECOYA» de Manaus.
***
AYA – Appui aux indiens Yanomami d’Amazonie – 13, Rue des Bossons – CH – 1213 Onex / Genève